Publié le 25 juillet 2021 à 10h00 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 19h21
C’est une pièce qui aurait pu être plombée par son propos. Racontant l’histoire de deux femmes confrontées l’une à la mort de son mari froidement assassinée et l’autre à la douleur de voir son fils meurtrier dans la même affaire condamné à la peine de mort. «La dernière lettre» apparaît comme une réflexion sur les rouages de la justice américaine.
Au final du théâtre d’idées avec thèse antithèse… foutaise. Intelligente, et surtout dotée d’un regard artistique sur le monde, Violaine Arsac l’auteure de ce drame contemporain évite le piège du didactisme, de la pédagogie lourde du signifiant force mille, et signe une œuvre forte qui part du vécu de chaque personnage, les importants points de vue qu’ils véhiculent n’arrivant qu’après. Ce sont ainsi des êtres de chair et de sang qui s’adressent à nous et qui s’interpellent dans un large mouvement de répulsion d’abord et de compassion ensuite.
L’intrigue très simple tient dans la main : «Anna Larcher, la quarantaine, journaliste, française expatriée aux États-Unis depuis quatre ans, vit dans une grande ville de la côte Est, avec son mari Matias et leur fille âgée de 8 ans. Elle mène une existence facile jusqu’au jour où Matias est tué lors d’un déplacement professionnel à Houston : pris à partie dans une rixe par une bande de voyous, il reçoit deux balles dans la poitrine. Un délinquant du nom de Michaël Ellis est arrêté et condamné pour ce crime. Anna Larcher reçoit alors la visite de Clémence Robin, bénévole dans une association qui met en lien les familles des victimes avec les condamnés : elle lui apporte une lettre de Michaël Ellis, qui souhaite entrer en contact avec elle.»
Anna Larcher pourra-t-elle accepter cette correspondance ? Que trouvera-t-elle à dire au meurtrier de son mari ? A l’homme qui a tué le père de sa fille ? D’ailleurs, de quoi ce dernier est-il exactement coupable ? Et pourquoi Clémence Robin tient-elle tant à créer cet impossible lien ? Autant de questions auxquelles répond la pièce qui voit les avocats Grace Morgan, (30 ans), et Alex Larcher, (40 ans, beau-frère de Matias,) s’opposer dans un premier temps (on verra pourquoi et comment) et s’unir pour tenter de dévoiler une vérité qui semble les fuir.
Violaine Arsac qui souhaitait avec «La dernière lettre» écrire une pièce sur la justice restaurative, le fait à hauteur d’humains confrontés au combat que mène leur raison face à leurs impulsions affectives. Comment tiennent nos convictions quand on s’attaque à notre enfant ? Comment résiste notre amour quand un proche devient un criminel ? Comment peut-on passer de la haine au pardon. Est-ce seulement envisageable ? Nouvelles interrogations qui nourrissent la deuxième partie de la pièce. Avec un final bouleversant…
A l’image de « Race » de David Mamet…..
Par certains aspects, «La dernière lettre» s’apparente comme « Race » de David Mamet à une dissection du système judiciaire d’Outre-Atlantique. Un système très éloigné du nôtre où les avocats ont un rôle si important qu’ils peuvent peser sur l’issue des procès. Mais au-delà du contenu strictement éthique la pièce brosse le portrait de trois cabossées de la vie et d’un homme ivre de de certitudes qui va les voir s’effondrer une à une. Pièce sur l’amour et le pardon « La dernière lettre » se déploie en plans séquences cinématographiques avec explosions de lumières et de sons.
Des acteurs poignants
Quant aux trois comédiennes elles sont magnifiques, drôles et poignantes. Chacune d’elles illustrant par son jeu singulier une des caractéristiques de la psychologie de leurs personnages Noémie De Lattre (Anna Larcher), Marie Bunel (Clémence Robin), (comédienne bouleversante dans le court-métrage « Délit d’innocence » de Mickaël Gauthier avec Antoine Duléry et Willy Liechty acteur qui crève les planches en ce moment dans le Off d’Avignon sur la pièce «Le chemin des passes dangereuses») et Grace Morgan (Mathilde Moulinat) bousculent le spectateur et lui tirent les larmes.
Grégory Corre dans la peau d’Alex affirmant: «Les circonstances atténuantes c’est une stratégie pour un coupable ! Pourquoi en parler s’il est innocent ? », dévoile en touches impressionnistes les mutations d’un homme en proie au doute. Il est lui aussi exceptionnel de densité, son interprétation magnifiée par la mise en scène circulaire de l’auteure nous fait découvrir un juriste amoureux rationaliste à ses heures, défenseur de la peine de mort puis véritable être de paix. Une belle pièce, qui portant en exergue cette phrase de Victor Hugo : «Mais si l’on ne peut pas pardonner, cela ne vaut pas la peine de vaincre» distille cet esprit de résilience cher à Cyrulnik avec beauté des costumes et un luxe sonore des plus vigoureux. Et le résultat donne un grand moment de théâtre.
Jean-Rémi BARLAND
«La dernière lettre» par Violaine Arsac, éditions Les Cygnes 95 pages, 12 €.
Au Théâtre actuel à 16h35 jusqu’au 31 juillet. 80 rue Guillaume Puy. 84 000 Avignon. Réservations uniquement sur le site du théâtre actuel. Theatre-actuel-avignon.com – 22€ ; 15€. Relâche le 26 juillet.