Publié le 26 juillet 2018 à 22h06 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
Il y aura encore des esprits chagrins pour affirmer que David Foenkinos n’est pas un bon écrivain et que l’adaptation au théâtre de l’un de ses romans ne peut que donner fadeur, minceur, et lourdeurs. On leur rétorquera alors qu’au contraire cet auteur Prix Renaudot 2014 pour «Charlotte », œuvre coup de poing sur une artiste-peintre allemande assassinée à Auschwitz en 1943 sait manier légèreté de forme et profondeur de fond. Et si on devait le ranger dans une famille d’écrivains -les Français adorent mettre les gens dans des cases ça les rassure-, on dirait que David Foenkinos s’apparente à ce que l’on appelait dans les années 1950-1960 «les hussards de la littérature» tels que Blondin, Nimier, ou Déon. Des prosateurs flamboyants qui osaient raconter des histoires sans bombarder le lecteur de messages signifiants empruntés à Sartre et aux existentialistes engagés, adeptes du roman à thèse. D’ailleurs, le vaste public qui suit fidèlement David Foenkinos ne s’y trompe pas en lui trouvant finalement une épaisseur qui n’est pas synonyme d’obésité. Ainsi parmi tous ses lecteurs Sophie Acacard et Léonard Prain, l’un et l’autre formés au Cours Simon, viennent de s’emparer de son roman «Le potentiel érotique de ma femme», pour le porter sur les planches. Vive, alerte, leur adaptation théâtrale que l’on peut voir en ce moment dans le cadre du Off d’Avignon dans le bel espace de «La luna» est un régal et une fantaisie qui au final pointe du doigt les dysfonctionnements dans le couple, corrigés par la force de la passion. Lui, c’est Hector, adepte des dictons croates, collectionneur d’objets, rendu malheureux par son besoin compulsif de tout amasser. Elle, c’est Brigitte, son contraire, qui bien sûr avec pareille structure narrative, va, en le rencontrant faire exploser ses codes de représentation de la vie ordinaire. De cette union, malgré eux, d’un être fasciné par les choses matérielles et d’une femme moderne dont on verra qu’elle est accro à bien d’autres choses naîtra une union d’abord improbable transformée en spectacle technicolor par l’auteur, la mise en scène et surtout par le regard des différents personnages se greffant autour de l’existence d’Hector et de Brigitte. Rapide, nerveuse, la pièce -astucieusement mise en scène- qui au départ semble s’apparenter à du Feydeau chez Cosmopolitan ou les Inrocks, se transforme, comme il se doit, quand on a bien saisi la densité de l’univers fictionnel de Foenkinos, en une saga burlesque et émouvante. Apparaissent ici, autour du couple, des antihéros humains et fragiles tels que le père, la mère, Ernest, l’ami aux phrases clichés, un docteur bronzé, le pote Gérard, cycliste en quête de gloire, une concierge, des employés de La Poste, d’autres saisis dans des scènes d’autant plus burlesques qu’elles sont présentées sous couvert de réalisme alors qu’elles lorgnent du côté du farfelu, du délirant, de l’incongruité présentée en mode rationaliste. Tout le monde s’amuse sur le plateau et du coup le spectateur aussi. Benjamin Lhommas, Jacques Dupont, et Anaïs Merienne qui interprètent plusieurs rôles sont étonnants . Mais la palme du jeu décalé revient à Léonard Boissier dont le physique n’est pas sans rappeler celui de Foenkinos et qui campe un Hector totalement irrésistible. Ainsi «Le potentiel érotique de ma femme» pièce de boulevard pas du tout boulevardière ni vulgaire prend à bras le corps le monde d’aujourd’hui pour en faire un chant d’amour aux femmes et aux gens de bonne volonté qui veulent bien se rapprocher les uns des autres pour enfin mieux s’accommoder de leurs névroses.
Jean-Rémi BARLAND
« Le potentiel érotique de ma femme « d’après le roman de David Foenkinos. Adapté par Sophie Accard et Léonard Prain. Sur une mise en scène de Sophie Accard. Tous les jours dans le cadre du Off d’Avignon à « La luna » jusqu’au 28 juillet à 19h20. Tarifs : 20€. 14€. Réservations au 04 90 86 96 28.