Off d’Avignon 2024.  « Après la chute » visible jusqu’au 21 juillet à Présence Pasteur

Publié le 19 juillet 2024 à  20h39 - Dernière mise à  jour le 21 juillet 2024 à  20h59

Au départ une légende, la fable, d’une époque où les animaux parlaient comme les hommes, et où ceux-ci les écoutaient. Un conte célèbre de Lituanie « Eglé et la reine des serpents » où l’on croise le roi des serpents justement au bord d’un lac et où une mère donne à ses trois enfants des prénoms d’arbres. A une époque où la question de l’identité et des frontières revient régulièrement dans les débats, «Après la chute » de Simon Bakhouche, Diana Sakalauskaité dans une mise en scène  Gabriel Dufay raconte sur fond d’onirisme l’histoire vécue d’une rencontre amoureuse entre un comédien français et une artiste lituanienne. C’est aussi le voyage d’une femme qui se sent de nulle part et marche sur les traces de son destin, nous ramenant aussi à nos propres origines.

Destimed Apres la chute Photo Danielle Ekollo COPIE
« Après la chute » de Simon Bakhouche et Diana Sakalauskaité dans une mise en scène de Gabriel Dufay (Photo Danielle Ekollo)

Une histoire en trois points

Trois moments fixent le récit proposé :

I. Un Conte : Eglé une jeune paysanne est enlevée par un serpent qui l’entraîne dans son monde, au fond de la mer, et l’épouse… Des années plus tard, alors qu’elle rend visite à sa famille dans son village natal, son père et ses frères refusent de la laisser repartir, ils piègent son mari-serpent et le massacrent sur le rivage. Désespérée, elle se métamorphose en arbre.

II. Vertige de l’Amour : C’est en assistant à une représentation de ce conte traditionnel lituanien « Eglé, la Reine des Serpents », en 1993, dans un festival de théâtre à Vilnius, que Simon, tombe amoureux de Diana, l’actrice lituanienne qui le joue sur scène. Des liens invisibles se créent avec le conte d’Eglé : Simon propose à Diana de venir le rejoindre à Paris, ce qu’elle fera, un an après…Diana et Simon, en confrontant leur point de vue, retracent l’histoire de leur rencontre et les épreuves qu’ils ont dû passer pour construire leur relation.

III. Retour aux Origines : Un jour, Diana reçoit un coup de fil de Lituanie, de son père, qu’elle n’a jamais connu, et elle décide, contre l’avis de Simon, de retourner sur sa terre d’origine pour le rencontrer. Le rendez-vous est manqué car pendant son voyage, son père meurt écrasé par la chute d’un arbre, et elle ne trouve là que le chien de son père, un curieux chien qui lui parle de son maître. Bouleversée, elle ne répond plus aux appels téléphoniques incessants de Simon. Il décide alors d’aller la retrouver…

Un couple, un mystère , un choix

Le spectacle met en perspective un couple singulier, un homme et une femme dont rien ne disait qu’ils pourraient se rencontrer. Rien ne faisait que cette histoire pouvait durer, il n’y avait aucune raison. Et pourtant… Il y a là un mystère. Il s’agira de côtoyer ce mystère, de poser la question du déracinement, de la difficulté pour un couple mixte de se construire un paysage commun, et de cet irrépressible besoin de retourner aux origines à l’âge de la maturité, le conte d’Églé, la reine des serpents se découvrant peu à peu comme un miroir, servant de chambre d’écho, de révélateur à l’histoire intime. À tout moment de notre existence, on se retrouve face à ce choix : partir ou rester ? De sa famille, de son couple, de son travail, de son cercle amical, de son pays. Mais ce choix, est-ce vraiment nous qui le faisons ? La famille, par exemple, agit-elle comme un refuge ou comme un piège à éviter ?

Pièce politique existentialiste

 Chacun ou chacune peut être pris de vertige face à ce qu’il a construit et risque peut-être d’abandonner. Diana a choisi de partir et de jouer aux dés en quelque sorte son existence, de construire autre chose. Elle se retrouve maintenant à la croisée d’un chemin.   Il y a dans la pièce toute une série de métamorphoses, Églé devient un arbre, Diana devient Églé, etc… C’est un des vieux secrets de l’existence : c’est par les autres et les masques que l’on emprunte, les métamorphoses que l’on opère, que l’on peut, peut-être, devenir soi-même.

Pièce politique sur fond d’existentialisme quasi sartrien où l’on est ce que l’on fait, d’inspiration dialectique où chacun des deux personnages est l’objet et le sujet de sa propre réflexion, « Après la chute » parle de choses intimes, avec intensité et légèreté, suivant les directions du récit poétique et du réel, passant par la fable, mêlant tragédie et comédie, (notamment par la présence d’un chien), théâtre documentaire et pure fiction.  Un Français et une Lituanienne se rencontrent après la chute du mur de Berlin, mais une telle romance est-elle possible ? Pièce où il est question du deuil, de l’exil, de l’acceptation de l’autre dans sa diversité, développant l’idée qu’il n’est pas forcément nécessaire de beaucoup connaître autrui pour l’aimer, « Après la chute » est tenue par deux interprètes puissants, et virtuoses.  Simon Bakhouche et Diana Sakalauskaité racontent cette histoire de couple avec intensité et une souplesse de jeu insufflée par la mise en scène poétique de  Gabriel Dufay lui-même faisant respirer les silences. On en sort totalement conquis et séduit en se disant que comme l’écrivait Gabriel Marcel l’autre n’est pas forcément l’enfer décrit dans « Huis clos » mais parfois « Le ciel » ouvre tous les champs du possible.

Jean-Rémi BARLAND

Après la chute, Présence Pasteur – 13 rue du Pont Trouca, jusqu’au 21 juillet à 14h30. Réservations : 04 32 74 18 54 ou 07 89 21 79 44 ou presence-pasteur.fr

 

 

 

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