Publié le 30 juin 2022 à 13h04 - Dernière mise à jour le 7 novembre 2022 à 8h29
Magique moment à venir au Transversal Théâtre où durant le Off d’Avignon Jean-Philippe Renaud jouera «Notre dernier voyage» tiré de deux livres de Bernard Giraudeau. Rencontre avec un artiste virtuose…
Que représente le Off d’Avignon pour vous ?
J’ai découvert le Off, il y a quelques années seulement, en tant que spectateur puis avec une carte verte de journaliste. Y participer désormais en tant que comédien est une joie immense, nourri par le sentiment de contribuer à faire vibrer la grande famille du théâtre, avec passion. Ce que je ressens dans cette ville en juillet est tout à la fois unique et magique.
Mais je ne peux pas non plus éviter la question de ses dérives : Le modèle économique n’est absolument pas viable pour les artistes et les compagnies. J’ai cette impression que les comédiens sont «au bout de la chaine alimentaire» avec les miettes, et encore quand il en reste ; et même lorsque les spectacles marchent bien. C’est un paradoxe qui devrait interroger et mener à une profonde remise en question.
Parlez-nous de votre spectacle «Notre dernier voyage» autour de Bernard Giraudeau. Comment se structure-t-il ?
Le spectacle a été créé avec mon metteur en scène Marc Tourneboeuf, au Théâtre Transversal d’Avignon en 2020, grâce à l’accueil généreux et chaleureux de Lætitia Mazzoleni. Le texte se présente sous la forme d’une lettre d’amour à une femme imaginaire. Une recherche de séduction qui reflète bien le Giraudeau que l’on pense connaître, mais aussi un prétexte pour une parole libre, enflammée, poétique et crue aussi parfois. On part avec Giraudeau au Chili et aux Philippines, à la rencontre de ses souvenirs, d’endroits stupéfiants et de personnages aux destins hors du commun.
Giraudeau qui parle aussi de sa maladie dans ces deux romans et de l’homme qu’il est devenu «grâce à elle», nous livre avec ses mots, une matière incandescente pour penser, s’émerveiller, sourire, aimer… et nous entraîne dans le formidable tourbillon de la vie !! C’est puissant et émouvant.
Que représente l’œuvre de Giraudeau pour vous ? Comment avez-vous découvert ses livres ?
Pour moi, ça a commencé par faire tomber un préjugé. Malgré mon désir viscéral de ne pas moi-même être rangé dans une case, j’avais mis Giraudeau dans celle de l’acteur beau gosse un peu superficiel. Lorsque j’ai découvert son écriture, par hasard (mais le hasard existe-t-il ?) j’ai évidemment été mis face à mes propres contradictions. Cet homme n’est pas comme les autres. Son écriture est magnifique, avec un style assez incomparable je pense. Ses mots vous emportent, vous font rêver, voyager… oui voyager, mais dans tous les sens du terme ! le voyage intérieur, le voyage immobile, le voyage fantasmé, le voyage physique. Tout est question de rencontres avec Giraudeau. Si je devais résumer en une phrase, je dirais que ses livres, c’est partir à la découverte du monde pour se découvrir soi-même.
Comment s’est organisé le découpage des œuvres de « Notre dernier voyage » ?
Je suis tombé en amour de 2 de ses romans, «Cher amour» et «Les dames de Nage», que j’ai lus et relus. A partir de là, j’ai eu envie d’en faire une adaptation pour la scène ; comme une sorte de clin d’œil à l’acteur qu’il était, mais cette fois en empruntant les mots de l’écrivain qu’il était devenu en publiant. J’ai constitué des scènes en essayant de mélanger les genres : le récit, les dialogues, le témoignage, la poésie, l’introspection … tout en gardant un fil rouge : la rencontre de soi. Et puis j’ai demandé à Laure Renaud elle-même auteure et qui connaît bien les romans de Giraudeau, de relire mon adaptation. Les textes qu’elle a ajoutés viennent interroger, prolonger les récits, tisser des liens entre les scènes pour en colorer les fils avec des reflets de philosophie et de poésie. Lorsque j’ai tout relu, j’ai souri et je me suis dit : «Voilà, je l’ai !».
Comment Marc Tourneboeuf vous a-t-il dirigé ?
Marc a un don pour l’écriture et une relation charnelle et joyeuse avec la scène. Il est toujours en recherche du sens, des enjeux … et du rythme. On a donc travaillé principalement autour de ces points. Et puis, il est lui-même acteur, il vibre de cette passion de la scène, du rythme, de la rencontre avec le public … et de toutes angoisses qui vont avec.
Vous collaborez tous les deux sur d’autres projets …. Est-ce que cette complicité amicale a été profitable sur le spectacle autour de Bernard Giraudeau ?
