MuCEM: L’Albanie à la recherche de son identité du 24 septembre au 2 janvier 2017

Publié le 28 septembre 2016 à  20h54 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  15h37

La question de l’identité n’est pas seulement un thème politique. C’est aussi une thématique artistique. Huit plasticiens albanais contemporains le montrent avec puissance dans la petite mais dense exposition « Albanie 1207 km Est » au MuCEM, sur l’esplanade du Fort Saint Jean, à Marseille.

Enkelejd Zonja réalise de grands formats critiques du réalisme socialiste du temps de la dictature.  (Photo A.L.)
Enkelejd Zonja réalise de grands formats critiques du réalisme socialiste du temps de la dictature. (Photo A.L.)
Francis Coraboeur, attaché culturel à l’Ambassade de France à Tirana devant une oeuvre d'Enkelejd Zonja (Photo A.L.)
Francis Coraboeur, attaché culturel à l’Ambassade de France à Tirana devant une oeuvre d’Enkelejd Zonja (Photo A.L.)

Ils sont huit, ils sont jeunes, ils n’ont pas connu ou très jeunes la dictature d’Enver Hoxha (ou Hodja selon l’orthographe occidentale). Ils donnent matière à réflexion universelle. Ils doivent cette reconnaissance à Francis Coraboeur, attaché culturel à l’Ambassade de France à Tirana, qui les a sélectionnés pour leurs références à l’Histoire, au folklore albanais, au réalisme socialiste. Il a organisé en 2015 pour eux un salon d’art contemporain à Tirana qui s’exporte à Marseille. 25 ans après la chute de la dictature, la «période de transition» a été suivie par l’arrivée au pouvoir d’un Premier ministre artiste, Edi Rama. Lorsqu’il était maire de Tirana ce dernier avait fait peindre les façades de la ville de couleurs vives dans un élan d’utopie artistique pour redonner vie à la ville. «Mais il ne suffit pas d’être artiste pour aider les arts dans son propre pays», selon les plasticiens albanais présents à Marseille pour cette exposition ouverte la semaine dernière.
«Albanie 1207 km Est», est la distance entre Marseille et Tirana, la capitale de ce petit pays de l’Adriatique. Du 24 septembre 2016 au 2 janvier 2017, cette exposition invite à une réflexion qui nous dépasse comme souvent les propositions du MuCEM sur l’esplanade du fort Saint-Jean avec des artistes venus, du Maric, de Grèce et de Tunisie, exposer leurs doutes. Des représentants significatifs de ces pays qui posent des questions dont ils n’imaginent pas la réponse. Ceux que nous avons rencontrés ces dernières années au MuCEM, comme les Albanais aujourd’hui, estiment qu’ils ne peuvent avancer sans avoir dépassé leurs préjugés. Le problème des Albanais actuellement c’est le fantôme d’Enver Hoxha. Mort en avril 1985 après 50 ans de règne d’une dictature sans partage isolant son pays du reste du monde, le staliniste Enver Hoxha hante la jeune génération albanaise. Elle recherche son identité figée en folklore par la propagande. Il ne s’agit pas de reprendre le rêve d’une grande Albanie du début du XXe siècle rassemblant tous les albanophones d’Albanie actuelle aux frontières figées depuis 1919 après 4 siècles d’occupation ottomane. Cette grande Albanie engloberait le Kosovo, des parties du montenegró et de la Grèce. Il ne s’agit pas de retourner dans le passé mais de se retrouver dans l’espoir de percevoir l’identité d’origine en raturant 50 ans de dictature stalinienne.
Endri Dani (né en 1987 à Shkodra) gratte ainsi la couleur peintes sur des statuettes folkloriques pour arriver à la terre crue sans identifications possibles comme pour montrer que nous ne savons rien du passé derrière le masque des couleurs appliquées sur ces statuettes pendant la dictature. Cette quête identitaire apparaît également dans le passage à l’acide d’un couvre lit dotal traditionnel dont il ne reste que les motifs en gris sale. On retrouve les formes géométriques très colorées disparues du couvre-lit sur une bétonnière baptisée «Palimpsest 01». Le scénographe Olivier Bedu conduit naturellement le spectateur à comprendre que les formes du couvre-lit une fois effacée peuvent être retrouvées de façon éphémère sur l’acier de la bétonnière qui va permettre de reconstruire. Un pays nouveau sur des ombres de folklore.
Fani Zguro Exterminator
Fani Zguro Exterminator

