Publié le 10 janvier 2018 à 22h46 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 17h51
Même si elle se défend de prendre parti, se contentant, dit-elle, d’informer, ce «France-Fantôme» qu’elle propose, texte et mise en scène, au théâtre, ressemble fort à un assourdissant cri d’alarme que lance Tiphaine Raffier, jeune femme d’une trentaine d’année qui a observé avec acuité le monde dans lequel elle vit. Rien ne lui a échappé et pour raconter un futur qui ressemble bigrement à un «no future» elle a décidé d’embrasser le genre science-fiction qui permet une terrible projection sans concession dans l’avenir, fiction oblige. Et nous voilà au temps de «La Neuvième Révolution Scopique» d’où les images et représentations sont bannies, les souvenirs des «humains» déchargés régulièrement dans les machines, contre rémunération, où les vestiges culturels sont détruits, où les textes littéraires sont amputés d’un dixième «superflu», où le politique (État, intellectuel, religieux) domine son monde par le biais du téléchargement tarifé des souvenirs des morts, stockés de leur vivant, dans le corps de donneurs. Une immortalité garantie sans visage… Dans cet univers, Véronique va demander le rappel de son mari décédé, mais l’arrivée du revenant sera un échec, la jeune femme recherchant sans cesse le portrait de son époux aimé qu’elle avait griffonné sur un bout de papier détruit lorsqu’elle fit appel à l’entreprise spécialisée dans le stockage et le téléchargement des âmes des défunts. On imagine bien, dès lors, toutes les problématiques engendrées par cette dystopie. Mais Tiphaine Raffier en rajoute… Pollutions, fracture sociale, sexisme : rien n’échappe à cette vision terriblement cruelle d’une «réalité fictive». «J’ai écrit France-Fantôme comme le miroir déformant de ma vie » informe la jeune femme dans son avant-propos, avant de poursuivre «et aussi comme le négatif du monde. Un négatif, c’est l’embryon d’une photographie, son envers; ses couleurs sont inexactes et pourtant on reconnaît précisément chaque forme.» Chacun prendra ce qu’il veut dans cette débauche de texte -il y en a peut-être un peu beaucoup !- Mais on ne pourra plus dire que nous n’avions pas été informés ; et même si la révolution scopique n’est pas pour nous, le développement effréné des nouvelles technologies, les mises en scène de violences, de meurtres, les images subies au quotidien, devraient nous interpeller. De même que l’émergence de dictatures sécuritaires à tous les niveaux de la société. Avec «France-Fantôme» Tiphaine Raffier secoue le cocotier, parfois de façon un peu brouillonne du fait de la densité extrême de son propos mais elle a le mérite de le faire. D’autant plus qu’elle bénéficie de comédiens/musiciens exceptionnels qui, sous sa direction, réussissent le tour de force de tenir leur public pendant plus de deux heures et demie à commencer par Edith Mérieau, Véronique, omniprésente, émouvante, sensible. Une vraie performance. A voir séance tenante.
Michel EGEA
Pratique. Il vous reste trois représentations pour découvrir «France-Fantôme» à La Criée les 11, 12 et 13 janvier à 20 heures.
Plus d’info: theatre-lacriée.com
Interview-express de Tiphaine RaffierAvec «France-Fantôme», Tiphaine Raffier signe sa troisième pièce, texte et mise en scène. La jeune femme, artiste associée à La Criée, ne manque ni de talent, ni de caractère et fait preuve de grand personnalité. Rencontre. |