Pour tout le monde c’est un choc et les spectateurs ressortent de la salle en pleurant ou étranglés d’émotion. Il faut dire que ce moment théâtral que leur propose tous les soirs au Train Bleu le comédien Hugues Jourdain est un voyage au pays de la radicalité, de l’extrême, de l’impudeur, et de la poésie également. En adaptant pour la scène le sulfureux texte de Guillaume Dustan «Dans ma chambre», le comédien Hugues Jourdain n’a pas fait dans le tiède et le consensuel. Prenant tous les risques et surtout celui de déplaire, il ne signe pas un spectacle confortable, mais terrible et beau néanmoins tenu par une mise en scène inventive.
Un comédien qui prend des risques
Exceptionnel comédien, qui ne cesse de prendre des risques, Hugues Jourdain est reçu à 21 ans au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, à la Classe Libre, et remporte le Prix Olga Horstig. Il tourne ensuite dans Django d’Étienne Comar, Telle mère, Telle fille de Noémie Saglio, et En passant pécho, sur Netflix. Au théâtre, il joue sous la direction de Philippe Calvario, Yann-Joël Collin, Clément-Hervieux Léger, Laurent Bellambe, et crée la compagnie « Je t’embrasse bien », défendant un théâtre d’écritures contemporaines. C’est en 2018, qu’il adapte un seul en scène le roman Dans ma chambre, de Guillaume Dustan, qu’il joue au Théâtre du Petit Saint-Martin. En 2022, il présente sa pièce Dernier amour au Théâtre Monfort, et joue avec Michel Houellebecq dans Existence à basse altitude, spectacle d’après les poèmes de l’auteur, au Rex Club et au Printemps de Bourges. Et fait de « Dans ma chambre » un des grands moments de théâtre du Off 2024.
Un roman impudique et radical porté à la scène
Précisons d’abord que le projet littéraire de Guillaume Dustan c’est d’écrire pour dire la vérité. Avec « Dans ma chambre », son premier roman publié en 1996 et dont le titre est emprunté à la chanson « In your room » de Depeche Mode, il signe de son aveu même une sorte d’introspection pornographique, radicale, mais pas sans ironie. Une chronique crépusculaire d’un homme séropositif qui sait qu’il va mourir, qui ne tait rien, n’épargne rien, ni personne, surtout pas son auteur.
Dans un seul en scène étourdissant d’émotion, d’intelligence et d’une fidélité absolue au texte, multipliant les approches différentes de ce qu’il suscite en chacun des spectateurs, effectuant des coupures judicieuses, Hugues Jourdain qui a signé aussi l’adaptation théâtrale secoue, émeut, frappe les esprits.
Utilisant un micro filaire, et un ordi sur lequel il lance les musiques, admirant chez Dustan la puissance de ce monologue, qui par nature est l’objet idéal pour en faire un spectacle, l’acteur célèbre ici ce que l’auteur qualifiait de « noces de sexe et de sang qui donnent une impression de chair abimée et nous transportent du côté de la peinture et du langage». Répondant à la question de savoir si l’on peut faire de sa vie la matière d’une œuvre d’art Guillaume Dustan mort du Sida à 39 ans en 2005 n’écrivait pas pour exciter mais pour comprendre. Il est précisé: « La chambre ici est d’abord celle du narrateur, où tout généralement se résout en étreintes répétées, violentes ou non, heureuses ou pas, nulles, tragiques, qu’importe. C’est aussi le milieu homosexuel, la vie dans le ghetto à suivre les nuits et les petits matins d’un jeune parisien à la recherche désespérée de « la baise du siècle ». De fait le tout est strictement sexuel et d’une violence sanglante. Dans une chambre ou l’alcôve sombre d’un bar, tous les coups sont permis et cela sonne curieusement dans un univers où « maintenant tout le monde est séropositif »». Acteur virtuose qui ne cherche pas à briller dans une sorte de performance, Stradivarius d’une parole crue, où est définie la question de la liberté en littérature, Hugues Jourdain, dont la chambre de Dustan est le théâtre d’émotions, est ici l’ambassadeur et le medium parfait d’une œuvre libertaire, impudique, essentielle, construite comme une tragédie grecque. Emportant tout sur son passage le « fleuve Jourdain » submerge et envoûte. Et fait de ce chef d’oeuvre littéraire un chef d’oeuvre théâtral inégalable de justesse, et de vérité.
Jean-Rémi BARLAND
« Dans ma chambre » au Théâtre du Train bleu jusqu’au 21 juillet à 21h55. Plus d’info et réservations theatredutrainbleu.fr ou sur place.