Publié le 4 mai 2014 à 21h19 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h49
La Villa Méditerranée vient d’accueillir la 2e conférence internationale de Medener (association méditerranéenne des agences nationales de maîtrise de l’énergie). Au menu de ces travaux, un programme tout aussi nécessaire qu’ambitieux : en route vers la transition énergétique. Pour ce faire deux tables-rondes se sont tenues, la première portait sur «Le rôle des acteurs dans la mise en œuvre de la transition énergétique en Méditerranée». La deuxième avait pour thème : «Les synergies et projets pour accélérer la transition énergétique en Méditerranée».
A l’horizon 2030, le développement économique de la région méditerranéenne sera porté par une forte croissance démographique (45 %), une urbanisation accrue avec près de 30 villes de plus d’un million d’habitants ainsi qu’un triplement de la demande en énergie. L’amélioration massive de l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables des pays méditerranéens sont les clés essentielles de la transition énergétique en région méditerranéenne
Une première conférence, organisée par Medener, en septembre 2013 à Tunis a permis d’identifier les enjeux et de poser les perspectives de la transition énergétique en Méditerranée. Dans la continuité de cette rencontre, Medener a réuni ses partenaires euro-méditerranéens publics et privés à la Villa Méditerranée, créée par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur pour favoriser les échanges et la mise en contact des réseaux de coopérations méditerranéens.
Il s’est agi de mieux connaître les différents acteurs de la transition énergétique au Nord comme au Sud et d’améliorer la synergie des projets, en privilégiant le renforcement des compétences et la mobilisation des investissements, notamment dans le cadre du Plan Solaire Méditerranéen. D’avoir une meilleure compréhension des enjeux énergétiques, économiques et sociétaux de la transition énergétique entre les 2 rives de la Méditerranée. De connaître les acteurs engagés dans le développement de projets d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables. De comprendre le rôle des différents acteurs et leurs complémentarités. De développer des synergies entre acteurs et projets entre les deux rives de la Méditerranée.
« La transition énergétique est une nécessité mais c’est aussi une occasion d’une vie meilleure et de création d’emplois »
C’est Michel Vauzelle, le président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur qui ouvre les débats. A ses yeux : «La transition énergétique est une nécessité mais c’est aussi une occasion d’une vie meilleure et de création d’emplois». Puis d’insister, tout au long de son intervention, sur la communauté de destin que représente la Méditerranée. Puis d’aborder la crise économique, sociale, morale que nous connaissons et d’avancer : «Seule la démocratie participative peut nous permettre d’en sortir». Il insiste également sur l’importance des régions : «Les énergies renouvelables et l’efficacité imposent de construire au plus près des lieux de consommation». Il aborde enfin l’efficacité politique : «C’est au niveau des territoires que des mesures peuvent être mises en œuvre et c’est notre engagement collectif qui fera bouger les choses afin de rendre concrète en Méditerranée la transition énergétique».
Bruno Lechevin, Président de l’Ademe et de Medener 2012-2014 rappelle que cette dernière associe tous les acteurs de la transition énergétique en Méditerranée. «Nous sommes une structure souple, légère, mais efficace. Il s’agit aussi d’un réseau d’influence pour catalyser des finances autour de projets».
« La transition n’est pas un choix mais une nécessité »
C’est au tour de Nejib Osman, Directeur Études et Planification, Anme (Agence nationale de Tunisie) et Président de Medener 2014-2016 de prendre la parole. Pour lui, il existe deux types de défis auxquels Medener est confronté : les uns communs à l’ensemble des pays, les autres spécifiques aux rives Sud et Est. «Les défis communs sont de trois types : la sécurité énergétique, la compétitivité économique, la protection du climat», précise-t-il. Il en vient aux spécificités : «Les besoins sont croissants sur les rives Sud et Est avec une prédominance des énergies fossiles, les énergies renouvelables ne représentent qu’1% de la consommation et un fort poids des subventions énergétiques. Et la demande risque d’être multipliée par trois dans les 30 ans à venir ». Il revient sur les subventions : «C’est un fardeau pour l’économie tunisienne puisque cela représente aujourd’hui 20% du budget de l’État ».
Puis de plaider «pour un changement de modèle en se tournant vers la sobriété et l’efficacité énergétique». Estimant : « La transition n’est pas un choix mais une nécessité». Avant de conclure : « Si on veut réussir, il faut associer tous les acteurs. Il faut également décentraliser pour être au plus près des besoins et penser aux couches sociales les plus défavorisées ».
