Publié le 8 décembre 2013 à 19h45 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h10
Lors de la conférence de clôture du lancement du manuel commun d’histoire « Méditerranée, une histoire à partager », premier ouvrage commun de 15 historiens du Nord et du Sud de la Méditerranée présenté à la Villa Méditerranée à Marseille, Rachid Benmokhtar Ben Abdellah, ministre de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle du Maroc a mis en exergue l’importance de cet ouvrage. « Il s’agit d’un projet très important, nécessaire. Nécessaire parce que nos livres d’histoire ont introduit l’amnésie. On a fait en sorte qu’un certain nombre d’événements disparaissent. » Il explique : « Je prends par exemple, la relation que les Marocains aujourd’hui ont avec le judaïsme. Les Juifs étaient au Maroc bien avant les Arabes, ils ont impacté toute notre culture et notre histoire. Et ils sont absents de cette histoire et il est temps qu’ils y reviennent. Mais il n’y a pas qu’eux, l’amnésie touche énormément de choses. Ce n’est pas une amnésie volontaire mais une amnésie de fait en ce sens que l’histoire écrite, telle qu’elle ressort, avait un objectif qui est plus idéologique, celui de la reconstitution de la création d’un État national plutôt que celle de dire voilà « vous Marocains ce que vous êtes, à quoi vous appartenez où vous vous placez ». »
« Il va falloir aller chercher cette mémoire là où elle existe »
A propos de l’enseignement de l’histoire, Il évoque une visite au musée d’Orsay à Paris avec son fils de 9 ans. « Une visite qui a duré plus de 3 heures. En sortant mon fils se tourne vers moi et me dit : « Papa, Est-ce que nous au Maroc, on a un XIXe siècle ? ». Quelle question ! Mais il avait raison parce que ce XIXe siècle, il l’a vu, en relation étroite avec des réalités physiques, des objets, des tableaux, c’est cela la mémoire. C’est là que se situe le problème que nous avons. Il va falloir aller chercher cette mémoire là où elle existe. » Il poursuit : « Quand je parle d’Amnésie, en 2009 c’était le 400e anniversaire de l’expulsion des Morisques d’Espagne. Or la communauté des descendants des Morisques espagnols est au Maroc. Je n’ai pas vu de mots, ni quelque chose qui relate cet événement tragique. D’autant plus tragique que, quand je me réfère à l’œuvre de Rodrigo de Zayas « les Morisques d’Espagne et le racisme d’État » et qu’il écrit qu’ « au moment de l’inquisition 500 000 Morisques ont été noyés et que seuls 25 500 sont arrivés à terre », c’est pire qu’un oubli c’est une deuxième condamnation. Ce sont des choses inacceptables. »
« Cette histoire ne peut s’écrire que s’il y a la liberté d’expression »
Il souligne également un autre oubli : « Je suis originaire de Tanger et nous avons eu un grand voyageur Ibn Battûta. J’ai appris que c’était son 800e anniversaire par la Nasa, parce que la Nasa a décidé de donner son nom à une étoile. Or, à Tanger, il n’y a aucune indication pour rappeler l’existence d’ Ibn Battûta qui est mondialement connu. Voilà l’histoire qui doit se construire. » En ce qui concerne l’histoire du Maghreb, il estime : « Cette histoire ne peut s’écrire que s’il y a la liberté d’expression. La liberté des scientifiques de faire leur devoir, leur travail en toute indépendance. Ce n’est pas une histoire des nations, c’est une histoire commune de la Méditerranée qui ne peut être écrite que par des gens libres. »
Patricia MAILLE-CAIRE