Publié le 2 mai 2014 à 11h55 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h49
Comme chaque année, nous commémorons le Yom HaShoa (Jour de la Shoah). En ces temps troublés où l’extrême droite gagne du terrain, où les bruits de bottes se font entendre à nouveau en Europe de l’Est, et où il est toujours si difficile de faire reconnaître le génocide arménien, il en est de plus en plus nombreux à ne pas comprendre pourquoi nous entretenons cette mémoire d’un passé qui selon eux ne nous concerne plus. Nous le faisons pour que cette tragédie n’arrive plus jamais à personne et pour empêcher qu’une chape de plomb silencieuse n’étouffe à nouveau les cris des victimes d’un génocide à venir. Quand le nombre des morts se compte par millions, cela devient abstrait, aussi il faut prendre d’autres chemins pour expliquer l’inexplicable et répondre à ceux qui ne comprennent pas notre entêtement à ne pas oublier. Permettez-moi pour cela d’utiliser la forme d’un témoignage écrit en hommage à mon père, orphelin de la Shoah qui nous a quitté il y a peu.
Ce texte à deux voix où tour à tour je me plonge dans les souvenirs de Nathan Sobol, mon père et les miens, permet de comprendre la filiation de ce drame et pourquoi son impact continue de peser de génération en génération. J’y raconte le destin d’un homme confronté aux affres de la tragédie qui pourtant n’a pas fait payer aux autres les épreuves qu’il a rencontrées, bien au contraire, il s’est élevé au plus haut des valeurs humaines, par et pour les autres. Il a voulu donner beaucoup, lui qui étant enfant avait tant perdu.
Il faisait froid ce matin là, en ce mois de Janvier au cimetière de la Boisse dans la région lyonnaise. C’était un peu irréel, il y avait du brouillard et certains s’étaient perdus. Je ne me souviens pas de tout… et pas dans le bon ordre… j’ai des absences… Je me revois au début du chemin, puis devant le trou sombre et profond une truelle à la main puis, un blanc. Je suis dans le mémorial de la shoah attenant. Le Rabbin fait un discours, il est entouré de deux porte-drapeaux : celui des anciens combattants et celui des fils et filles de déportés. Une voie parle de mon père orphelin à cinq ans. Je ne suis plus moi-même, ici et maintenant mais à Pithiviers en 1942…
Je viens visiter mon père Henoch Sobol, Juif français originaire de Pologne arrêté par la police française et interné dans un camp de transit. C’est la dernière fois que le vois. Il ne peut croire, lui qui a quitté un pays totalitaire pour le « Pays de la Liberté », lui le Juif moderne, le socialiste épris d’idéaux humanistes, laïcs et républicains… Non ! Il ne peut pas croire qu’on va le livrer à la barbarie, à la peste brune et qu’il finira en cendres à Auschwitz. Il y avait bien cet avertissement de ne pas s’échapper car sinon en représailles, on arrêterait les femmes et les enfants. Mais, que pouvait-on faire et où aller avec une carte d’identité marquée du saut de l’infamie : En lettres majuscules épaisses et rouges sang était écrit le mot « JUIF ».
Tu t’appelleras Pierrot…
Ma mère, me confia avec ma sœur Léah âgée d’à peine quelques mois à des paysans pour nous sauver la vie. C’étaient des gens braves et simples. Ils ne comprenaient pas exactement ce qui se tramait. Ils savaient qu’il y avait des risques et ils ont accepté malgré tout de nous cacher. Ce qui n’empêcha pas l’homme qui m’avait pris en sympathie de me dire : « C’est terrible ce qui se passe pour vous autres, mais il n’y a pas de fumée sans feu et … vous avez crucifié notre seigneur Jésus ». « Désormais tu t’appelles Pierrot et tu es enfant de chœur ». Et il m’apprit toutes les prières. Oui c’est sûr, cela m’a sauvé la vie.
Je suis à nouveau à la Boisse et ce froid m’oppresse. On me demande si je veux prendre la parole, mais je ne peux pas. Je fais non de la tête. Alors, courageusement, comme il l’avait été lors de ce jour malheureux, mon frère Serge se lève et parle la voix étreinte d’émotion. Je n’entends rien et je retourne bien vite à mes pensées.
