Publié le 19 novembre 2021 à 22h03 - Dernière mise à jour le 3 novembre 2022 à 8h50
Créée le 14 octobre 1670 devant la Cour de Louis XIV au Château de Chambord par la troupe de Molière «Le Bourgeois Gentilhomme» est l’exemple parfait de la comédie-ballet et reste l’un des seuls chefs-d’œuvre de ce genre noble qui ait mobilisé les meilleurs comédiens et musiciens du temps (avec Lully notamment). Le succès qu’elle remporta immédiatement est sans doute lié au goût des contemporains pour ce qu’on appelait les turqueries.
L’Empire ottoman était alors un sujet de préoccupation universel dans les esprits et on cherchait à l’apprivoiser. L’origine de l’œuvre est d’ailleurs tout à fait originale et part d’un fait réel. La pièce est liée au scandale provoqué par un ambassadeur turc en France. Une affaire qui fit grand bruit et que l’on peut résumer ainsi : «Lors de sa venue le 5 novembre 1669 Louis XIV reçoit Soliman Aga, un envoyé du sultan de l’Empire ottoman Mehmed IV. Le Roi-Soleil a déployé tout le faste dont il est capable pour impressionner l’ambassadeur turc. Son brocart d’or est tellement couvert de diamants qu’il semblait « environné de lumière ». Pourtant, au sortir de la réception, l’invité aurait dit à des proches : « Dans mon pays, lorsque le Grand Seigneur se montre au peuple, son cheval est plus richement orné que l’habit que je viens de voir.» L’anecdote fait le tour de la Cour et Louis XIV, piqué au vif, cherche un moyen de ridiculiser les Turcs dont l’ambassadeur a osé ne pas être ébloui par le Roi-Soleil. Ainsi est née cette farce drôle, et trépidante qui notons-le n’est que très rarement donnée dans sa version intégrale avec ballet et musiciens.
Mon royaume pour un Mamamouchi
Jérôme Deschamps avec un grand respect pour la partition, s’est attelé à la tâche et propose à l’Opéra de Marseille jusqu’au 20 novembre inclus sa vision de l’œuvre. Entouré de danseurs, de chanteurs, et des membres de l’Académie des Musiciens du Louvre (en partenariat avec le Jeune Orchestre de l’Abbaye et le CRR Paris) emmenés par le chef d’orchestre David Dewaste dont on saluera le travail de haute précision dans l’équilibre donné à chaque pupitre, le metteur-en scène acteur et concepteur du spectacle apporte sa griffe personnelle à l’œuvre. Quant à son personnage Jérôme Deschamps le définit ainsi : « Il n’est pas celui qu’on croit, un ridicule sottement ambitieux, en appétit des honneurs, mais un bourgeois qui s’ennuie et qui désire s’élever, quitter la vie routinière qui l’ennuie, et devenir un « homme de qualité » par la culture. Il rêve… Bien sûr, ignorant de ces matières, de leur contenu le plus simple, il n’en connaît que les signes extérieurs qui l’attirent, et sa naïveté nous amuse. Les autres rient de lui, on s’en moque, on le croit fou. Il rêve… Et je veux ici faire partager sa solitude au milieu de ceux qui le dupent, son émerveillement devant le paradis qu’il croit voir naître sous ses yeux. Et rêver… » Mon royaume pour un Mamamouchi en quelque sorte.
Un héros qui demeure un ancien enfant. Jérôme Deschamps est irrésistible de drôlerie. Il illumine de son talent cette super-production où l’on notera la qualité des décors confiés à Félix Deschamps -artiste lui-même dont on a salué la puissance des œuvres exposées à La Criée- et la beauté visuelle des costumes très colorés de Vanessa Sannino. Il se démultiplie, réussit à imposer une véritable troupe unie dans le texte qu’ils interprètent en artisans du théâtre (c’est un compliment), et par les mouvements fort nombreux de la mise en scène assez exaltée et très exaltante.
Comme toujours quand il monte un spectacle Jérôme Deschamps l’agrémente de trouvailles de son cru qui semblent voyager du côté des Deschiens qu’il fonda avec Macha Makeïeff en 2003, et qui ici ne sont pas sans rappeler l’univers des Monty Python. Moment hilarant quand Monsieur Jourdain finit de tuer le cochon présenté dans un large plat et où, en lui ouvrant le ventre apparaissent des saucissons prêts à être mangés ainsi que des tranches de jambon lyophilisés sous cellophane avec tube de ketchup et de mayonnaise sortant là aussi des entrailles de l’animal.
On rit aussi beaucoup aux scènes champêtres où on voit apparaître moutons et autres animaux ainsi qu’un cheval avec balai de bois comme les enfants en utilisent quand ils jouent aux chevaliers. C’est drôle, coloré, agencé avec une évidente inventivité Monsieur Jourdain apparaissant de temps en temps à la fenêtre d’un décor surplombant la scène. Du beau travail, de l’enthousiasme pour un spectacle festif qui tout en malmenant les codes de la logique rationaliste demeure d’une fidélité absolue aux intentions scéniques de Molière.
Jean-Rémi BARLAND
A l’Opéra de Marseille, jusqu’au 20 novembre inclus à 20 heures – plus d’info et réservations : lestheatres.net