Publié le 24 juin 2024 à 8h33 - Dernière mise à jour le 25 juin 2024 à 11h38
Présentée au théâtre La Luna, dans le cadre du Off d’Avignon, la pièce «Diego» d’Alexandre Cordier est un chef-d’œuvre magnifié par le metteur en scène Barthélémy Fortier et interprété par l’excellent Hugo Randrianatoavina.
Alexandre Cordier sait tout faire. Il joue, il vient d’être l’assistant à la mise en scène de Christophe Honoré sur la pièce « Les Doyens » donnée au Théâtre des Abesses à Paris. Il chante aussi -divinement bien surtout quand l’accompagne au piano l’écrivain Arthur Dreyfus sur « Les gens qui doutent » d’Anne Sylvestre-. Il écrit, avec panache et inventivité. Alexandre Cordier semble infatigable et toujours enthousiaste.
Un choc
« Un choc, un tsunami. Une pépite formelle. Un sommet d’intelligence et d’audace visuelle. Un moment artistique suspendu hors du temps et des normes théâtrales habituelles… Les mots viennent à manquer pour décrire « Diego » la pièce qu’Alexandre Cordier a écrite sur une idée de Barthélémy Fortier qui en assure la mise en scène et Hugo Randrianatoavina qui signe ici une interprétation vertigineuse », écrivions-nous en 2023 au moment où l’on donnait cette pièce pour la première fois. L’équipe s’est repenchée avec soin sur le spectacle. Nouvelle mouture donc mais même entrain. Diego saute, il court, il se démultiplie, il s’adresse à nous, il incarne… il foudroie. Il est footballeur et comédien rêvant d’intégrer une école de théâtre. Il fait surgir amis parents, relations que l’on croit voir à ses côtés. Au centre de la toile narrative Diego, nommé ainsi en hommage au célèbre joueur de foot Maradona et qui, né le 12 juillet 1998 le jour où la France est sacrée championne, voit son père rêver pour lui d’un destin à la hauteur de l’idole d’Argentine.
Récit à la première personne
Récit à la première personne d’un jeune homme sur lequel va planer tout au long de son existence le spectre du football. « Diego » est une comédie poignante qui montre comment l’on peut passer du statut de spectateur de sa vie, à celui d’acteur de son destin. Hymne à la résilience, chant d’amour d’un fils pour ses parents, d’un garçon pour un autre garçon puis pour une fille chérie, cri d’un cœur épris de liberté, plaidoyer pour le théâtre, le respect des différences, on sort de Diego en larmes… et heureux. Barthélémy Fortier qui n’est pas n’importe qui, puisqu’il vient d’être l’assistant de Lilo Baur sur « La puce à l’oreille » (production de La Comédie Française) et sur « Une journée particulière » la pièce avec Roschdy Zem et Laetitia Casta, ainsi que membre de l’Académie de l’Opéra-Comique pour la saison 2023-2024 multiplie les approches possibles du texte.
Une pièce sur les spectres
Alexandre Cordier, précise: « Je n’aime pas le foot et pourtant, quelle joie d’avoir écrit cette pièce qui n’est pas, comme l’explique le metteur en scène Barthélémy Fortier ,une pièce sur le foot, sur Maradona, sur le théâtre mais un spectacle sur les spectres. On y raconte la vie d’un jeune homme ne parvenant pas à échapper à ses fantômes familiaux et socio-culturels. Barthélémy est venu vers moi et m’a proposé de l’épauler autour de « Diego ». Au moment où nous nous sommes entretenus sur ce projet d’écriture, il avait déjà construit une trame claire de ce qu’il souhaitait et sollicitait mon regard sur un élément particulier : l’oralité. Il s’agissait de laisser libre cours à ma créativité concernant la langue de son personnage. Il m’a laissé beaucoup de liberté avec l’intrigue. J’ai parfois modifié la chronologie, mais j’ai surtout cherché à faire de ce récit une musique. Il fallait que la matière mute du discours à la parole. A travers une syntaxe parfois brisée, des répétitions ou des balbutiements, j’ai voulu que ce texte soit en lui-même un match. Le combat de celui qui conte son existence, avec tout ce que cela implique de doutes et de difficultés. Il s’agissait d’apporter mes mots comme le ferait un comédien qui improvise, en se glissant dans la peau d’un autre. »
Alexandre Cordier explique: « Comment Diego parle-t-il de ça ? Ce détail plus qu’un autre ? Comment s’exprime-t-il à propos de son père, de ses émois ? Comment réussir à dresser un pont entre son intimité et le public ? Comment créer en lui une nécessité de raconter son histoire et son rapport au foot » Ajoutant: « Là où Barthélémy m’a offert le parcours précis et détaillé d’un personnage, mon travail a été de brouiller certaines pistes, d’offrir un sous-texte à l’acteur. Parce qu’il avait déjà ficelé une dramaturgie, j’ai pu m’intéresser uniquement au « comment ». Comment il le dit, comment ça sonne ? Comment la globalité des tableaux s’alterne-t-elle entre sprints et foulées ? Je me suis mis au service de l’acteur, en lui offrant une partition complexe dans laquelle il pourra faire ses choix. Par la même occasion, j’ai distancié l’histoire que Barthélémy se racontait en y ajustant mon regard. Ainsi s’est tissée notre collaboration, dans la liberté et avec l’envie de provoquer chez l’autre un désir, de Barthélémy à moi, de moi à lui, de moi à l’acteur et de nous vers les spectateurs.» Résultat une pièce tellurique qui fait du foot une œuvre d’art.
Jean-Rémi BARLAND
« Diego » d’Alexandre Cordier à « La Luna » – Quartier La Luna au 1, rue Séverine – Avignon du 3 au 21 juillet à 20h05. Relâche les 8, 15 juillet. Plus d’info et réservations au +33 (0)4 12 29 01. 24 . ou sur theatre-laluna.fr