«Tu t’appelleras Pierrot. » Ironie de l’histoire, à plusieurs dizaines d’années de là, lorsque j’étais au cours moyen élémentaire 1ère année, sans me demander mon avis, on a aussi changé mon prénom. Une institutrice de l’école laïque et républicaine a décidé de régler le problème du Moyen-Orient à elle toute seule au travers de ma personne. En début d’année en faisant l’appel elle lit difficilement mon état civil : « Hagay… Hanoch… Sobol, né à Kfar Saba… Israël… Imprononçable! Désormais tu t’appelleras Guy.» Et en plus de cela, j’étais dyslexique. « Rien à en tirer!» Pour me guérir de toutes mes tares elle m’accrochait mon cahier dans le dos pour faire le tour de toutes les classes, histoire d’améliorer mon orthographe. C’est pour cela que je suis allé par la suite au lycée chez les Dominicains, eux au moins, ils m’ont respecté et accepté tel que j’étais.
Nathan et Léah, eux, n’ont pas eu la chance d’étudier. Ils avaient tout perdu, sauf la vie, ce qui n’était pas rien car tant des nôtres étaient morts. Les quelques biens acquis avant la guerre, appartement ou atelier de couture avaient été aryanisés. Alors, pas question de les récupérer…
Ils attendirent un long moment, le retour improbable du père. Puis quand il n’y eu plus aucun espoir, la vie continuant malgré tout, des familles se sont recomposées. Ainsi entra dans la nôtre Shepcel Swornik, une vraie force de la nature, un survivant. Il avait en effet survécu à la révolution russe et s’était échappé du camp de Baume la Rolande. La police arrêta alors sa femme et ses deux enfants. Il rejoignit par la suite la résistance, mais depuis, il n’était plus vraiment là, il était en sursis. Il avait choisi ma grand-mère Brukha Besserglick, ce qui veut dire en judéo-allemand : « bénie et bonne chance », précisément parce qu’elle avait sauvé ses deux enfants. Pourtant, à chaque fois qu’il voyait mon père et ma tante, il leur demandait : « Pourquoi vous vous êtes vivants et pas mes enfants?» Le jour de son certificat d’étude qu’il réussit brillamment, il fit sortir Nathan de l’école pour qu’il devienne apprenti brocanteur. Ce n’était pas, loin s’en faut, son souhait le plus cher, mais que faire quand on est un enfant en des temps troublés. Alors dès qu’il avait un moment, il lisait tout ce qu’il avait pu trouver durant ses journées harassantes, des romans de gare au traité d’astronomie, une boulimie intarissable, un manque que rien ne pouvait combler. Mais, ce beau père, cet être meurtri et dur, comme la vie qu’il avait vécu, su aussi être un homme bon. Ainsi, il inscrivit Nathan à l’un des premiers cours de Judo de Paris, où il y fréquenta Duranton, le «Monsieur Muscle» de l’époque. Ce sport devint vite pour Nathan un élément central de sa vie, un code d’honneur et une philosophie. Le Judo remplaça l’éducation qu’il n’avait pas eue. Plus tard, grâce à son expérience, il mit en place les bases de l’École d’Israël d’arts martiaux. Il forma des champions, ceux qui allaient populariser le «Krav maga». C’est tout lui ça : il, enseigne, il forme les autres. Il ne pense pas un seul instant à lui alors que tout le désignait pour occuper des postes prestigieux.
Maintenant, le discours est achevé, ce sont les condoléances, des gens venus du monde entier sont là, d’Amérique, de Grande-Bretagne, d’Australie, d’Israël… Nombreux sont les anciens des mouvements de jeunesse : le Dror et l’Hashomer Atzaïr. Des orphelins pour la plupart ou élevés par des rescapés de la shoah, c’est là qu’il a rencontré celle qui deviendra sa femme, ma mère, Hannah Goldkranz, «Couronne d’or» en Allemand, tout un programme. Ceux là sont la vraie famille de mes parents, ils se sont éduqués mutuellement. Ils partageaient l’indicible, ce qui ne peut s’exprimer par des mots. Je les connais bien également, ils m’ont pour ainsi dire élevé quand nous étions au Kibboutz. Ils me considèrent tous comme leur enfant et en même temps, ils évoquent les souvenirs de l’armée comme si je l’avais faite avec eux. Au cours des années, leurs souvenirs sont devenus aussi les miens. Mais en ce jour particulier tout se confond. Il est vrai aussi que j’étais là avec eux puisque j’étais le premier né du groupe et que ma mère n’était pas encore démobilisée alors qu’elle était enceinte. Chacun raconte qui une anecdote, qui un service rendu par mon père, mille et un petits détails mais aussi des pans de vie qui m’étaient inconnus jusqu’alors…
Mon père nous parlait peu, pour les discours il laissait plutôt faire ma mère, pianiste, premier prix de conservatoire. Elle savait mettre les mots en musique. Lui, c’était un roc, un homme fidèle qui ne manquait jamais à l’appel, mais c’était dans l’action et par l’exemple, qu’il donnait à apprendre.
