Off d’Avignon 2024. Le génial marathon théâtral de Mickaël Winum qui joue trois pièces différentes dans la même journée.

Saluons l’exploit physique. Dans le même journée Mickaël Winum, athlète de l’interprétation s’il en est, joue trois pièces différentes et pas des moindres : « Héliogabale », d’Alain Pastor aux Gémeaux, « Caspar » de Claude-Alain Planchon à l’espace Roseaux Teinturiers et au Petit Louvre « Tête-à-tête avec Rimbaud » une écriture à quatre mains fruit d’une belle rencontre du comédien avec la metteuse en scène Brigitte Arnaudet.

Destimed Mickael Winum K
Mickaël Winum : « le silence est un bruit qui n’en fait pas» (Photo Jean-Rémi Barland)

Né à Sélestat en Alsace, très vite passionné par le théâtre, travaillant en 2012 avec Nâzim Boudjenah et Christian Gonon de la Comédie-Française autour d’une adaptation de l’Oiseau bleu, ancien mannequin, aimant chanter,  dessiner, peindre, Mickaël Winum fut, entre autres, applaudi en 2018 au Festival d’Avignon dans « Le portrait de Dorian Gray » mis en scène par Thomas Le Douarec où il interprétait le rôle titre. Affirmant: «Une grande pièce, c’est une pièce où il faut qu’il y ait un drame, sinon on s’ennuie.» Il a été servi durant ce Off 2024. Lui qui à la vingtaine comblait son abattement assez journalier par l’envie chevillée au corps de s’en aller: «Je rêvais en permanence de voyages », dit-il. Et, il semble avoir trouvé dans les pièces qu’il joue matière à ses désirs de fugue. « J’ai fait ce métier en réaction à une enfance mouvementée, confie-t-il, et je demeure passionné par la tragédie.» Dont acte ! Preuves à l’appui.

« Héliogabale » d’Alain Pastor avec Geneviève Casile

« Vous vous rendez compte de la chance que j’ai eu de jouer sur scène avec Geneviève Casile ? Ce fut un privilège. Je n’en reviens toujours pas…. »,  lance Mickaël Winum assez ému. « Elle est de plus si généreuse, si à l’écoute que je suis totalement comblé.» Fou de joie et de reconnaissance pour cette grande dame du théâtre et pour ceux qui l’ont embarquée dans ce projet Mickaël Winum défend cette pièce avec enthousiasme car, explique-t-il : «Elle est bien écrite, réserve des surprises et trouve des résonances avec notre époque. J’y incarne un roi fou, et c’est un formidable rôle de composition ». Nous sommes à Rome en 222. Après quatre années de règne, le comportement scandaleux de l’empereur Héliogabale a fini par offusquer et courroucer sa grand-mère, l’impératrice Julia Maesa, laquelle avait, avec ruse et un sens aigu de la stratégie, imposé Héliogabale, d’abord aux Prétoriens, puis aux sénateurs, enfin au peuple de Rome, indifférent, mais saisi d’un grand trouble par l’allure étrange et inquiétante de son nouveau César. Pour Julia Maesa, soucieuse de conserver un pouvoir qu’elle avait tant convoité depuis son enfance dans les provinces orientales de l’Empire, il existe encore une alternative à Héliogabale : son cousin, le frêle et docile Alexandre, son autre petit-fils. Aidée de son vieux compagnon, le fidèle Comazon, ancien soldat lassé par la violence et désormais préfet de Rome, elle va suggérer l’adoption d’Alexandre. Mais l’empereur fou s’est pris au jeu du pouvoir, et il entend l’exercer jusqu’au bout, dans la décadence et le délire… Nous entraînant dans sa course vers l’abîme ! Ponctuée par la lumière, le développement de la dramaturgie et la mise en scène de Pascal Vitiello la pièce secoue les lignes. Le duo Geneviève Casile qui incarne la grand-mère d’Héliogabale et Mickaël Winum en empereur fou sont exceptionnels de densité. Ils sont accompagnés sur scène par le non moins impressionnant Gérard Rouzier, celui par qui le bras armé de la vengeance atteindra son but. Un grand moment de théâtre. Un thriller historique à couper le souffle.

