Publié le 23 juillet 2018 à 19h30 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 18h55
C’est un texte d’hier et d’aujourd’hui. Une œuvre intemporelle qui puise sa spécificité dans la force des mots et la volonté de publier un plaidoyer (plutôt indirect d’ailleurs) pour l’abolition de la peine de mort. Signé Victor Hugo, débarrassé de toute la pesanteur qu’un tel sujet aurait pu susciter, le voilà porté à la scène par David Lesné qui en fait une pièce puissante, coup de poing autant que coup au cœur interpellant le spectateur -tout ici est construit en un monologue dramatique avec des verbes au présent-, pour l’inciter à réfléchir sur la violence humaine. Emprisonné, un homme attend son jugement dans sa cellule. On sait qu’il a commis un crime mais on ne saura rien d’autre. Ce que l’on sait c’est qu’il est coupable et que le verdict est la condamnation à mort. Espérant un pourvoi en cassation qui sera finalement rejeté, il décide en attendant qu’on le conduise à l’échafaud d’écrire un journal. De temps en temps il pense à sa fille Marie -défilent alors sur un écran les images d’une enfant d’aujourd’hui saisie en noir et blanc, un ballon en plastique à la main-. Même s’il préfère la mort à la perpétuité, il espère une grâce qui ne viendra pas, et refuse la visite d’un aumônier de la prison. La porte de sa cellule s’ouvre. On l’emmène place de Grève. Il monte sur l’échafaud. Sa tête tombe et le metteur en scène François Bourcier diffuse l’enregistrement de Robert Badinter venu demander an 1981 à l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort en France.
Pièce ontologique
Pour développer le propos de Victor Hugo, le metteur en scène François Bourcier -à qui l’on doit un magnifique travail sur «Sacco et Vanzetti» dans une pièce donnée dans le Off d’Avignon avec le regretté Jacques Dau-, nous propulse dans la tête du condamné à mort et nous invite à tout regarder par ses yeux. Refusant tout moralisme la pièce décrit un homme qui pour reprendre la formule de Sartre dans les mots demeure «fait de tous les hommes qui les vaut tous et que vaut n’importe qui». Son propos est comme toujours chez François Bourcier strictement ontologique puisque chaque personne présente dans la salle est conviée à se poser des questions, à se saisir d’elles pour tenter d’apporter des réponses personnelles.
Un acteur très physique
Habitué aux rôles très physiques, possédant lui-même une force incroyable, William Mesguich, seul en scène, secoue les codes et impressionne l’auditoire. Le jeu des lumières sur sa cellule, le travail de la bande son sur les bruits des portes de la prison que l’on ferme et que l’on rouvre, la matérialisation de l’exigüité de cette même cellule contribuent à rendre son jeu encore plus fluide. Performance du corps et de l’esprit (apprendre autant de texte laisse admiratif), le comédien fait ici oeuvre théâtrale et citoyenne, rappelant à la fin du spectacle que bon nombre de pays n’ont pas encore aboli la peine de mort. Et pour ceux qui douteraient encore du combat en forme de chemin de croix enduré par Robert Badinter jusqu’en 1981 relisons son livre «L’exécution» et écoutons les remarquables extraits enregistrés pour Audiolib par l’acteur Charles Berling.
Jean-Rémi BARLAND
«Le dernier jour d’un condamné» d’après Victor Hugo. Off d’Avignon à la Condition des Soies -Tous les jours à 14h45. Jusqu’au 29 juillet.