Publié le 3 mai 2018 à 20h56 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 18h47
Que ce soit un Italien qui fasse travailler des musiciens marseillais avec une rigueur toute allemande : la chose peut paraître surprenante, mais rien n’est impossible du côté du Lacydon. Pour le plus romantique des opéras de Wagner, «Lohengrin», c’est au maestro Paolo Arrivabeni qu’incombe cette charge. Et cela tombe plutôt bien pour deux raisons : la première c’est que l’orchestre et le directeur musical s’apprécient et la deuxième, comme le confie Louis Désiré qui signe la mise en scène de cette production, «Lohengrin» est un ouvrage assez italien dans l’écriture musicale. Une écriture musicale qui impose son excellence dès les premières notes du prélude. Mais mercredi soir, pour la première des trois représentations programmées, le prélude ne nous a pas transportés… Un peu par la faute de la fosse, beaucoup par les fautes de la salle qui ne s’est pas concentrée dès les premières notes et dans laquelle on a permis aux retardataires d’entrer avec couinements de portes aux huis non huilés, cliquetis de sièges à travers lesquels on va bientôt passer, chute de sac bruyante, murmures et chuchotements… En règle générale, lorsque la représentation a débuté, on fait patienter les retardataires devant un écran jusqu’aux premiers applaudissements, parfois même jusqu’à l’entracte. Donc, pour nous, exit le prélude ; dommage car l’idée de l’animer scéniquement avec Elsa, Ortrud et Gottfried lui conférait une tension dramatique certaine. Un retard à l’allumage qui allait se poursuivre sur le plateau le temps que les voix s’ajustent et se calent. Une fois les boulons (rapidement) resserrés, place au beau, à l’excellence et parfois au sublime avec un deuxième acte frisant le chef-d’œuvre scéniquement et musicalement. Une tension à vous faire dresser tous les poils du corps, un orchestre puissant et élégant, très rond, aux sonorités superbes, cordes chaudes et de velours, vents impeccables, cuivres brillants sous la direction «millimétrée» et très inspirée du Maestro Arrivabeni qui mènera ainsi idéalement tout son monde jusqu’au final. Oui, un maître italien peut inculquer la rigueur germanique à des musiciens marseillais !
Sur scène, le plateau tient la route avec une Elsa crédible, toute de sensibilité, parfois de naïveté et d’inquiétudes féminines qui a les traits, et la voix sur le fil tendu de la fragilité, de Barbara Haveman. Petra Lang, elle, est une inquiétante Ortrud, sorcière sortie de ces grimoires où sont consignées les légendes teutonnes, voix bien placée, puissante et grinçante aux mimiques à faire des cauchemars toute la nuit. Annoncé souffrant, Thomas Gazheli campe un Frédéric de Telramund aigrelet, malfaisant malgré lui puisque manipulé par sa sorcière d’épouse du début jusqu’à sa fin. Adrian Eröd, héraut du roi, omniprésent, tient parfaitement sa partie, précis et avec une belle projection. Quant au roi Henri, l’oiseleur incarné par Samuel Youn, il chante et joue avec classe et talent, confirmant les excellentes impressions qu’il nous avait laissé à l’issue de sa dernière prestation à Marseille en 2015 dans «Le Vaisseau fantôme». Quant à Norbert Ernst, dans le rôle titre, il maîtrise totalement sa prestation vocale, évitant la surpuissance, histoire de préserver avec intelligence l’homogénéité de la distribution et la crédibilité de son histoire d’amour avec Elsa.
Un excellent travail auquel il convient d’associer les comprimari Pascale Bonnet-Dupeyron, Florence Laurent, Elena Le Fur et Marianne Pobbig chez les femmes, Florian Cafiero, Samy Camps, Jean-Vincent Blot et Julien Véronèse chez les hommes de même que le danseur-comédien Massimo Riggi (Gottfried) et les enfants Lisa Vercellino et Matteo Laffont. Après Hérodiade et avant Ernani, le chœur, renforcé chez les hommes, était confronté à Wagner et s’est distingué par sa précision une fois la mise en place du premier acte effectuée. Puissance et gravité ont présidé à ses prestations dont la qualité n’a d’égale que le travail effectué en amont sous la direction d’Emmanuel Trenque. Puis, il y a la mise en scène de Louis Désiré, toute de sobriété et d’intelligence. Loin d’un onirisme souvent utilisé, et usé, pour cet ouvrage, Louis Désiré crée un environnement sombre, certes, mais tout d’humanité. Un travail pour lequel il bénéficie des décors et costumes, sobres et sombres eux aussi, mais qui ne trahissent pas une seule fois le propos, de Diego Mendez Casariego. On est loin de la légende clinquante avec épées, armures et cygnes emplumés, la seule part de surnaturel étant apportée par les lumières blanches violentes parfaitement réglées par Patrick Méeüs. Une histoire toute de romantisme, un rêve d’Elsa, comme le confie le metteur en scène, une tranche de vie humaine avec le bien, le mal et un happy end où le héros, repart vers son Graal sans avoir négligé d’assurer bonne vie à ceux qu’il a côtoyés et à celle qu’il a peut-être aimée en ce royaume de Brabant. Superbe travail, production à découvrir sans faute au cours des deux représentations à venir.
Michel EGEA
Pratique. Autres représentations le samedi 5 mai à 19 heures et le mardi
8 mai à 14h30. Réservations au 04 91 55 11 10 / 04 91 55 20 43 ou sur opera.marseille.fr