Odéon de Marseille. « Art » de Yasmina Reza : Éloge de l’amitié plutôt que réflexion sur l’art contemporain

Créée le 26 octobre 1994 à la Comédie des Champs-Élysées de Paris avec Pierre Vaneck (Marc), Pierre Arditi (Yvan), et Fabrice Luchini (Serge) qui cédera sa place en tournée à Jean-Louis Trintignant « Art » de Yasmina Reza est une pièce mordante devenue un classique du théâtre français. On ne compte plus les différentes productions données un peu partout et on se souvient du trio Michel Blanc, Jean-Louis Trintignant, Jean Rochefort, puis celui formé par Charles Berling, Alain Fromager et Jean-Pierre Darroussin. Voilà aujourd’hui réunis sur scène Olivier Broche (Marc), Olivier Saladin (Yann) et François Morel (Marc), celui-ci signant la mise en scène.

Destimed aRT k
De gauche à droite Saladin, Morel, Broche, un trio éblouissant d’acteurs (Photo Aglaé Bory)

L’achat d’un tableau… blanc, avec des liserés… blancs

Marc, seul s’adresse d’emblée aux spectateurs : « Mon ami Serge a acheté un tableau. C’est une toile d’environ un mètre soixante sur un mètre vingt, peinte en blanc. (..) un tableau blanc, avec des liserés blancs. » Et de s’en offusquer ensuite auprès de lui s’indignant que cet être cultivé, médecin dermatologue qui a réussi ait pu acheter « cette merde 40 000 balles ». Le dialogue entre eux tourne vite au chapelet de reproches. Invité en quelque sorte à participer à la discussion Yann qui arrive peu après ne pousse pas les mêmes cris persifleurs. C’est un homme adepte du consensus qui n’aime guère les conflits. Sa position de modérateur va cependant voler en éclats.

Éloge de l’amitié

Si cette nouvelle mise en scène touche et amuse les spectateurs à des niveaux assez inégalables, c’est avant tout en raison du parti-pris choisi par François Morel. Plutôt que de prendre l’angle d’une critique acerbe de l’art contemporain, il a voulu mettre l’accent sur celui de l’amitié. « C’est quoi des vieux amis ? Des amis qui se connaissent depuis longtemps (ici 30 ans).» Mais un ami de 30 ans peut être un parfait inconnu. Et de montrer tout cela dans une lecture joyeuse de la pièce, ce qui est d’autant plus facile pour François Morel qu’il est entouré sur le plateau de ses deux complices de toujours Olivier Broche et Olivier Saladin. Ils sont exceptionnels tous les trois.

Du côté de Lubitsch et Wilder

Explosive cette version de « Art » ressemble à un film de Lubitsch ou Billy Wilder. Très visuelle, évoquant des choses finalement plutôt graves de façon hilarante la mise en scène nous emporte dans un tourbillon d’émotions et de rires. Avec notamment deux longues tirades jouées par Olivier Saladin, dont celle où Yvan exprime son désarroi devant un problème pour lui « insoluble, dramatique » concernant ses deux-belles divisées quant à savoir qui figurera ou pas sur le carton d’invitation de son mariage. L’acteur en fait un moment d’anthologie, si bien que la salle hilare applaudit à la fin de la scène. François Morel et Olivier Broche assistant à l’expression de ce qui leur semble une incongruité s’imposent tout en silence par des regards effondrés qui demeurent eux aussi…du grand art. Disons-le cette mouture de la pièce de Yasmina Reza qui pourrait ici s’intituler « le bonheur d’être vivant » est sans doute la plus irrésistible et la plus inoubliable qui se puisse concevoir.

« L’amitié » la chanson de Bourgeois et Rivière immortalisée par François Hardy

Pépite sur d’autres pépites François Morel qui a confié la création musicale de la pièce à son autre complice Olivier Sahler, conclut « Art » par une chanson. Lui qui aime particulièrement Anne Sylvestre au point d’avoir interprété en rappel dans un de ses spectacles « Les amis d’autrefois », un de ses chefs  d’œuvres a choisi (et il ne pouvait pas faire plus judicieux) de faire entendre « L’amitié » interprété par Françoise Hardy. Notons que cette chanson bouleversante écrite pour la chanteuse disparue par Bourgeois et Rivière, (les auteurs également de « Il suffirait de presque rien,» et de « Un petit oiseau, un petit poisson ») on la retrouve aussi en final du film « Les invasions barbares » au moment où l’avion redécolle. On est émus aux larmes en écoutant ce chef d’oeuvre absolu, serti d’or et de neige tombant sur le plateau par un François Morel maître artificier d’un spectacle beau, grand, noble et totalement inoubliable.

Jean-Rémi BARLAND

« Art » de Yasmina Reza avec Olivier Broche, Olivier Saladin et François Morel qui signe aussi la mise en scène. A l’Odéon – 162, La Canebière – 13001 Marseille jusqu’au samedi 1er mars à 20h. Plus d’info et réservations  sur lestheatres.net

 

De gauche à droite Saladin, Morel, Broche, un trio d’acteurs éblouissant. (Photo Aglaé Bory)

Articles similaires