Place est donnée au premier débat sur « Le rôle des acteurs dans la mise en œuvre de la transition énergétique en Méditerranée ».
Teresa Ribeiro, Secrétaire Générale Adjointe Division Énergie du Secrétariat de l’Union pour la Méditerranée rappelle que cette dernière ne finance pas les projets mais qu’elle en labellise, un label fort apprécié.
« Corridor d’énergie propre en Afrique »
Gauri Singh, Directrice du Soutien aux Pays et Partenariats Irena (Agence Internationale des énergies renouvelables). Elle explique que l’Agence encourage l’adoption accélérée et l’utilisation durable de toutes les formes d’énergie renouvelable. Ses membres fondateurs étaient inspirés par la conviction que les énergies renouvelables «offrent de vastes possibilités en vue d’un développement durable tout en traitant les problèmes que sont l’accès à l’énergie, la sécurité énergétique et la volatilité des prix de l’énergie». Fondée en 2009, cette organisation intergouvernementale offre une plateforme centrale pour les réseaux globaux, une source de conseil en matière d’énergies renouvelables et une voix unifiée au nom de toutes les parties prenantes des énergies renouvelables.
Elle insiste tout particulièrement sur le projet «Corridor d’énergie propre en Afrique». Elle rappelle à ce propos : «L’Afrique de l’Est connaît une croissance rapide et il en va de même pour ses besoins énergétiques. Au cours des deux prochaines décennies, la demande en électricité de la région devrait quadrupler. Les besoins de l’Afrique du Sud, d’une échelle bien plus grande et en forte hausse, sont majoritairement satisfaits par des centrales à charbon polluantes. Ensemble, l’Éthiopie, le Kenya et la Tanzanie ont identifié environ 15 GW de potentiel géothermique et 40 GW de potentiel hydroélectrique, tous deux à faible coût. Ces pays possèdent également un fort potentiel en énergie éolienne. En outre, le prix de cette énergie est intéressant ».
Un solide réseau de transmission électrique reliant l’Est au Sud « permettrait de transporter de l’électricité propre et à faible coût depuis les régions où elle est produite en abondance vers les régions de forte demande, ainsi que de réduire la dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles»
« Nous serions là dans du co-développement »
Jean-Louis Guiguou est le délégué Général de l’Ipemed (Institut Économique et de Prospective en Méditerranée) selon lui : «La Chine a su absorber son Sud alors que la faiblesse de l’Europe réside dans le fait qu’elle n’a su intégrer le sien». Il considère également : «Ce sont les entreprises et l’économie qui anticipent les grandes transformations. Ainsi, la majorité des entreprises mondiales avaient l’Europe comme découpage, aujourd’hui c’est Europe/ Méditerranée/Afrique ».
Il en revient à l’Europe : « Les européens veulent depuis longtemps créer une communauté de l’énergie. Il n’y arrive pas car ils sont consommateurs et concurrents. Alors, à l’Ipemed nous avons considéré que, l’été, c’est le Sud qui a besoin d’énergie comme cela est le cas aux Etats-Unis, et c’est le Nord, en vacances, qui fournit cette énergie. Et, en hiver, c’est l’inverse qui se produit. Pourquoi l’Afrique du Nord ne bénéficierait-elle pas de l’énergie du Nord en été et le Nord recevrait en hiver celle du Sud. En 3 ans, le coût du réseau serait remboursé et ainsi on inventerait le concept de communauté méditerranéenne de l’énergie». Il ajoute : «La France et l’Allemagne se sont unies dans le domaine de l’énergie pour construire la Paix, on doit faire de même entre la France et l’Algérie. Nous serions là dans du co-développement, dans le respect des uns et des autres».
« Pourquoi n’arrive-t-on pas à mener la même opération en France ? »
André Joffre, Vice-Président d’Imeder (Institut Méditerranée pour les Energies Renouvelables) explique que l’Institut, créé à l’initiative de la Chambre de commerce et d’industrie de Perpignan et des Pyrénées-Orientales, a pour but de développer l’utilisation des énergies renouvelables dans les pays du pourtour méditerranéen, à travers des projets «à taille humaine».
Ses objectifs sont de développer les échanges, les flux intra-méditerranéens et les relations Nord/Sud, d’accélérer les transferts de technologie, d’assurer la synergie entre la recherche et les applications industrielles et de favoriser la mise en œuvre de projets adaptés aux besoins des populations.
