Publié le 29 septembre 2015 à 17h43 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 20h06
A Marseille, l’affaire est entrée dans la mémoire collective. Octobre 2012 : la brigade anticriminalité des quartiers nord de Marseille explose en plein vol. La police des polices s’active et quelques «collègues flics» vont aller derrière les barreaux. Aujourd’hui, après de longues semaines de prison pour certains protagonistes, des révocations, des vies plus ou moins meurtries, le verdict de la justice n’est toujours pas tombé. L’attente se fait longue. Alors, ripoux ou pas ripoux ? Bruno Carrasco, un ancien de la BAC, fut l’un de ceux qui ont été «matraqués» à l’époque; il aimerait qu’une réponse soit apportée à la question. En forme d’exorcisme, de thérapie, de réhabilitation et de bien d’autres choses encore, il vient de publier un témoignage, avec notre consœur de La Provence Sèverine Pardini-Battesti : «Sacrifié de la BAC Nord».
Ripoux ou pas ripoux ? La question est simpliste et forcément réductrice. Deux choses transparaissent dès les premières lignes dans le témoignage de Carrasco : son amour pour sa famille et sa passion pour son métier de flic; plus exactement pour une profession où il a la possibilité de se mettre au service des autres. Dans sa famille, son père et son frère montrent la voie. Toute la première partie de l’ouvrage dépeint Bruno Carrasco dans sa vie policière, beaucoup, et privée, un peu. On y lit ses doutes, ses craintes, l’attentat meurtrier de la Gare Saint-Charles, le 31 décembre 1983, le casse de la Caisse d’Épargne des Cinq-Avenues en 1987, le sauvetage d’une adolescente suicidaire qui lui vaudra une promotion au grade de brigadier-chef, le meurtre de Claudie Darcy, un collègue, abattu par «le rouquin», toxico récidiviste. Un policier épousé post-mortem par sa compagne ; Carrasco était de l’étrange noce. Une existence entre doutes, humanité, volonté de bien faire, questions autour de ses choix. Lui, voulait de l’action, du flagrant délit, toute la première partie de sa carrière il aura droit aux gardes de chambres à l’hôpital de la Timone, à des années -onze- de permanence à la radio de l’Évêché, à la routine de «Police secours». Des choix effectués pour, dit-il, pouvoir correctement élever ses deux enfants dont il a la charge après son divorce. Un tantinet teintée d’angélisme cette première partie déroule la vie d’un flic, simple flic, respectueux des ordres, des autres, qui va toujours au bout des missions confiées, même lorsqu’il s’agit d’aller dénicher le cadavre puant et noirci d’un suicidé.
La BAC, c’est en 2003 qu’il y arrive. Il passe avec succès, malgré ses presque 40 ans, les épreuves et les entretiens pour l’intégrer. Il avait demandé la BAC Sud, il est affecté à la BAC Nord. Il n’y va donc pas de gaieté de cœur, mais son envie «du terrain» l’emporte. C’est à ce moment-là que le témoignage prend toute la puissance. Le simple flic se retrouve dans une unité vraiment très particulière. «On donne tout mais sans forcément toujours en référer aux articles du Code de procédure pénale. Ni au règlement général d’emploi de la police nationale…» Commence la deuxième vie du brigadier-chef Carrasco. Les cités des quartiers nord, la peur du «caillassage» ou pire, les interventions réussies ou non, les numéros de plaques d’immatriculation des voitures de police copiés sur les murs des caves et des communs des barres HLM. Les flics, eux, doivent faire avec. Avec des «performances» revues régulièrement à la hausse qui font de la MAD (mise à disposition) une idée fixe. Toujours plus de résultats exigés, avec peu de moyens. C’est le système D ; les «baqueux» roulent dans des poubelles, pour aller mettre la main sur des sacoches où les dizaines de milliers d’euros fréquentent les barrettes de shit. Ces fameuses barrettes qui seront l’un des éléments à charge contre les présumés ripoux. Et en particulier contre Bruno Carrasco. Ce dernier est clair : oui, il lui est arrivé de récupérer un peu de drogue tombée d’une sacoche afin d’arroser les «tontons», les indics sans lesquels beaucoup d’affaires ne se feraient pas. Le témoignage de l’ex-brigadier chef est édifiant. Des pages et des pages d’un scénario idéal pour qui voudrait tourner un documentaire sur la BAC.
Puis, arrive le 2 octobre 2012 et le coup de sirocco sur cette unité. Carrasco est interpellé, soumis à la question pendant des jours. L’auteur du déballage ayant entraîné l’intervention de la police des polices serait un ancien de la BAC, révoqué, qui aurait voulu agir en «chevalier blanc» en quête, peut-être, d’une nouvelle virginité. Bruno Carrasco n’a de cesse d’expliquer le fonctionnement de son unité, sa façon de travailler, clamer haut et fort qu’il ne s’est pas enrichi, qu’il n’a bénéficié de rien, il devra passer par la case prison. Psychologiquement destructeur pour cet homme dont on se souvient le sens du devoir et l’humanité qui ont présidé à sa première vie de flic. Deux mois et demi à l’isolement à la prison de Luynes et c’est un homme broyé, malgré le soutien des siens qui font bloc autour de lui, qui retrouve le soleil. D’une cellule à l’autre, c’est dans un établissement «spécialisé» que Carrasco va essayer de se reconstruire. Plus tard, il reprendra même du service, un temps, à Toulon, avant d’être révoqué. Alors, ripoux ou pas ripoux ? Tout n’est ni blanc, ni noir… Ce témoignage, qui se lit d’un trait, a le mérite de mettre le projecteur sur un mode de fonctionnement de la police. Carrasco ne s’en cache jamais, «oui nous avons pêché sur le plan de la procédure», mais d’ajouter qu’il n’a jamais été corrompu. «Ne serions-nous pas finalement de simples boucs émissaires ?», «Avons-nous été victimes d’une discorde nouée bien au-delà de nous ?» Des questions que se pose aujourd’hui un «sacrifié de la BAC» décrit, quelques semaines avant le fatidique mois d’octobre 2012 comme un fonctionnaire «très impliqué dans la recherche d’interpellations et d’informations (ayant) permis l’interpellation d’individus recherchés.» Désormais Bruno Carrasco n’a qu’un désir : que la justice passe. Pour laver son honneur et se réhabiliter aux yeux des siens qui, et c’est peut-être ce qui lui permet d’être l’auteur aujourd’hui de ce témoignage, ne l’ont jamais abandonné. Mais la justice en la matière se hâte lentement. Un peu comme ce pêcheur qui amarrait un matin son pointu à l’anneau d’un quai du Vieux-port et qui disait à son homme de bord se trouvant à la barre : «Va un tout petit peu plus vite que stop !» C’est tout dire.
Michel EGEA
«Sacrifié de la BAC Nord», par Bruno Carrasco, avec Séverine Pardini-Battesti, aux éditions L’Express – Presses de la Cité dans la collection Documents – 315 pages, 20 euros.