Publié le 16 décembre 2018 à 18h39 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 20h42
Le vote de « procédures d’urgence » pour les sinistrés de la rue d’Aubagne et les immeubles menacés d’insalubrité a occupé une large part des débats du conseil métropolitain d’Aix-Marseille-Provence de ce 13 décembre. Des propos pas toujours constructifs, prenant souvent l’allure de règlements de comptes politiques, les différentes formations au sein de l’hémicycle n’ont pas manqué de se renvoyer la responsabilité du problème… Au final, un constat s’impose : il faudra du temps pour guérir la cité phocéenne de ce fléau qui la ronge.
Le silence, fait observer par Martine Vassal (LR) dans l’hémicycle métropolitain en hommage aux victimes de la rue d’Aubagne ainsi que celles de l’attentat de Strasbourg, n’aura duré que la minute protocolaire, lors du conseil du 13 décembre dernier. «En ces moments tragiques, nous devons rester unis autour de la République et de ses valeurs», a ainsi prononcé la présidente d’Aix-Marseille-Provence… En vain. Forcément, le sujet de l’habitat indigne est délicat. Forcément aussi, il peut se prêter à la manœuvre politicienne. Et forcément, ceux qui s’y risqueraient ce jour-là connaîtraient le retour de bâton, tensions obligent… Pour autant, c’est en espérant un «débat et des propositions constructives» que Martine Vassal en dévoile en préambule un peu plus sur son «plan Marshall». «Les mesures d’urgences ont été prises, le Département et la Métropole ont apporté leur soutien à la ville de Marseille. Le conseil de territoire Marseille Provence a pris en charge l’aspect sécurité, notamment celui lié aux voiries… » Par ailleurs, elle annonce l’implantation d’une maison de l’habitat au 19, rue de la République, une direction spécifique au logement et à l’habitat indigne, forte de 28 collaborateurs… Elle évoque aussi l’octroi d’un fonds de solidarité en faveur des commerces et artisans impactés par les événements de la rue d’Aubagne, en partenariat avec la CCI Marseille-Provence, faisant l’objet de la délibération 266bis. Elle informe de l’activation prochaine de l’ATD13, «pour que des formations puissent être dispensées aux maires et à leurs collaborateurs, afin qu’ils sachent quoi faire lorsqu’il y a arrêté de péril et ne soient pas démunis». L’État ne restera pas en retrait, explique-t-elle encore, puisque après deux rencontres avec le ministre du Logement, Julien Denormandie, une enveloppe de 240 M€ devrait être débloquée. Enfin, Martine Vassal entend se servir des outils juridiques à sa disposition. Elle prévoit une accélération supplémentaire des DUP, (Expropriations pour cause d’utilité publique) entend faire jouer le droit de préemption, expérimenter le permis de louer. «Nous nous engageons à le mettre en œuvre de façon expérimentale. Il faudra définir un périmètre pour cela.» Par ailleurs, elle implique les bailleurs sociaux dans l’achat et la réhabilitation d’une centaine d’immeubles du centre ville. 13 Habitat par exemple en achètera 16, situés notamment rue Sénac, rue de Rome ou encore avenue Saint-Pierre… Elle finira par l’annonce de l’organisation d’Assises citoyennes de l’habitat en 2019.
