Publié le 17 décembre 2015 à 20h54 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 20h56
Jouée la première fois le 27 septembre 1888 au Théâtre Cluny, la pièce de Georges Feydeau «Les fiancés de Loches» fut très mal accueillie, par la critique qui reprocha à l’auteur d’avoir concocté des scènes invraisemblables et de s’être moqué du public. Procès d’intention et attaques infondées tant cette comédie innovait et surtout s’attaquait à certains aspects de la société moderne, et notamment la manière condescendante dont les Parisiens traitaient les Provinciaux. Fable plus sérieuse sur le fond qu’il n’y paraît, ce vaudeville illustre parfaitement le propos de Feydeau stipulant: «Si tu veux faire rire…prends des personnages quelconques. Place-les dans une situation dramatique, et tâche de l’observer sous l’angle du comique». Dont acte. Eugène Gévaudan, son frère Alfred, et sa sœur Laure ont quitté Loches pour rejoindre la capitale dans l’espoir d’y faire un bon mariage. A la suite d’un quiproquo ils se retrouvent dans un bureau de placement (ancêtre de l’ANPE) en croyant s’adresser à une agence matrimoniale située à l’étage au-dessus. L’employé les recrutant comme domestiques chez le docteur Saint-Galmier, directeur d’un établissement psychiatrique, nos trois infortunés provinciaux s’imaginent alors que ce dernier, sa fiancée Léonie, et sa sœur Rachel sont les partis qu’on leur destine. L’incompréhension des uns et des autres étant totale, commence alors pour le public un spectacle hilarant où, loin du triangle amoureux, le mari, la femme, l’amant, Feydeau construit sous nos yeux hilares des scènes burlesques où l’on verra l’importance donnée aux objets détournés de leur utilisation première. Nouvelles technologies présentées en filigrane; clin d’œil malicieux aux théories thérapeutiques de Charcot, surgissant à l’époque de Feydeau -ce n’est pas un hasard si les trois évadés de l’hôpital psychiatrique dont on parle dans la pièce s’appellent Choquart, rappelant Charcot-; réflexion sur le langage -le docteur ne cesse de mentir-; utilisation de baignoires à des fins comiques; l’auteur appuie sa narration non sur une succession de didascalies sur les portes qui claquent -cliché dont on l’affuble- mais, sur une manière de gérer le mouvement comme arme de la vie qui résiste.
Sorte d’opérette
Hervé Devolder qui signe le mise en scène et qui connaît Feydeau par cœur, ne se contente pas ici de donner à entendre le texte. Il rajoute des chansons, et par l’intermédiaire de trois solistes: Thierry Boulanger au piano, Benoît Dunoyer de Segonzac à la contrebasse et Marianne Devos au violon, il propose une pièce musicale où les couplets ajoutés écrits par Jacques Mougeot ne surlignent pas la prose de Feydeau, respectée à la lettre, ni ne font de la paraphrase mais enrichissent l’intrigue en dévoilant à chaque chanson un aspect particulier de la psychologie des personnages. Quant aux acteurs, à la fois danseurs, comédiens, troubadours, saltimbanques et chanteurs ils sont tous excellents et offrent vraiment ici un spectacle de troupe. Pas un ne tire la couverture à lui, et la conception que Hervé Devolder a de la pièce, permet à chaque rôle d’avoir son morceau de bravoure, son air de prédilection, ceci équilibrant les rapports entre ces êtres victimes des malentendus qui leur pourrissent l’existence. Du Feydeau champagne ! Du Feydeau haut de gamme. Un moment de théâtre qui rend heureux.
Jean-Rémi BARLAND
Au Jeu de Paume jusqu’au 19 décembre à 20h30. Séance supplémentaire le samedi 19 décembre à 15h –