Publié le 2 juin 2014 à 23h19 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h52
Pour ouvrir « Aix en juin », le prélude au Festival, c’est l’adaptation d’une fable tirée du recueil Kalila wa Dimna qui était donnée par Moneim Adwan et son chœur multiculturel Ibn Zaydoun au théâtre du Jeu de Paume.
L’actualisation d’un texte millénaire sur la cruauté de certaines castes dirigeantes, sur la naïveté, sur la soumission, sur la révolte. Pour faire vivre cette actualisation, la comédienne Hala Homran est très présente et livre la fable après avoir retiré de l’avant-scène le char d’assaut, miniature symbolique. Et si « la parole est d’argent et le silence d’or » dans certains pays, elle en arrive à souhaiter qu’un jour ce soit la parole qui soit d’or. Mais pour l’heure, le renard mange toujours les couvées de la colombe et même les hérons, trop savants pour être prudents.
Pour la direction du Festival, ce travail préfigure la production d’un opéra à venir dans une programmation future. Mais un opéra peut difficilement tenir sur une seule fable hormis un développement à outrance. Ou s’il est seulement en un acte. Bref, pour créer un livret d’opéra, il y a encore du pain sur la planche. Une fois ce préambule posé, lorsqu’on se tourne vers l’artistique, les satisfactions peuvent être nombreuses. La première est bien la prestation du chœur multiculturel Ibn Zaydoun qui, pour être amateur, n’en est pas moins de grande qualité. S’il ne présente pas le contexte à la manière d’un chœur antique, ce rôle étant dévolu à Hala Homran, le chœur « humanise » les situations, se déplace parfaitement, faisant vivre l’action en jouant avec un décor « minimaliste » imaginé par Olivier Letellier. Vocalement c’est beau, chaud, sensuel. Les deux « oiseaux » sont issus de ce chœur.
La blanche colombe a les traits et la voix de Samiya Bajaja. Beaucoup de douceur, mais aussi de soumission, dans l’interprétation. Elle et sa voix cheminent sur un fil qui confère sa fragilité, mais aussi son intérêt, à sa prestation. Le héron, lui, c’est David Castelot. Assuré, presque sentencieux, il évolue la tête haute jusqu’à ce que le renard, rusé, lui fasse mettre cette tête sous son aile avant de la croquer.
Parlons-en du renard, qui a les traits et la voix de Moneim Adwan. Voix puissante et assurée du maître, du dictateur, qui fait se courber les faibles devant lui. A l’aise aussi bien lorsqu’il joue du oud que lorsqu’il chante, l’artiste semble prendre un réel plaisir sur scène. Il ne faut pas oublier, aussi, que c’est lui qui a composé la musique. Une partition assez classique, très plaisante, greffant des pousses de jazz sur une colonne vertébrale arabe de grande qualité. Et pour servir cette musique, à ses côtés, Moneim Adwan bénéficie de la prestation d’un trio superbe avec Samir Homsi aux percussions, Samih Souissi au violoncelle et Zied Zouari au violon, ce dernier obtenant un triomphe mérité à l’issue de la représentation. Un grand musicien.
Certes, entre ce « retour » d’atelier et la création d’un opéra, il reste un grand chemin à effectuer. Mais les bases qui nous ont été présentées sont intéressantes, novatrices et solides. Puis il y a un côté frais très plaisant dans ce travail. A suivre.
Michel EGEA