Publié le 10 février 2022 à 9h44 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 15h22
Renaud Muselier, président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, président délégué de Régions de France revient sur le « Forum des Mondes méditerranéens » -«co-construit avec la région sur de nombreux aspects»- qui vient de se tenir à Marseille les 7 et 8 février. Occasion pour le président de Région d’évoquer les enjeux inhérents à l’espace méditerranéen, l’urgence d’y répondre. Il décline les différentes initiatives, dresse un bilan de ce qui a déjà été mis en place, insiste sur cette ambition commune qui est de «répondre aux défis de la Méditerranée à l’horizon 2030». Il précise encore que la prochaine édition de Méditerranée du futur ne manquera pas de faire écho aux conclusions du Forum des Mondes Méditerranéens. Entretien.
Destimed: Qu’attendiez-vous de ce Forum, alors que les enjeux inhérents à l’espace méditerranéen, notamment sur les plans environnemental et économique, deviennent de plus en plus forts ?
Renaud Muselier: Ce Forum des Mondes Méditerranéens, qui été co-construit avec la Région sur de nombreux aspects, s’inscrit dans le prolongement du Sommet des Deux Rives, une dynamique complémentaire de la Méditerranée du Futur que nous avons voulue dès 2017. Nous avons tous une ambition commune, celle de répondre aux défis de la Méditerranée à l’horizon 2030. Aussi la question n’est pas tant ce que j’attendais de ce Forum, mais ce que j’attends en général de ces initiatives : du concret, du tangible, des projets et des solutions pour les réaliser.
Les deux sujets que vous évoquez sont clefs. Aujourd’hui, alors que le monde souffre, que la planète souffre, que les habitants de nos régions et pays souffrent d’une épreuve sanitaire sans pareille, notre responsabilité collective est engagée pour préserver et faire rayonner l’écrin qui est le nôtre.
Regardons quelques mois en arrière. Qui parmi les pays méditerranéens n’a pas vu des pans entiers de son territoire ravagé par les flammes ? 8 000 hectares chez nous au-dessus de Saint-Tropez, 90 incendies en Kabylie, 120 000 hectares pour toute l’Algérie, 18 000 hectares en Macédoine du Nord, 1 500 hectares au Liban, 4 000 hectares en Israël, 6 000 à Chypre, 170 000 en Turquie… l’égrainage est sans fin. Plus largement, c’est toute notre Méditerranée qui a brûlé. Et je peux reproduire cette démonstration avec les inondations ou l’érosion du trait de côte.
Face à une telle situation, nous pouvons tenter de chercher des responsables, de désigner des coupables… C’est le meilleur moyen de ne rien faire. Je préfère me focaliser sur la solidarité qui nous a liés, sur la puissance du dispositif RescEU, sur les solutions nouvelles à trouver ensemble. Nous sommes tous conscients de l’urgence d’agir. Après les sommets internationaux, les cris d’alarme scientifiques, les mises en garde citoyennes, il est temps d’avancer sur de vraies solutions. Le changement climatique conditionne la pérennité de toute vie en Méditerranée. C’est un engagement commun qui nous rassemble là où tant de sujets pourraient nous diviser.
Mais pour faire bouger les lignes notamment en matière d’économie il faut savoir mobiliser les bons outils financiers. Nous y avons consacré 5 heures d’échanges lundi entre porteurs de projets et une trentaine d’investisseurs. Ce sont 12,6 Milliards de projets qui ont été présentés à notre Club des Investisseurs de la Méditerranée dont les membres viennent de Casablanca, de Prague, de Bruxelles, d’Addis-Abeba, de New York, et qui représentent plus de 1 140 milliards de fonds sous gestion qui pourraient accompagner chacun de nos projets.
Vous affichez l’ambition de voir la région, en 2030, devenir le centre nerveux de la Méditerranée, comment avancer dans ce sens ?
La région Sud est devenue un lien essentiel entre Europe et Méditerranée, un constat géographique, culturel et économique. Depuis 2017 nous n’avons pas ménagé nos efforts pour donner vie à cette « Méditerranée des projets ». Notre stratégie euro-méditerranéenne a été l’incarnation de la capacité à bâtir ensemble des projets concrets, opérationnels, utiles pour nos concitoyens.
Je voudrais avant tout replacer le contexte. Il serait de bon ton de limiter le recours à l’abus de langage qui voudrait que la Méditerranée se résume à 2 rives ! Si nous étions un océan ça se saurait … nous sommes un continuum, comme autant de traits d’union du Liban à l’Espagne, de l’Égypte à l’Albanie. Ce raccourci de langage malheureux, même s’il présente le confort d’une facilité d’utilisation, restreint l’analyse de notre espace.
Nos destins sont nécessairement communs et liés. Il n’y a pas d’un côté le destin de chacun et de l’autre le destin de tous. Il n’y a que le destin de ces millions d’hommes et de femmes, habitants de la Méditerranée, qui nous ont fait l’immense honneur de le placer entre nos mains. Nous responsables d’exécutifs locaux.
