Publié le 14 novembre 2014 à 16h04 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h25
Dans une vie de mélomane, il est des moments d’exception, comme celui vécu en l’église Saint-Michel à Marseille, jeudi soir. Exceptionnel, certes, par la qualité des interprètes, mais aussi par la proposition qui était faite de découvrir une œuvre enfouie sous les sédiments de l’histoire mais qui compte dans l’histoire de la musique. Et là où d’autres vont chercher des pierres d’angle chez Monteverdi ou Cavalli, Jean-Marc Aymes, lui, est allé s’activer du côté de la bibliothèque de Modène pour exhumer un manuscrit en parfait état, celui du «Mosè» de Giovanni Paolo Colonna. Un oratorio pour cinq voix et instruments à cordes que le maestro a retravaillé, à l’instar de Leonardo Garcia Alarcon qui a ressuscité, il y a quelques mois, l’ «Elena» de Cavalli avec le bonheur qu’on sait. Elena, 1659, Venise ; Mosè, 1686, Modène :
deux pièces aux destinations fort différentes, mais qui ont, pour ces archéologues musicaux de génie qui les ont exhumées, nécessité le même travail. A savoir restituer les partitions pour tous les pupitres, pour chacune des voix.
Jeudi soir, donc, «Il Mosè» était donné sous les voûtes de l’église Saint-Michel à Marseille, en forme d’éclairage, de complément direct idéal, du « Moïse et Pharaon » triomphant à l’Opéra de Marseille. Et pour ne rien gâcher, cette soirée était en accès libre devant une nef qui avait fait le plein de passionnés, prouvant ainsi que la musique baroque, même sortie des oubliettes, peut séduire. Pour preuve le succès final.
Jean-Marc Aymes, en préambule, avait la bonne idée de remettre l’œuvre dans son contexte et d’informer l’assistance de la teneur de ce qu’elle allait entendre. On ne dira jamais assez combien ces prises de parole sont importantes pour des œuvres qui ne figurent pas au hit-parade classique. En facilitant la compréhension, elles en optimisent l’audition. Pour servir l’oratorio, le talentueux ensemble «Concerto Soave» était associé à un quintet vocal de très haut niveau. Une fois digéré le problème d’acoustique du lieu généré par la hauteur des voûtes, entrons dans le vif du sujet. La partition est superbe alternant tutti et récitatifs avec tension et dynamisme. Dirigeant depuis l’orgue, Jean-Marc Aymes donne toute sa puissance et sa dimension dramatique à l’oratorio. Du côté des voix, on connaissait la forme de Nicolas Courjal pour l’avoir entendu il y a quelques jours à l’Opéra. Confirmation, il est au top ! Précision, puissance, tenue parfaite dans les notes très basses, aisance : c’est le moment de se l’arracher pour l’engager. A ses côtés, la jeune soprano Suisse Léonie Renaud nous a séduit. La voix est souple, la ligne de chant très belle et très précise. Pour le rôle-titre, c’est un contre-ténor impressionnant, Maarten Engeltjes, qui s’y collait. Ce Hollandais-là ne vole pas, mais survole la partition avec une facilité déconcertante. La voix est agréable, puissante, affirmée, sans faiblesse et emplie de personnalité. A sa droite, c’est la soprano Raphaële Kennedy qui incarne Aaron avec aisance et belle présence et Étienne Bazola, basse-taille, est un chef des Hébreux très facile dans un registre parfaitement maîtrisé. Tous ont contribué au succès de cette soirée réellement exceptionnelle dont on dit, mais après-coup, qu’il est fort dommage qu’aucun enregistrement n’ait été réalisé. Il ne restera donc qu’un souvenir intime de Mosè sauvé de l’oubli par Jean-Marc Aymes et les siens…
Michel EGEA