« Caspar » : portrait d’un schizophrène

Signée Claude-Alain Planchon, cette pièce voit Mickaël Winum incarner un schizophrène placé en centre de détention psychiatrique pour y être vraisemblablement lobotomisé. Nous sommes dans l’Amérique des années 1970 et voilà Caspar qui installe avec son infirmier Leland une relation tumultueuse entre confidences, troubles, colères, et manipulations. Explorant la frontière perméable entre le rêve et la réalité, l’auteur, qui fut étudiant en médecine, analyse ici le comportement de son personnage principal d’un point de vue théâtral et syntaxique. Travail sur la langue, les gestes, les non-dits, sur la question : « Le fou est-il fou ? le sage est-il sage ?» « Caspar 199-19-13 » laisse le spectateur décider d’une vérité plutôt qu’une autre, offrant plusieurs pistes de lecture dans une tragédie aux multiples zones d’ombres. Caspar a -t-il vraiment vécu ce qu’on nous raconte ? Leland est-il vraiment le thérapeute solidaire de ses souffrances qu’on nous présente au début ?

Jouant sur les ombres d’un texte qui deviennent peu à peu scéniques, utilisant une bande son très signifiante, la pièce comme la mise en scène sobre, dépouillée, exemplaire d’Olivier Desbordes est un miracle de complexité. Se projetant dans son rôle de Caspar incarnant jusqu’à l’osmose ce schyzophrène à l’enfance malmenée, Mickaël Winum marque les esprits, secoue les consciences, stupéfie le spectateur, l’envoûte et le bouleverse. A ses côtés Jean-Paul Sermadiras, se glissant dans la peau d’un personnage apparemment rassurant, imprime à son jeu force et au final une fragilité d’esprit. Beau, intense, leur duo fonctionne à merveille. Un chef d’oeuvre visuel et théâtral.

« Tête-à-tête avec Rimbaud » écrit en compagnie de Brigitte Arnaudet

1873. Rimbaud a 19 ans. Il vient d’achever Une saison en enfer et fait éditer ce recueil en prose à Bruxelles à compte d’auteur puis s’en désintéresse. Désormais, il n’écrira plus et se lance dans une vie d’explorateur, de commerçant, de journaliste. Nous sommes à la fin de sa vie ; seul et fatigué de ses excès, amputé d’une jambe, il se remémore les grandes lignes de son existence et les partage avec les spectateurs qui vont vivre à travers ses récits les fragilités de sa relation avec sa mère et leur incapacité à communiquer, son intimité avec Verlaine et la rivalité avec sa femme Mathilde. Nous verrons le Rimbaud malade et meurtri, le jeune poète fougueux et provocateur, l’amoureux et le volage. Cette approche de l’univers de Rimbaud se veut avant tout humaine : retracer la vie du poète certes mais surtout découvrir l’homme qu’il a été, ses souffrances, ses questionnements et sa relation à l’autre, l’absence du père, le relais pris par une mère incapable d’exprimer ses émotions et l’affection à laquelle il aspirait. Ce tête-à-tête qui interpelle le spectateur sur sa propre vie : l’intime nous bouleverse et c’est là des trois pièces où Mickaël Winum est le plus bouleversant, le plus flamboyant. « Je est un autre » et « Oui, je veux partir, car pour moi partir c’est vivre », déclare ici Arthur Rimbaud dont les paroles ne sont pas sans lien avec la pensée de Winum. Ce dernier laisse aller l’éclosion de la pensée de Rimbaud en faisant tinter les silences. Ce qui n’est pas étonnant quand on sait que Mickaël Winum a fait sienne cette pensée : «Le silence est un bruit qui n’en fait pas ». Une géniale assertion pour trois projets qui le sont tout autant.

Jean-Rémi BARLAND

« Héliogabale, l’empereur fou » au théâtre des Gémeaux, 10 rue du vieux Sextier, jusqu’au 21 juillet à 13h30, Tarifs : 12€, 17€, 18€, 24€. réservations au 04 88 60 72 20 ou sur theatredesgemeaux.com

« Caspar 199-19-13 » à l’Espace Roseau Teinturiers – 45 rue des Teinturiers, jusqu’au 21 juillet à 16h05. Tarifs : plein 20 €, abonné 14 € ; enfants moins de 16 ans : 10 €. Réservations au 04 84 51 26 44.

« Tête à tête avec Rimbaud », au Petit Louvre (salle van Gogh) 23 rue St Agricol, à 18h15 jusqu’au 21 juillet -Tarifs 20€/16€/14€ – Réservation : 04 32 76 02 90 theatre-petit-louvre.fr

 

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