Cet hiver si vous alliez voir une pièce au théâtre Michel à Paris dirigé par Sébastien Azzopardi vous seriez accueilli par Baptiste Bordet, un des membres de l’équipe d’encadrement. Pas étonnant quand on sait que ce comédien qui a eu 30 ans en janvier dernier s’est passionné très tôt pour la comédie.
« Cela m’a pris à l’école primaire, raconte Baptiste Bordet, les poésies étaient importantes pour moi, et j’avais l’impression d’être en scène quand je les récitais sur l’estrade. Je me disais qu’un auditoire allait m’entendre, me voir, m’écouter. J’ai eu des moments magiques notamment avec « Les Fables de La Fontaine » les plus belles choses que j’ai lues. Les Fables c’est pour moi comme un couteau suisse et j’avais à cœur de faire vivre les silences. Mes professeurs voyant mon attachement aux beaux textes, aux classiques, au jeu m’ont encouragé. A 21 ans je me suis inscrit à un stage d’accès au théâtre et cela a conforté mes choix de devenir comédien. Je venais de passer la porte d’un théâtre et on m’a mis entre les mains « Oncle Vania » de Tchekhov… mon existence en a été bouleversée. Animateur ensuite de centre de vacances, j’ai joué alors devant 3 000 personnes au Club Med de Saint- Palais-Sur-Mer. Expérience passionnante puis cours Florent, et une pièce de Labiche en Suisse à Vevey. » «Pour moi, poursuit-il, un grand metteur en scène c’est quelqu’un qui crée un univers, qui comme Jean-Pierre Melville a tout fait pour ne pas trahir les projets les plus fous qu’il avait en tête, qui comme Visconti maîtrise tout ce qui se passe sur un plateau.»
« La boxe a été comme une évidence »
Acteur très physique et très réfléchi qui admire Jean Renoir, Duvivier, Louis Jouvet, Michel Simon, et qui s’est souvent réfugié durant l’enfance dans la fréquentation de grandes œuvres, Baptiste Bordet est aussi un sportif ayant joué au foot et qui pratique la boxe. « Ce qu’on appelle le noble art est un sport intelligent qui se rapproche de la danse. Une discipline de vie où on peut tout perdre en une seconde mais aussi se relever. La boxe a été pour moi comme une évidence. Regarder son adversaire droit dans les yeux et demeurer humble.. une leçon d’existence en fait. » Aussi n’est-on pas surpris d’entendre le comédien dire qu’il affectionne particulièrement « Rocco et ses frères » le film de Visconti le considérant comme « un chef d’oeuvre ». Il évoque une autre expérience «fabuleuse» qui «fut de tourner dans le 1er épisode de la série « Je te promets » où j’ai joué sur le terrain du Stade Vélodrome de Marseille. Faire du foot sur ce stade mythique c’était réaliser un rêve. »
Un podcast de poésie
Si Baptiste Bordet se passionne aussi pour l’Histoire et a incarné pour la télé Bernard Villette un résistant devenu un héros dans un le film « Les lycéens, le traitre et les nazis» réalisé par David André il demeure sensible aux mots pour s’opposer à la violence du monde, célébrer sa beauté ou comme expression de soi. Écrivain lui-même il a créé un podcast de poésie, qui lui permet précise-t-il: « de célébrer l’art de la liberté, et rester actif en lisant de grands textes tout en travaillant sa voix. »
Un clip avec sa mère la chanteuse Grazzia Giu
Jamais là où on l’attend, comédien, chanteur, poète, Baptiste Bordet a dansé aussi dans le clip « Don’t » réalisé par sa mère Grazzia Giu, chanteuse de jazz internationale. « L’album qu’elle a réalisé s’appelle « Fragments » et le morceau choisi pour le clip « Don’t ». Je suis si fier d’avoir participé à cette aventure. Ma mère m’a fait là un cadeau magnifique».
Son premier Avignon avec « La double inconstance» de Marivaux
Et en ce mois de juillet Baptiste Bordet foule les planches du Off d’Avignon pour la première fois. C’est l’Essaïon Théâtre tous les jours à 11h45 et c’est dans la pièce « La double inconstance » de Marivaux. L’histoire en est simple : Pour le « bon plaisir » du Prince, et se livrer à un jeu autant intellectuel qu’érotique, Sylvia est enlevée de force. Son couple « défait » va en donner deux, créant par la même une double inconstance ! Mais ce ne sera pas une charmante comédie pastorale. Nous assisterons plutôt à « l’histoire élégante et gracieuse d’un crime » (selon Jean Anouilh) Laclos et Sade ne sont pas loin. Ainsi présentée « La double inconstance » de Marivaux sonne comme une sorte d’éloge de la liberté, et surtout de l’émancipation féminine.
Avec intelligence, un beau décor d’Amélie Tribout, des costumes flamboyants d’Aurore Popineau, et des lumières d’artiste que l’on doit à Philippe Lacombe, la mise en scène de Jean-Paul Tribout (ex flic de la série « Les Brigades du Tigre ») fait le pari de la jeunesse et la force intemporelle du texte. Marilyne Fontaine, Emma Gamet, Agathe Quelquejay Thomas Sagols, Xavier Simonin , et Jean-Paul Tribout lui-même éclairent la pièce d’un souffle irrésistible. Baptiste Bordet qui incarne Le Prince est absolument irrésistible de profondeur de jeu, de subtilité et d’audace.
C’est rapide, facétieux, comme le veut Marivaux, et dans cette machination diabolique où les amoureux sont pris au piège lors d’un implacable jeu de la tentation, Jean-Paul Tribout met l’accent sur la dénonciation de la corruption qui se veut vertu. Parfaitement orchestré, c’est l’absolue perfection d’un « crime » organisé mezza-voce avec l’élégance du gant de velours dans la main de fer. Remarquable ! Et Baptiste Bordet saluant l’accompagnement bienveillant de son travail par Jean-Paul Tribout, « sincère, généreux, à l’écoute ». Il confie vouloir vivre de nouvelles aventures théâtrales de ce niveau d’exigence et aussi enthousiasmantes que celle-là. « Tous les matins, je me lève en me disant que je veux faire ce métier », insiste-t-il. Force est de constater que c’est bien parti et qu’avec un tel talent et une telle énergie, l’aventure ne fait que commencer et qu’elle portera Baptiste Bordet loin et très haut.
Jean-Rémi BARLAND
« La double inconstance » de Marivaux à l’Essaïon-Avignon Théâtre – 33 rue de la Carreterie jusqu’au 19 juillet à 11h45. Téléphone réservation +33 (0)6 52 35 59 24 ou essaion-avignon.com