«Nous avons ainsi monté des actions d’accompagnement en Tunisie en matière de chauffe-eau solaire. Ce dernier est payé par la compagnie électrique qui se rembourse sur la facture sachant que cette dernière baisse du fait de l’utilisation du chauffe-eau. Et cela, a créé en plus des emplois». Il interroge alors : «Pourquoi n’arrive-t-on pas à mener la même opération en France ? ».
Selon lui : «Un phénomène se passe sous nos yeux : l’avènement de la révolution numérique de l’énergie, une énergie renouvelable qui va générer de la création de valeur».
Anne Huguet Directrice de Prioriterre, Société civile, présente son association qui a vu le jour voilà 30 ans en Haute-Savoie. «Le projet, à l’époque, était de montrer que l’on pouvait réaliser des maisons sans énergie. Aujourd’hui notre objet s’est élargi. Il est d’aider chacun à réduire son empreinte écologique et préserver les ressources naturelles de la planète. Nous apportons des solutions concrètes à la lutte contre le réchauffement climatique et la sauvegarde de la planète».
La seconde table-ronde interroge sur les bonnes pratiques; les projets exemplaires; comment créer les synergies pour mobiliser les acteurs publics et privés? Elle sera moins porteuse d’espoir mais de vraies questions qu’il s’agit d’affronter.
« Nous avons besoin d’une volonté politique mais elle n’existe pas »
Walid Shahin, Directeur Nerc (Agence nationale en Jordanie), explique: «Nous avons eu des subventions jusqu’en 2003 avant de payer l’énergie au prix fort. Ce fut un choc pour le gouvernement comme pour la population. Cela représente jusqu’à 20% du PNB aujourd’hui. C’est énorme. Nous avons mis en place une stratégie, en 2007, visant à passer de 1% à 10% d’énergie renouvelable. Mais nous n’arrivons pas à appliquer toutes les normes… Il faut aider les pays du Sud de la Méditerranée, en termes de formation, de transfert de technologies. Seuls nous ne pourrons pas y arriver, ensemble oui».
Tony Madar vient du Liban où « le secteur de l’énergie n’est pas subventionné, sauf l’électricité, ce qui creuse les déficits du budget national. Nous avons besoin d’une volonté politique mais elle n’existe pas dans un pays où, tous les jours, on connaît des coupures d’électricité ».
Roger Goudiard, Directeur du Cefeb (Centre d’Études Financières, Economique et Bancaires) constate : « La transition énergétique n’est pas un long fleuve tranquille ». Ce qui n’empêche pas le Centre « d’être engagé dans la lutte contre le changement climatique ». Le Centre intervient à partir de plusieurs principes. «L’appui aux politiques publiques et l’implication du secteur privé. Le soutien aux innovations. Cela afin de permettre de disposer d’une énergie sobre, accessible, sécurisée, tout en développant le rendement énergétique et, bien sûr, en œuvrant pour un passage aux énergies renouvelables».
« La transition énergétique cela coûte cher »
Sophie Jablonski, Spécialiste Énergie de la BEI (Banque Européenne d’Investissement) rappelle que «l’action en faveur du climat est une priorité essentielle pour l’UE » et le financement de projets dans ce domaine «a considérablement augmenté ces dernières années». La BEI s’attache à réduire les émissions de gaz à effet de serre et «finance également des projets qui contribuent à l’adaptation aux effets des changements climatiques». Par son intervention, la BEI encourage «d’autres bailleurs de fonds à s’associer à son investissement à long terme», une démarche que les acteurs du financement, qu’ils soient privés ou publics, «peuvent difficilement faire de façon indépendante».
Jean-Claude Tourret, Directeur de l’Avitem (Agence Française des Villes et Territoires Durables en Méditerranée) jettera, avec son intervention, un pavé dans la mare : «La transition énergétique cela coûte cher, l’Allemagne y consacre 20 milliards, la France entre 5 et 10. Et on a l’impression que l’on pourrait la conduire dans les pays du Sud à coup de prêts. Ce n’est pas possible. En plus, outre le fait d’être chère, la transition impose un travail sur du très long terme et cela dans la plus grande incertitude car nul ne peut dire ce que sera le prix de l’énergie dans 20 ou 30 ans».
C’est à François Moisan, Directeur Exécutif Recherche et International de l’Ademe, de conclure la conférence. Il juge que la promotion de l’innovation, y compris sociale et financière, le développement de l’ingénierie de projets et l’adéquation entre l’offre de financements et les attentes apparaissent comme les fondamentaux qui doivent permettre de réussir la transition énergétique.
Michel CAIRE