Me voilà reparti plus de cinquante ans en arrière. Jouant de la guitare au coin d’un feu avec les amis des mouvements de jeunesse chantant des chansons politiquement engagées. Nous rêvions tous de bâtir un avenir meilleur et de monter en Israël, de fuir ces horreurs que l’on ne peut oublier et après avoir été humiliés, exterminés, se redresser et devenir la première génération de combattants. A cette époque pour les garçons le service militaire ce pouvait être soit l’Algérie, soit Israël en vertu du «formulaire B» qui autorisait un citoyen français à servir la France dans le cadre d’une armée étrangère. L’Egypte, était l’ennemi commun, de la France, de la Grande-Bretagne et d’Israël, car Nasser armait le FLN et prônait la lutte armée contre les occidentaux. Alors pour ces enfants qui avaient trop vite grandi, et dont la plupart n’étaient pas encore majeurs, le choix était simple. Nous avons pris le bateau pour traverser la Méditerranée.
Soudain, ma mère se blottit contre moi et me dit : « Tu as vu… ils sont tous venus…». Je les regarde alors, ils ont tout à coup leur âge. Ils ont des cheveux blancs, ils sont fatigués et malades. Ils pensaient tous que mon père serait le dernier à partir. Comme quoi ! L’un d’eux me dit alors :«Tu sais, il s’en est allé comme il a mené sa vie, dans la dignité.»
Dignité…
Dès leur arrivée, en pleine campagne de Suez, la guerre du Sinaï, on leur a signifié leur affectation et mis dans les mains un fusil. Comble du paradoxe, c’étaient des armes allemandes fournies par la Tchécoslovaquie. Il y avait encore, l’aigle et la croix gammée. Ces fusils allaient bientôt se retourner contre leurs anciens maîtres qui avaient fuient le Reich après la défaite grâce à quelques complicités et rejoint le Proche et Moyen Orient pour faire profiter les armées des dictateurs du cru de leur savoir-faire. En face, ils n’en avaient aucun, pour seule expérience, ils avaient la rage de vivre et la dignité des survivants.
Une fois le conflit terminé, ils ont été affectés au Kibboutz Eyal, près de Kfar Sabah, l’endroit où je suis né. Cette ferme collective était un poste avancé sur la frontière Jordanienne, si on peut l’appeler ainsi. Car en fait le territoire d’en face, c’était la CisJordanie, la Palestine arabe mort-née annexée par les Jordaniens en 1948. Dans le Sud, Gaza était passée sous souveraineté Égyptienne. Il n’y avait malheureusement aucune voie à l’époque pour s’élever contre ce déni de justice. Au Kibboutz, l’emploi du temps était simple quand on n’était pas soldat on était agriculteur. L’ambiance était chaude au sens propre comme au figuré. Les Fedayins et les soldats Jordaniens tiraient régulièrement des obus de mortier sur les agriculteurs, en l’occurrence mes parents. Les snipers faisaient des cartons sur les pensionnaires du jardin d’enfants, c’est-à-dire moi. Et parfois dans la nuit un commando se glissait dans l’enceinte faisant des victimes, histoire de nous rappeler que si nous étions encore en vie, c’était parce qu’ils le voulaient bien. A cette époque, Nathan et Hannah étaient les seuls du groupe à avoir un enfant. Ils vivaient de plus en plus mal cette situation. Mais, c’est un autre ennemi, plus sournois encore qui leur força la main. Ma mère tomba gravement malade : une hépatite virale fulminante. Il n’y avait pas de traitement. Elle ne pesait plus que 35 kg. Il n’y avait plus qu’une solution : un rapatriement sanitaire et un pronostic très sombre à la clef.