La méthode du palimpseste consistant à gratter les textes ou images anciens pour en écrire d’autres est utilisée aussi par Fani Zguro (né en 1977 à Tirana). Il détourne à l’aide de calques et de griffonnages noirs des images de la propagande d’Enver Hoxha et ne garde que les attitudes du dictateur dans ses discours. Il gratte aussi des phrases ou des paragraphes entiers sur des documents pour «prendre de la distance vis-à-vis de la doxa du passé», précise Jean-Roch Bouiller, commissaire de l’exposition. Il expose aussi des photographies anciennes dont des personnages avaient été découpés ou peinturlurés sous la dictature. Cet évidage ou «caviardage» des images avait pour but d’éviter d’aider la police politique à de mettre en relation des individus. Ce procédé «pose la question de la mémoire individuelle et communautaire», précise Jean-Roch Bouiller qui est également conservateur en chef et responsable du secteur art contemporain du MuCEM.
Leonard Qylafi affiche des peintures issues de photos de propagande mal colorisées et floues du temps de la dictature
Leonard Qylafi affiche des peintures issues de photos de propagande mal colorisées et floues du temps de la dictature
Zef Shoshi (daté de 1974) du plus pur réalisme socialiste «classique» (krijimi i kooperatives © National gallery of arts Albania)
Zef Shoshi (daté de 1974) du plus pur réalisme socialiste «classique» (krijimi i kooperatives © National gallery of arts Albania)

La recherche d’identité s’affirme dès l’abord de l’exposition par une vidéo montrant à l’entrée de la salle un drapeau albanais flottant au vent. Une image fascinante et presque hallucinogène de Yillka Gjollesha (née en 1985 à Dobra) qui dure 10 minutes. Une volonté affichée des artistes d’affirmer leur identité. Même s’il leur faut la chercher encore. Ermela Teli (née en 1981 à Tirana) est plus violente dans son approche du passé récent. Son film «architecture de tristesse» montre des ombres rappelant de vieilles légendes, des bâtiments industriels abandonnés et des silhouettes sans but. Une vision sans espoir d’un pays de plus de 3 millions d’habitants par ailleurs magnifique. «L’histoire et l’identité sont les deux bases permettant de se connaître soi-même, a indiqué Ermela Teli à Destimed. Sans identité vous n’êtes personne. L’Albanie sort d’une longue dictature et d’un grand isolement. Personne ne sait bien ce qu’est l’Albanie ni même ou elle se trouve sur la carte. Nous avons besoin de montrer la vérité pour exister et retrouver notre propre identité», a-t-elle ajouté.
Driant Zeneli (né en 1983 à Shkodra) qui a représenté l’Albanie en 2011 à la Biennale de Venise met en scène des châteaux construits par les profiteurs du système qui ont bâti et imposé aux paysages leurs rêves de puissance comme de monstrueux Facteurs Cheval. Anri Sala (né en 1974 à Tirana) qui a représenté la France à la Biennale de Venise en 2015, présente un parcours en voiture avec le premier ministre Edi Rama dont il filme, de nuit, les immeubles peints qui perdent leurs couleurs vives sans la lumière du jour. Leonard Qylafi (né en 1980 à Korça ) affiche des peintures issues de photos de propagande mal colorisées et floues du temps de la dictature. Illir Kaso (né en 1992 à Përmet) et Adrian Paci (né en 1969 à Shkodra) mettent en scène vidéo leur famille : pour montrer le passage du temps sur l’image de sa mère pour le premier et le poids de l’exil et le besoin de conserver son identité pour le second à transmettre à sa fille. Enfin, Enkelejd Zonja (né en 1979 à Fier) réalise de grands formats critiques du réalisme socialiste du temps de la dictature. Ses deux grands tableaux sont un regard vers le passé. Que ce soit l’œuvre devant laquelle il pose, qui est une irrévérence au réalisme socialiste dont il s’inspire, et comme il est représenté par le tableau en regard de Zef Shoshi (daté de 1974) du plus pur réalisme socialiste «classique». Dans une dernière impertinence, il se moque par ailleurs du culte de la personnalité voué à Enver Hoxha dans son tableau intitulé «In your Vein» moquant la scène de Saint-Thomas doutant que la personne devant lui était bien le Jésus qui avait été crucifié. «C’est du néo réalisme socialiste, reprenant les canons de ce passé pour le montrer sous un autre angle», a déclaré Enkelejd Zonja à Destimed. «C’est ma façon de questionner le passé : qu’était-il et comment est le présent ? Ce tableau montre de façon critique et façon superficielle que l’ombre d’Enver Hoxha est toujours là et influence le présent », a conclu Enkelejd Zonja.
Antoine LAZERGES

« Albanie 1207 km Est » du 24 septembre au 2 janvier 2017 au Mucem Fort Saint Jean
ouvert tous les jours sauf le mardi – Entrée Panier Parvis de l’Église Saint-Laurent & Esplanade du J4 mucem.org/

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