Publié le 3 avril 2016 à 13h26 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 22h11
«À quels transports peut-on s’attendre, / En s’aimant quand on meurt de faim ? / Je suis faible, car je suis femme, / Et j’aurais rendu, quelque jour, / Le dernier soupir, ma chère âme, / Croyant en pousser un d’amour…» La faim justifiant, c’est bien connu, les moyens, la Périchole, «faible «femme» , s’en ira, «en tout bien, tout honneur», selon elle, faire un tour dans l’alcôve du vice-roi, Don Andrès de Ribeira d’où elle ressortira rassasiée, et grise, avec la promesse de devenir la favorite de ce dernier. Si l’œuvre, à sa création, avec Hortense Schneider dans le rôle titre, n’est pas très appréciée du fait de la fracture sociale qu’elle mets en avant entre pauvres/affamés et riches/manipulateurs, elle deviendra, au fils des ans, avec des modifications et des reprises, l’une des plus jouées d’Offenbach. Ses airs trottant encore dans toutes les têtes, depuis le «Il grandira car il est espagnol» jusqu’au «Mon dieu que les hommes sont bêtes» en passant par «Les femmes il n’y a que ça », cette Périchole n’a aucun mal à faire l’unanimité.
Et c’est ce qui s’est passé ce samedi après-midi à l’Odéon, avec la première représentation d’une production qui sent bon le neuf, mise en scène par Jean-Jacques Chazalet. Dans des décors à la peinture encore fraîche, signés Laurent Martinel, qui nous réconcilient avec la tradition tout en nous faisant oublier certaines toiles froissées qui, dans ce même lieu, ont accueilli récemment certaines œuvres, les protagonistes prennent visiblement du plaisir à jouer et chanter revêtus de costumes colorés, mais de bon goût, sortis droit de la Maison Grout.
Jean-Jacques Chazalet n’est pas allé chercher midi à quatorze heures pour sa mise en scène; et c’est tant mieux. Un travail précis et efficace à coup d’œillades langoureuses ou coquines, de la légèreté avec des entrées et sorties bien réglées, des déplacements qui ne pèsent pas sur l’action, une bonne maîtrise des effets comiques qui arrivent naturellement et ne contrarient pas le bon déroulement de l’opéra bouffe: que demander de plus ? Pas grand-chose ! Car cette mise en scène, respectueuse de la musique, l’est aussi du travail des artistes sur le plateau de l’Odéon. Lorsque l’on connaît les contraintes du lieu, on ne peut que saluer les performances des uns et des autres qui donnent une belle dimension à l’action sans se marcher sur les pieds. Ça chante, ça danse, ça bouge, le tout avec le sourire et le bonheur de jouer. Et tout le monde est dans le même joyeux sac. A commencer par le Chœur Phocéen bien préparé par Rémy Littolff, qui nous semble avoir rajeuni! Au sein d’une distribution idéale, difficile de faire ressortir l’un ou l’une, plutôt que l’autre, chacun apportant sa pierre au bel édifice. Mais il est impossible de ne pas s’arrêter un instant sur le rôle-titre tenu par Emmanuelle Zoldan. Son charme et sa plastique en font une Périchole «de luxe», amoureuse, coquine, mutine, énervée, une femme, quoi ! Et, sa voix est à la hauteur du personnage : une mezzo affirmée, solide sur ses bases, stable et assurée en bas, qui sait aussi monter dans les aigus sans se départir de sa belle ligne de chant. On apprécie à ses côtés Alexandre Duhamel, baryton éprouvé sur les scènes lyriques qui apporte au vice-roi une grande présence scénique et vocale et la jeunesse de Rémy Mathieu, ténor léger frais et précis qui débute une carrière prometteuse. Virginie Fenu est ravissante et vocalement très à l’aise dans ses rôles de Guadalena et Manuelita avec, elle aussi, cette fraîcheur de la jeunesse qui n’est pas la moindre des qualités. Violette Polchi et Valentine Lemercier compètent avec talent et charme le trio des cousines. Chez les hommes, le quatuor Desmond, Lemaire, Bonelli et Delfaud est incontournable, inénarrable, comique en diable, omniprésent mais jamais pesant… Quatre «piliers» solides, quatre points cardinaux indiquant sans faillir le bon chemin aux jeunes qui travaillent à leurs côtés, partageant sans rechigner le savoir lié à leur expérience. Agatha Mimmersheim, Anne-Gaëlle Peyro, Patrice Bourgeois, Yves Fleuriot et Damien Rauch complétant de façon plus qu’heureuse la distribution. Un mot, enfin, sur l’orchestre du Théâtre de l’Odéon dont nous ne redirons pas ici combien il a progressé ces derniers mois sous peine d’être taxés de partialité. Mais ce week-end, sous la direction de Jean-Pierre Burtin, il a parfaitement servi Offenbach insufflant une belle vitalité à cette partition de «La Périchole». Une fois de plus nous avons pris une bonne dose de bonheur à l’Odéon. Et on en redemande !
Michel EGEA