Publié le 14 avril 2019 à 8h16 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 23h38
L’exposition «Le bikini invisible » de Lina Hentgen et Gaëlle Hippolyte est à découvrir du 17 mai au 10 novembre à la galerie contemporaine du Mamac de Nice. Une proposition ponctuée de grandes toiles, films, sculptures et installations. Entre esprit fantasmatique et résurgence pop, cet univers évoque un décor de fiction, en attente de son activation.
Le bikini invisible… Le titre sonne comme l’amorce d’une improbable enquête qui nous mènerait sur les traces d’un bikini égaré en des lieux exotiques. A moins qu’il ne s’agisse d’une affaire d’attentat à la pudeur dans une cité balnéaire écrasée sous le soleil d’été ou d’un super-pouvoir accordé à un banal accessoire. L’intrigue qui s’esquisse là semble jouer des réminiscences du polar de gare, autant que des bandes dessinées qui bercent l’enfance ou des comics underground. Disséminées dans l’espace, les créations d’Hippolyte Hentgen surgissent comme autant d’indices et d’amorces narratives qui alimentent le mystère. Des mains, jambes et pieds démesurés, désincarnés de tout corps ou personnage, flottent dans l’espace, se déploient au sol ou pendent, flapis, sous leur propre poids. Leurs couleurs outrées, les ongles nacrés et la préciosité de leur présentation sur des portants cuivrés, désamorcent l’inquiétude possible de ces corps-ilots flottants. Le fantasque et le burlesque l’emportent. Ces membres à l’existence autonome, grotesques par leurs formes et leur abandon mou, précieux par le soin des coutures et des détails, semblent en effet tout droits sortis de cartoons, comme échappés des personnages aplatis, étirés et pulvérisés avec jubilation par Tex Avery. Ces formes fondues, émancipées du destin bidimensionnel que leurs réservent dessins d’animations et bandes dessinées, jouent également de réminiscences pop. Comment ne pas penser aux sculptures molles de Claes Oldenburg ou aux silhouettes de vinyle de ses contemporaines Teresa Burga ou Kiki Kogelnik, face à cette parade de corps informes et d’objets triviaux (cigarettes, journaux). Cette évocation pop est renforcée par la présence de tentures mêlant Pin-up plantureuse et onomatopées.
Au centre de l’espace et au cœur de l’intrigue, une grande baigneuse allongée dévoile son corps sans visage. Vêtue du fameux bikini et bottée, cette créature évoque les jambes démesurées des héroïnes sexy des comics des années 1960-70, notamment les amazones de Trina Robbins. Contrariant cette planéité, des mains potelées, voire hypertrophiées dansent dans l’espace, animant des écrans de leurs ballet de doigts. Ces mains pataudes de Mickey miment une icône de la danse contemporaine : le Hand Movie de la chorégraphe Yvonne Rainer, filmé en 1966 par William Davis. Hippolyte Hentgen joue de ce métissage de langages, de cette hybridation d’univers non destinés à se côtoyer. Dans son musée imaginaire, les productions de l’avant-garde, la bande dessinée, le dessin d’animation, l’illustration populaire ou le dessin de presse se mêlent sans complexes, faisant surgir un univers fantasque et jubilatoire affranchi des scories des hiérarchies de genres. L’artiste Arnaud Labelle-Rojoux parle à cet égard de phénomène de « pollinisation » à partir de ce qui constitue notre culture visuelle. Dans cet univers fécond où se métissent le grotesque et le raffinement, l’organique et l’inorganique, le dessin se déploie dans tous ses états. Ce bikini invisible composé au Mamac est bien sûr un clin d’œil acidulé et débridé à la Riviera, à ses corps alanguis et à ses stéréotypes ; un prélude à une fiction que le visiteur est libre de construire. C’est aussi une actualisation polissonne, effrontée, follement pop et délibérément malicieuse des œuvres des grandes figures qui ponctuent les collections du Mamac.
Biographie Lina Hentgen et Gaëlle Hippolyte ont étudié à la Villa Arson entre 1998 et 2006. De leur rencontre est née une collaboration à quatre mains sous le nom d’Hippolyte Hentgen. Hippolyte Hentgen a bénéficié d’une résidence à la prestigieuse Villa Kujoyama (Japon). Le travail a été montré dans de nombreuses expositions solo ou de groupe, notamment au Printemps de Septembre à Toulouse en 2018 ; au Musée de l’Abbaye Sainte-Croix, Les Sables-d’Olonne ; à la Synagogue de Delme ; au Crac Occitanie à Sète ; au MAMCO à Genève ou encore à la Villa Arson. |