Nous travaillons de plus en plus ensemble. Cela a commencé par la voix d’un Président dans le spectacle «La commission des destins» qu’il a écrit et qu’il a interprété avec Martin Campestre. Et puis ça a continué avec le spectacle autour de Giraudeau, puis« Astrid» sa pièce en alexandrins avec 12 comédiens sur scène. Aujourd’hui nous travaillons aussi sur des projets de films.
Avec Marc nous avons une vraie complicité amicale et dans le travail. Malgré une différence d’âge importante (ou peut-être grâce à cette différence) on se retrouve sur des points essentiels pour moi: le travail sur le sens et les enjeux, l’ouverture d’esprit, la rigueur, la détermination et aussi … l’humour. On travaille beaucoup et on rit beaucoup tous les deux. L’amitié qui nous lie, nous permet de nous dire les choses en toute franchise et avec beaucoup de bienveillance. Marc est pour moi une relation rare et donc précieuse.
Lorsque je lui ai présenté mon adaptation et quelques idées il a tout de suite été séduit par les mots et les films de Giraudeau. Son enthousiasme se voit bien je crois dans sa mise en scène du spectacle.
Vous avez une double vie professionnelle – Qui préférez-vous Jean-Philippe Renaud acteur ou directeur dans l’aéronautique, metteur en scène ?
Oui, j’ai une vie pro dans l’aéronautique et une vie pro en tant que comédien. D’un côté les avions, les pilotes, les contrats, la technicité des sujets, de l’autre les acteurs, les textes, l’émotion, le public. Et au fond, la vie n’est-elle pas une immense comédie ?
Cette véritable double vie professionnelle, cette dualité, reflète plutôt bien qui je suis au fond. J’ai toujours soigneusement évité les étiquettes, je me nourris des rencontres et j’adore établir des ponts entre les genres et les sujets. Je crois donc que les deux nourrissent ma passion pour la scène, les histoires et le jeu.
Vous venez d’enregistrer pour Audiolib la lecture intégrale de L’enfer numérique de Guillaume Pitron. Comment êtes-vous arrivé sur ce projet? Comment s’est déroulé l’enregistrement ? Qu’est-ce que cet ouvrage et qu’en pensez-vous?
J’ai découvert le livre audio il y a 3 ans grâce à deux merveilleux formateurs, Ingrid Lefrançois et Michel Raimbault. Depuis j’enchaîne les projets. Le hasard a fait que mon tout premier casting réussi portait sur le 1er livre de Guillaume Pitron, la guerre des métaux rares. Et lorsqu’il a publié son 2e, Audiolib m’a proposé de l’enregistrer. Cet ouvrage est une véritable investigation au cœur de l’industrie du numérique. Il est profondément intelligent et remet en cause nos idées toutes faites sur la soi-disant économie verte dans laquelle il nous est tellement réconfortant de plonger les yeux fermés.
Les enregistrements de livres audios sont très préparés en amont par la maison d’édition qui en fait l’adaptation pour l’audio. Les séances sont planifiées sur une durée d’environ 3 à 4 fois la durée prévue d’écoute du livre. L’exercice est assez physique et demande beaucoup de concentration, mais il est réjouissant et Audiolib me laisse beaucoup de liberté dans l’interprétation. J’aime tellement ces moments de studio !
Quels sont vos projets ?
Je poursuis avec beaucoup de bonheur la tournée en France de «Pardon ?» une pièce autobiographique de Laurent Martinez qui traite de pédo-criminalité. Et puis aussi celle de «Astrid» de Marc Tourneboeuf produite par Christophe Segura que nous avons jouée à 12 comédiens sur scène avec une fougue inouïe pendant la saison 2021/2022 à la Comédie Bastille, avec la folle troupe des Aubes de l’Ouest. Notre rêve serait de pouvoir la jouer au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris … le lieu lui irait tellement bien.
De nouveaux projets théâtre sont en préparation pour 2022/2023, dont une nouvelle pièce de Marc Tourneboeuf, et une adaptation moderne et en allemand des contes des frères Grimm sous la direction de mon ancienne prof des cours Florent ! Germanophile depuis longtemps, j’ai eu la chance d’intégrer cette année l’agence Red Carpet Actors à Berlin, dirigée par Annett Schlange. Je prévois donc de passer de plus en plus de temps à Berlin…. et suivre
Propos recueillis par Jean-Rémi BARLAND
Notre dernier voyage d’après Bernard Giraudeau, avec les textes de Laure Renaud.
Théâtre Transversal au 10 Rue d’Amphoux – 84000 Avignon du 7 au 26 juillet relâche les 13, 20 juillet. Théâtre contemporain (à partir de 14 ans) tarif: 20€ ABC tarif abonné: 14€ tarif enfant (-16 ans): 8€ tarif réduit: 12€. Tel 04 90 86 17 12 contact@theatretransversal.com – Plus d’info et réservations : theatretransversal.com