Publié le 30 septembre 2016 à 21h26 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 15h37
Jubilatoire… Au sortir de la grande salle de La Criée, où vient d’être donnée la première représentation de la reprise de la pièce de Molière mise en scène par Macha Makeïeff, c’est le premier adjectif qui arrive aux lèvres. Jubilatoire : qui entraîne une grande joie ! A en juger par les visages de ceux qui déambulent dans le grand hall devenu lieu de -bonne- vie et de bonne chère de la scène nationale, nul doute que l’effet Trissotin en a touché plus d’un(e)… Jubilatoire, oui, mais aussi redoutablement caustique par l’intelligence d’une femme (hé oui !). Transposer l’action dans les années 60/70 du siècle dernier, doter les femmes, savantes, de la panoplie du petit chimiste, spectaculaire outil du triomphe féministe, faire monter la pression jusqu’à l’explosion de la famille, le tout sans trahir le texte de Molière, pouvait sembler être une gageure. Que nenni pour Macha Makeïeff : «Plus que la misogynie latente ou explicite que Molière fait entendre, écrit la metteuse en scène, c’est cette terreur que provoque chez les hommes l’illimité du désir féminin qui m’a intriguée -ici désir de savoir, de science de rêverie et de pouvoir- et plus encore le désarroi masculin qui en découle. Ici les excès des femmes, chimère érotomane de la tante, folie sectaire de la mère et de la fille aînée, rébellion ardente de la cadette, insolence sauvage de la cuisinière, envahissent dangereusement et délicieusement l’espace domestique.» Et dans le maelström de l’action, rien ne manque à la critique de la société, la gageure initiale se transformant en succès.
Succès ininterrompu, après une tournée qui a compté plus de 50 000 spectateurs, après une diffusion télévisée, il se poursuit avec la reprise à La Criée et la continuation de la tournée programmée, pour l’instant, de février à mai 2017. Pour le plus grand bonheur d’une véritable troupe d’artistes exceptionnels qui font vivre avec génie cette production. Il y a Trissotin, Geoffroy Rondeau, portrait craché de Conchita Wurtz, irrésistible dans sa nuisette rose… Chrysale, incarné par Vincent Winterhalter, vit dans ses rêves d’ancien jeune séducteur aujourd’hui totalement soumis à son hystérique et démente épouse Philaminthe, Marie-Armelle Deguy ; Ariste, c’est Philippe Fenwick, celui qui ne perd pas la tête, Armande est incarnée par Caroline Espargilière, jeune et déjà vieille fille aigrie, et Henriette, c’est Vanessa Fonte, délicieuse enfant qui veut être femme sans être savante. Désopilant, immense, c’est Thomas Morris dans le rôle travesti de Bélise. Ivan Ludlow est un charmant Clitandre, Atmen Kelif un Vadius peu disert mais très présent, Louise Rebillaud une Martine appétissante, Arthur Deschamps, L’épine et Pascal Ternisien, le Notaire, complétant idéalement cette distribution. Leur plaisir à jouer est grand, c’est indéniable ; plaisir à jouer, mais aussi de partager ce texte avec le public, de la meilleure des façons qui soit en devenant artisans cette expérience scénique unique aux lumières réglées à la perfection et à la bande son d’une extrême qualité. Tout concourt à la joie, au bonheur… Jubilatoire, donc, sans perdre une once de vitriol dans la critique de la société. A voir et/ou revoir séance tenante.
Michel EGEA
Pratique. Représentations jusqu’au 7 octobre, Grand Théâtre de La Criée les jeudis, vendredis et samedis à 20 heures, les dimanches à 16 heures et les mercredis à 19 heures. Représentations scolaires les 4 et 6 octobre à 14h15. Renseignements et réservations : 04 91 54 70 54 – theatre-lacriee.com