De la responsabilisation des édiles
De premières mesures qui «vont bien» à la sénatrice socialiste Samia Ghali, certaines ayant été émises par le PS… et reprises. Elle répondra au vœu de Martine Vassal de rester constructive. «Je vous remercie de reconnaître qu’il y avait désordre. Marseille a souffert, souffre et ne doit plus souffrir. Nous devons mettre en place des outils pour ne plus avoir à annoncer des noms de victimes en début de séance. Le permis de louer me paraît essentiel. Je souhaiterais toutefois qu’il soit étalé sur tous les territoires marseillais, voire même au-delà. Aucun maire ne peut être à l’abri de ce qui est survenu à Marseille, il faut donc se prémunir», avance-t-elle. Et il est vrai que le drame de la rue d’Aubagne a violemment mis les édiles face à leurs responsabilités. A commencer par Jean-Claude Gaudin (LR) lui-même, affirmant au début de son intervention que ce drame l’a «personnellement accablé. J’y pense tous les jours. Ce qui est survenu oblige le maire. Au-delà, cela nous oblige tous à la responsabilité et à l’humilité. » Idée reprise par le maire de Grans et vice-président du conseil de territoire Istres Ouest Provence, Yves Vidal (DVG) : «Il n’y a pas que Marseille qui est concernée, même s’il ne s’agit pas de la même échelle. J’ai pensé que moi aussi je pouvais me retrouver dans la situation de Jean-Claude Gaudin.» Ainsi pour Samia Ghali, tous les maires de secteurs, mais aussi ceux des communes de la Métropole doivent «se réunir pour savoir où sont exactement les poches de précarité afin de pouvoir agir». Il faut aussi mettre les syndics face à leurs responsabilités, poursuit-elle. Et instituer le droit au retour comme cela se fait dans le cadre de l’Anru. «Quand on va reconstruire sur les sites, nous devons laisser la possibilité aux personnes de revenir là où elles avaient leurs habitudes.» Elle appuiera par ailleurs sur la nécessité d’avoir de meilleurs outils pour rendre compte des réalités de terrain. «Sept signalements d’habitats indignes seulement avaient été faits jusqu’ici à l’ARS. Ce n’est pas possible, il y en a forcément plus… »
Quels outils, quelle efficience ?
Et cette question de l’efficience des outils à disposition, elle reviendra pendant une bonne partie du débat. Dans les propos de Yves Vidal par exemple, lequel expliquera «qu’il n’y a aucune possibilité juridique de dire au propriétaire de fermer ces logements. Nous sommes par ailleurs dans l’incapacité de faire sortir le locataire de son logement. S’il ne veut pas s’en aller, il n’y a aucun recours possible… » Dans ceux de Frédéric Guinieri (DVG) également, revenant sur les écueils du permis de louer : «On sera sur le flux et non pas sur le stock. Au-delà de la loi Elan, il faudra inventer des choses localement. Les outils on les a : ce sont les arrêtés d’insalubrité, les arrêtés de péril… Mais les procédures sont à retoiletter pour être plus opérationnelles.» Toujours sur le permis de louer, Arlette Fructus complètera en expliquant pour quelles autres raisons ce n’est pas «l’alpha et l’oméga des outils. Il n’a qu’un aspect déclaratif, il devra mobiliser une équipe extrêmement importante »…
Mais outre cette question des outils, à laquelle Marie-Arlette Carlotti (PS) apportera sa part avec l’idée d’un Observatoire du mal logement, c’est avec le sentiment que «le compte n’y est pas» que l’ancienne ministre prend à son tour la parole. Arguant que depuis la présentation à la presse du plan Marshall de quelque 600 M€ contre le mal-logement, «l’imprécision» a pris le pas et «la montagne a accouché d’une souris». Elle trouve maigre en effet les trois délibérations (390, 391 et 392) portées sur le sujet à l’ordre du jour et dont les grandes lignes ont été évoquées en préambule par Martine Vassal. Mais c’est surtout à la présidente et à la couleur politique qu’elle représente qu’elle s’attaque : «La situation que vit Marseille aujourd’hui, c’est celle du mal-logement. Votre politique en la matière a été insuffisante, vous êtes coresponsable. Vous avez toutes les manettes et vous n’avez rien fait. Il y a même des marchands de sommeil parmi les élus… qu’ils quittent nos rangs, ils nous discréditent. Tout ce que vous mettrez en place n’aura aucune portée s’ils restent. Allez donc plus loin à l’égard de ces élus qui nous portent tort. J’ai par ailleurs relu votre lettre de candidature deux mois avant votre élection. Il n’y avait pas un mot sur cette question de l’habitat indigne. Mais vous vous êtes ressaisie… » Auparavant, c’est Muriel Prisco (PS) qui avait porté une première estocade en évoquant une ville «rattrapée par les démons de l’abandon», et dont «les forces de relogement sont bien faibles pour ces familles sinistrées». Des propos qui bien sûr, feront bondir une bonne partie de l’assistance.
