Publié le 22 mars 2016 à 21h32 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 22h05
Sur la scène aucun décor à l’exception d’une chaise noire sur laquelle sont déposées deux petites bouteilles d’eau minérale non gazeuse. Sur l’affiche pas de titre du spectacle (il n’en possède pas pour l’instant). Simplement un nom : Gaspard Proust. L’humoriste qui ne s’encombre d’aucune fioriture -d’ailleurs à la fin de son show il repart très vite avec en guise d’adieu un bref salut et un laconique « merci pour l’accueil »-, demeure le bonhomme le moins sophistiqué de tout le paysage artistique français. Il ne fait même aucun effort débitant debout ce qu’il veut dire, parlant parfois d’un ton monocorde. Et pourtant on est scotchés, subjugués par tant d’intelligence, abasourdis -nous qui pensions à tort avoir tout entendu en matière d’horreurs vachardes-, pliés en deux durant 1h40 et totalement conquis par l’insolence, l’audace, le culot et le courage de ce comédien né qui possède une sorte de force magnétique pour atteindre les gens. On se prend à supposer que Gaspard Proust après avoir fustigé les Islamistes, la Gauche, la Droite, Marion Maréchal Le Pen «il faut que la femme la plus belle de la politique française soit sur l’autre rive», François Hollande, Fleur Pellerin, les femmes, les rapports de couple, sauvera-t-il quelqu’un du carnage verbal auquel il s’adonne. Et bien non ! Personne de chez personne ! Sachant qu’il n’aime pas trop que l’on cite les phrases de son spectacle, j’éviterai de le faire, mais sachez que Timsit, Desproges, Coluche ne sont que des aimables poètes empathiques à côté de ce Gaspard Proust qui dézingue absolument tout sur son passage. On notera que pour lui le Guy Môquet 2016 dont il lit la nouvelle lettre à sa maman boit de la tisane, est un bobo parisien écolo, et résiste en prenant un verre en terrasse aux abords du Bataclan. C’est hilarant autant que déstabilisant. C’est décapant, violent rappelons-le mais efficace et surtout cela dénonce un certain état de déliquescence de la société française. Ce que démolit en premier Gaspard Proust c’est la dictature de l’image, et les efforts pathétiques que nous faisons pour donner de nous une impression lisse et convenable. «Les faux prophètes ramassent sévère», comme dirait Michel Audiard et ça tangue force 10. Ce qu’il raconte c’est un peu son parcours. L’histoire d’un trentenaire désabusé qui, parlant cinq langues a parfaitement lu les grands classiques du monde entier, voue sans doute à l’écrivain Céline un vrai culte, et sait écrire dans une langue charriant métaphores et propos imagés. Lui qui ne bouge pas trop sur scène (un peu plus que d’habitude) il arrive à nous faire croire qu’il danse sur les planches comme avec les mots. C’est inouï, de mauvaise foi et sincère. C’est totalement génial et sans comparaison aucune. C’est Proustissimo et c’est inoubliable.
Jean-Rémi BARLAND