Retour de toute la famille en France dans des conditions matérielles et morales que je vous laisse imaginer, … et l’attente… Nathan, trouva un métier de commercial et très progressivement, la santé de ma mère s’améliora. C’était miraculeux. Puis la vie a repris son cours, encore une fois. Notre avenir, ce serait désormais la France, comme mes grands parents l’avaient choisi au début du siècle.
Et mon frère Serge est né. Alors, à partir de cet instant, l’unique objectif de mes parents fut de nous pousser à étudier et d’aller le plus loin possible, pour nous, mais aussi aux noms de ceux qui n’avaient pu être.
Puis vint mai 68, l’année des barricades mais aussi de la fermeture de l’entreprise où travaillait mon père. Que faire ? Un ami, Max, dit à Nathan : «En attendant que ça aille mieux, tu devrais essayer les marchés. C’est temporaire. Je te remplis un camion de marchandises, du linge de maison : des mouchoirs, des serviettes, des draps, des couvertures, et quand tu peux tu me rembourses». Alors mon père accepta. Il n’y connaissait rien, mais il n’avait pas le choix.
Pour son premier marché, à Vénissieux dans la banlieue lyonnaise, il m’emmena avec lui. Je me souviens, nous étions dans un vieux tube Citroën gris à la tôle ondulée. En longeant le Rhône nous sommes passés devant la Faculté de Droit Jean Moulin, au sommet de laquelle flottait fièrement un drapeau noir, …la révolution encore… Puis nous sommes arrivés sur la place du marché. Mon père ne savait même pas comment monter un banc. Alors, il déballât comme il le put, et moi de l’aider en transportant quelques paires de drap. Puis, il me confia la garde du camion et de la marchandise, fit le tour du marché pour apprendre en accéléré l’essentiel de ce qu’il fallait savoir. Il revint, un éclair de joie brillait dans ses yeux. Il avait compris en voyant quelques commerçants haranguer la foule, ce qu’il pouvait en faire, non pas simplement de la « postiche » comme on dit dans le jargon du métier mais monter un spectacle. Le théâtre qu’il avait pratiqué au mouvement allait lui servir. Ainsi rapidement, lui qui n’était connu de personne allait créer un style, une méthode que de nombreux collègues et leurs enfants allaient étudier et mettre en application par la suite. Il comprit aussi, qu’il pouvait travailler autant qu’il voulait, comme il le voulait, sans patron au-dessus de lui. Avec ma mère ils faisaient jusqu’à trois marchés par jours.
Puis, ils se lancèrent dans des tournées, faisant des foires dans toute la France. Par la suite, ils optèrent pour la confection et furent les premiers à introduire des grosses pièces de cuir et de fourrure sur les foires et marchés. Vous imaginer, vendre du renard et du vison en dehors d’un magasin de luxe, en plein air quel que soit le temps, qu’il pleuve ou qu’il vente ?
Ce qui ne devait être qu’un état passager, devint une grande aventure. Nous venions avec eux travailler les week-ends et pendant les vacances. Ce fut notre premier métier à mon frère et moi. Non pas que nous étions obligés mais c’était une école de la vie, et tout nous paraissait plus facile à côté. Ainsi, nos parents nous ont donné une solide motivation pour faire des études.
Mon père aurait été fier que je sois un élu de la République
Je me souviens, il y a de cela quelques années, j’étais déjà Professeur à la Faculté de Médecine de Marseille. J’étais monté à Lyon pour un congrès au Centre International de Recherche sur le Cancer et devais repartir assez tôt. Au même moment, mes parents faisaient leur dernière foire avant de prendre leur retraite, celle de Saint-Genis-laval, juste à côté de la maison. Je n’ai pu trouver le repos durant cette journée. Aussi, dès mon topo terminé et la série de questions d’usage avec la salle, j’ai pris le bus direction Saint-Genis. Ayant fait le premier marché avec mon père, je ne pouvais pas décemment ne pas faire la dernière foire avec lui. Imaginez son regard, quand il me vit arriver en costume, défaire ma cravate, poser ma veste et sans un mot commencer à rentrer la marchandise dans le camion. Il avait un sourire d’enfant et ses yeux étaient mouillés de larmes. J’ai encore le cœur serré en me remémorant cette image. Ce n’était rien mais pour lui cela valait mille remerciements. Il avait eu le même regard quand quelques années auparavant il faisait briller la plaque neuve du cabinet dentaire que mon frère Serge venait d’ouvrir. Il y avait inscrit le nom « Sobol » dans la plus grande artère de Lyon, lui dont le père n’avait pas même eu une sépulture. Quelle fierté au sens noble du terme, une victoire sur l’adversité.