Le constat est assez simple. Nous sommes tous sous l’ombre portée de divers enjeux: démographique, énergétique, religieux, politique, sanitaire et au premier chef climatique. Tous rendent obsolète l’organisation Westphalienne de la coopération. Nous vivons une remise en cause du concept de frontière nationale que l’actuelle pandémie de Covid n’a fait d’exacerber. La principale caractéristique de ces enjeux est d’ignorer les frontières, nous poussant à une nécessaire coopération accrue, forte et résiliente, avec une intégration régionale puissante.
Nos territoires doivent devenir les timoniers d’une nouvelle diplomatie économique mais également politique, culturelle et environnementale. Toujours complémentaire de celle de l’État jamais concurrente. Si la diplomatie est une compétence régalienne des États et a vocation à le demeurer, nos collectivités ont un rôle à jouer pour les accompagner, les compléter et être à leurs côtés. Car elles permettent un dialogue facilité là où il n’est parfois plus possible. Nous sommes la clef de l’accélération.
Marseille- de par sa situation géographique, son histoire, sa population- a un rôle particulier à jouer… comment lui permettre de le jouer ? Qu’attendre de la France, de l’Europe ?
Quand on grandit au cœur de cette cité Marseillaise, que l’on y vit depuis toujours et pour toujours, que l’on se construit au contact de ces hommes et de ces femmes originaires du monde entier, on ne peut pas être insensible à cette mer qui fait partie de nous bien au-delà d’un simple élément de décor : la Méditerranée.
Je crois fondamentalement que l’Histoire de cette ville, ses racines grecques et sa géographie, lui confèrent un rôle clé. Grand port méditerranéen, elle est le lieu par lequel la France s’ouvre vers le Sud et vers le Moyen-Orient. Les échanges humains et commerciaux qui ont participé à son développement en font une interface majeure de l’Europe occidentale. Cette position exceptionnelle fait de Marseille, la dépositaire d’un héritage riche de plusieurs millénaires sur lequel nous devons nous appuyer pour construire l’avenir du bassin méditerranéen.
Dès 2017, nous avons porté l’ambition de faire de Marseille et de la région Sud, le cœur battant de la coopération euroméditerranéenne. Avec Méditerranée du Futur, nous avons réactivé et consolidé un réseau de collectivités locales de la Méditerranée, engagées pour construire ensemble notre avenir. Depuis quatre éditions, nous nous sommes mobilisés sur les problématiques liées au changement climatique, à la jeunesse, au développement économique ou dernièrement sur la gestion des pandémies. Je veux ici remercier Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires Étrangères qui a toujours été à nos côtés. Le soutien de la France et de l’Europe est indispensable pour assurer le succès de cette entreprise.
En faisant de Marseille, la Ville d’accueil du Sommet des Deux Rives, en 2019, la France s’est engagée dans cette démarche qui aboutit aujourd’hui au Forum des Mondes Méditerranéens. Et, un mois plus tard, c’est l’Europe qui vient à notre rencontre avec l’organisation du Sommet des Régions et des Villes. Ensemble, nous devons tout mettre en œuvre pour qu’à l’issue de ces deux rendez-vous majeurs, Marseille soit reconnue comme une capitale euroméditerranéenne incontournable.
Les messages passés durant ces deux jours que ce soit par l’État Français par la voix du Président Emmanuel Macron ou par l’Europe via le commissaire Varhelyi sont dimensionnants. Un Appel à Projets de 3 Millions d’euros porté par l’AFD, un fonds de 100 Millions d’Euros dédié à la diaspora méditerranéenne en France pour porter des projets avec leurs pays d’origine. 30 Milliards d’euros entre l’Europe, la BEI et la BERD pour porter le nouvel agenda méditerranéen de l’Europe. Autorité de gestion du Programme Interreg Euro-med, la Région dont la démarche de gouvernance a été labellisée par l’Union pour la Méditerranée prendra toute sa part.
Quelle sera l’articulation entre ce Forum et l’acte V de «Méditerranée du futur»?
Nous avons été largement partie prenante dans l’organisation du Forum des Mondes Méditerranéens qui s’inscrit dans la continuité de notre engagement de longue date en faveur de la Méditerranée. La Région Sud et l’événement «Méditerranée du Futur», lieu reconnu de la réflexion et de l’action de nos territoires en faveur de la Méditerranée, constitue désormais un rendez-vous international incontournable.
D’ailleurs, à chacune des étapes de la Méditerranée du Futur, nous avons pu compter sur l’appui de l’État. A chacune des étapes de la Méditerranée du Futur, l’État a pu compter sur notre détermination à faire avancer un projet euroméditerranéen tourné vers l’avenir.
Quand on a la conviction d’un destin commun, on se donne les moyens de l’accomplir. De 2017 à 2019, ce sont plus de 3 600 participants qui sont venus assister à cette rencontre rassemblant exécutifs des territoires, chercheurs, entrepreneurs, représentants de la société civile et de la jeunesse. En 2020, la 4e édition entièrement digitalisée a suscité plus de 19 000 connexions en ligne. En 2022, nous poursuivrons donc cette dynamique collective autour d’une 5e édition qui ne manquera pas de faire écho aux conclusions du Forum des Mondes Méditerranéens.
Propos recueillis par Michel Caire