Publié le 4 juillet 2015 à 22h15 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 19h19
De l’encre aura coulé, de la salive aura été usée, souvent à tort et à travers, bien avant que le rideau ne se lève, ce 3 juillet au soir, sur la première de «L’enlèvement au sérail», singspiel de Mozart, mis en scène par Martin Kušej. En janvier dernier, lors de la conférence de presse de présentation au Festival, Bernard Foccroulle annonçait: «dans le contexte actuel, le travail de Kušej va avoir une signification particulière. Il met en scène les tensions entre deux civilisations, entre l’Orient et l’Occident, l’humanité et l’ambiguïté des personnages et nous fait ressentir les choses au-delà de leurs apparences.» De la note d’intentions à la concrétisation, six mois se sont écoulés et de sinistres événements ont marqué l’histoire de la France et du monde. Face à cette insoutenable réalité, deux modifications de dernière heure sont intervenues sur la mise en scène : le retrait des inscriptions en arabe sur le drapeau noir et la référence à la décapitation finale de Konstanze, Blonde, Pedrillo et Belmonte. C’était préférable au soir de ce 3 juillet où, dans l’Isère, un homme lâchement assassiné était pleuré par les siens et recevait le dernier hommage de l’État. On l’aura compris, même si en propos liminaire Bernard Foccroulle situait l’action en 1920 (*) c’est bien sous une tente de Daesh plantée au milieu du désert que se retrouvent les otages dont le destin est placé tour à tour entre les mains de Selim, Pacha éclairé, et de Osmin, djihadiste. Quelques belles images, beaucoup de clichés, un texte parlé modifié, long, très long (mais il paraît que le texte original du temps de Mozart l’était encore plus): on a du mal à trouver un propos dans le travail qui nous est présenté. Tout au plus est-on interpellé par le réalisme inhérent au « live» d’images qui, pour une fois, ne nous arrivent pas à travers le filtre de l’écran TV. Alors, simple provocation du metteur en scène autrichien, coutumier du fait ? Peut-être pas. Car à la réflexion on peut trouver du sens, un sens, au travail de Kušej. En assassinant les otages, quatre Européens, ce sont les notions d’humanisme, de fraternité, de pardon, de partage, toutes les valeurs du siècle des lumières que Mozart voulait faire partager dans cette œuvre, qui sont anéanties. A l’Archevêché, à l’instar d’autres pans du patrimoine mondial, c’est un peu Mozart, c’est un peu le théâtre, dernière machine à rêve de l’homme, dernier espace de création, c’est la culture que la barbarie intégriste exécute. Et ici, c’est en direct. Malaise. Est-ce pour ça que le public de cette première n’a pas su adopter une attitude franche au moment des saluts. Kusej nous positionne-t-il devant une réalité que nous ne voulons pas, ou que nous avons du mal à regarder en face? Mais il y a un problème; et de taille. Ce travail de Martin Kušej ne semble pas faire l’unanimité, loin s’en faut, jusque sur le plateau.
Dans la fosse Jérémie Rhorer, à la tête du Freiburger Barockorchester, cisèle la dentelle de son Mozart alors que sur scène seule la tête de Pedrillo sort du sable où il est enfoui et les deux filles, Konstanze et Blonde, sont à genoux de chaque côté pour être filmées par les preneurs d’otages devant le fameux drapeau noir. Il y a un réel décalage entre ce que l’on entend et l’action sur scène. Un décalage qui n’est pas lié à la musique, mais à l’ambiance générale. C’est noir sur le plateau et rose dans la fosse. On ne peut pas dire, aussi, que la distribution, l’exception de Tobias Moretti, Selim Bassa, fasse de gros efforts en matière théâtrale; mais leur a-t-on seulement demandé d’en faire? Vocalement, enfin, on n’atteint pas des sommets, le Pedrillo de David Portillo et l’Osmin de Franz Josef Selig étant à notre sens, au dessus des autres. Bref, étrange sensation après plus de trois heures et demi d’un spectacle où Mozart sort un peu secoué, léger malaise par rapport à la vision de Martin Kušej et encore beaucoup de discussions autour de cette production qui interpelle. Mais n’est ce pas là l’une des missions d’un Festival que de faire naître le débat ?
Michel EGEA
Pratique. «L’Enlèvement au Sérail» de Mozart. Autres représentations les 6, 8 , 11, 13, 17 et 21 juillet à 21h30 au Théâtre de l’Archevêché. Informations et réservations au 08 20 922 923 et sur festival-aix.com – Tarifs de 30 à 250 euros. Le Festival informe que dans le cadre du plan vigipirate renforcé et à la demande de la sous-préfecture, une fouille visuelle de tous les sacs des spectateurs sera effectuée à l’entrée des lieux de représentation. Par ailleurs, aucune valise, sac à dos ou sac volumineux ne pourra être accepté à l’intérieur des sites. Afin de faciliter votre accueil, il est recommandé d’anticiper votre arrivée au théâtre. L’équipe de la boutique du Festival est à votre disposition pour toute précision soit par téléphone au 0820 922 923 (12cts€/min) soit à la boutique du Festival, Palais de l’Ancien Archevêché, 13100 Aix-en-Provence (ouverte tous les jours de 10 heures à 19 heures en continu)
(*) Le texte de Bernard Foccroulle
Vendredi soir, avant que ne débute la première représentation de «L’enlèvement au sérail» à l’Archevêché, Bernard Foccroulle, le directeur du Festival d’Aix-en-Provence a lu le texte suivant : « 1782 : Mozart est à Vienne. La ville vit encore dans le souvenir de la terreur qui s’est emparée de la population cent ans plus tôt, quand l’armée turque était aux portes de la ville. Ce souvenir n’empêche pas Mozart de composer L’Enlèvement au Sérail, un opéra qui met en scène des Européens prisonniers d’un Pacha ottoman. Porté par les idéaux des Lumières, Mozart parvient à dépasser les antagonismes primaires et écrit une œuvre empreinte d’humanisme et de tolérance.
Que dirait Mozart s’il revenait aujourd’hui parmi nous ? Que dirait-il face aux violences extrêmes qui frappent notre monde, ici et ailleurs ? Retrouverait-il quelque chose de cet esprit des Lumières qui n’a cessé de l’inspirer? Pour cette nouvelle production de l’opéra, le metteur en scène Martin Kušej a choisi de placer l’action dans les années 1920, au moment où les premiers conflits ébranlent le Proche-Orient, semant les graines de haines et d’humiliations dont nous constatons aujourd’hui les terribles conséquences. A travers cette transposition très sombre, le metteur en scène renvoie aussi à des situations contemporaines, y compris des situations extrêmes. Suite aux récents attentats, la direction du Festival et le metteur en scène ont jugé que certaines images devenaient insupportables. Deux modifications ont été apportées à la mise en scène. En faisant ainsi écho aux drames de notre époque, cette production montre à l’évidence que l’opéra est un art vivant, un art qui suscite réflexions critiques, débats, échanges et dialogues. »