Une fois, cette page tournée, Nathan se mis à étudier l’informatique. Depuis longtemps, il nourrissait une passion pour la technologie, sans jamais avoir eu le temps de passer à l’acte. Il devint rapidement plus expert que je ne le serai jamais. Il se mit à marier sa nouvelle passion avec sa passion de toujours, la photo. Il restaura de vieux films, fit des montages pour lui et pour d’autres bref, il n’arrêtait pas.
Malgré un agenda très chargé, il paraît que les retraités sont encore plus occupés que les actifs, il trouvait cependant le temps d’être un époux attentionné et un grand-père attentif et prévenant avec ses six petits-enfants. Pour chacun d’eux il faisait quelque chose de particulier. Il gardait toujours son calme, savait gérer les crises alors que les parents étaient à bout. Je l’ai vu leur parler et agir comme il ne l’avait jamais fait avec nous ses enfants. Je le découvrais sous un jour nouveau… rayonnant, souriant, joyeux et heureux. En feuilletant les albums photos je le vois, tenant dans ses bras à tous les âges, Eliore l’aînée qui fait son droit, Ilana l’athlète, Lisa la joyeuse et David notre dernier, le philosophe. Ils sont à côté de leur Papy et ils rient, c’est l’expression parfaite du bonheur.
David justement, âgé d’à peine sept ans, en revenant de Lyon, après l’enterrement, me pris le visage entre ses deux mains. Il me dit avec une voix douce et pleine d’assurance : « Tu sais papa, Papy est heureux maintenant. Tu ne dois pas être triste, il n’est pas parti. Il est là, tout autour de toi et il ne serait pas content de voir comme ça.» C’est vrai ! Quand je l’ai vu au dépositoire, il était beau. Il avait un visage sans rides comme apaisé.
Désormais, je reçois des témoignages de sympathie de personnes que je ne connais pas. Ils avaient rencontré mon père et il avait compté pour eux. Il les avait aidé quand ils étaient dans le besoin ou avait simplement fait un geste; c’est si rare de nos jours. A l’exemple de l’un de ses locataires, un jeune homme dont la famille de diplomates vivait à l’étranger. Il était seul en France pour faire ses études et ce dernier le considérait comme son grand père partageant le même goût des arts martiaux. Il nous a adressé un courrier très touchant, dans lequel il avait joint la photo d’une plage avec un soleil couchant magnifique et un morceau de sa ceinture de judo. Il disait dans sa lettre : «Ce bout d’étoffe sera comme un voile pour votre père qu’il puisse faire son dernier voyage vers des contrées plus clémentes».
Mon père ne m’avait jamais parlé de tout cela et j’en découvre encore tous les jours. Se dessine, désormais, un portrait nouveau plus complet, celui d’un homme authentique, d’un sage, d’une belle âme. J’ai tant appris de lui. C’est mon modèle. Et je sais en entendant mes enfants et nombre de personnes autour de moi qu’il en est de même pour beaucoup d’autres. Il aurait eu toutes les raisons du monde d’en vouloir à la terre entière, au lieu de cela il nous a légué le devoir de vivre, de transmettre et d’agir pour qu’une telle tragédie ne se reproduise plus.
Ce combat contre l’adversité et l’injustice je le mène déjà au quotidien contre la maladie, le cancer. Mais comme l’actualité l’impose à nouveau, j’ai décidé de m’engager en politique pour lutter contre l’intolérance, le racisme l’antisémitisme et l’exclusion sous toutes ses formes. Mon père aurait été fier que malgré la Shoah et ses complices hexagonaux, je reste fidèle aux valeurs de la France en étant aujourd’hui un élu de la République.