Les esprits s’échauffent
Tel Claude Filippi (LR), ne se privant pas de faire quelques piqûres de rappel. «Il y a ici des élus qui ont été ministres, qui n’ont rien fait lorsqu’ils ont été au pouvoir et qui récupèrent le drame de la rue d’Aubagne à des fins politiciennes. Sous le mandat de François Hollande, Marseille a été asséchée en termes de subventions de l’État et elle a par ailleurs été contrainte dans la mise en place de la Métropole.» Stéphane Ravier (RN) ira plus loin encore dans ce discours, tentant quant à lui de discréditer les élus de tous bords… sauf le sien. Il se fendra ainsi d’un «vous êtes tous responsables», tentant non seulement d’incriminer à gauche, outre Marie-Arlette Carlotti, Samia Ghali au motif qu’elle non plus n’a rien fait du temps de son mandat de sénatrice. Mais se voyant de nouveau accorder la parole, elle répondra à ce dernier qu’elle avait à l’époque alerté sur l’état des logements de la cité Kallisté. «Si je n’avais rien fait, avant la rue d’Aubagne, c’est Kallisté qui aurait fait les gros titres ! » Pascale Morbelli (PS) à son tour ira ruer dans les brancards du maire des 13e et 14e arrondissements de Marseille RN, lui signifiant qu’«il n’a de leçon à donner à personne»… Celle-ci pointera en outre le sujet du logement social : «Si le mètre carré coûte 10 euros dans l’habitat indigne alors qu’il est à 6 à 8 euros dans le logement social, cela veut dire que le champ concurrentiel n’est pas existant. On ne répond pas aux exigences des habitants»…
Pour autant, Lionel Royer-Perrault (LR) apportera sur la table quelques chiffres, démontrant que l’action de 13 Habitat, qu’il préside, n’est pas vaine. Ce ne sont en effet pas moins de 70 M€ par an qui sont investis pour les réhabilitations, 75 M€ pour la construction de logements neufs. Le bailleur social ajoute ainsi à son parc chaque année plus de 700 logements. Il rappellera ensuite la réalité sociale du territoire, les exemples qui ne manquent pas. Comme celui de cet homme, «ayant ces deux enfants en garde alternée et ne gagnant que 245 euros par mois… Il n’est même pas éligible au logement social, avec ce niveau de revenu. Il y a donc d’autres prises en charge à inventer. »
«Que Marseille se relève»
Le débat tournera enfin autour des mesures mises en place pour les personnes relogées. C’est cette enveloppe qui couvre leurs premiers loyers, ce sont aussi ces fonds collectés par la Croix-Rouge et redistribués sous forme de bons d’achat pour se rééquiper, détaillera Xavier Méry (LR)… Des aides mises en place en tenant compte de la typologie établie : ceux qui ne veulent plus habiter rue d’Aubagne, ceux qui sont en train de regagner leur logement, ceux qui vont devoir encore rester à l’hôtel en attente des travaux… Arlette Fructus évoquera quant à elle la mise en place «d’une politique partenariale où l’État a toute sa place». Et le choix d’un opérateur, Soliha Provence, chargé de l’intermédiation locative et cheville ouvrière dans le plan de relogement dont feront l’objet les sinistrés. Ainsi, la majorité aura à cœur de montrer que la dynamique s’est mise en marche, à la suite du drame de la rue d’Aubagne. Ce sont «plus de 500 personnes mobilisées sans compter leur temps sur cette question. L’ouverture d’un restaurant éphémère dans le bâtiment des associations sur la Canebière, où 7 000 repas ont été servis à ce jour», illustre Jean-Claude Gaudin. Tout en espérant que l’État fasse sa part, que ses aides «arrivent de manière plus nette», il rappelle à tous enfin qu’une «enquête judiciaire est en cours, elle dira où sont les responsabilités». D’ici là, «un travail en commun est indispensable. Je souhaite que Marseille se relève», conclura-t-il.
Carole PAYRAU