« Enfin tout seul », dit d’emblée le premier personnage mis en scène par André Dussollier. S’adressant à sa volonté et à sa mémoire celui-ci par l’entremise de l’acteur d’une élégance absolue nous convie à une fête des mots.
Dès les premières minutes, « Sens dessus dessous » donné jusqu’au 26 janvier au Cado d’Orléans avant que d’être repris du 25 février au 1er mars au Théâtre du Jeu de Paume d’Aix-en-Provence invite le spectateur à un fabuleux voyage autant littéraire que scénique. Conçu réalisé et interprété par André Dussollier lui-même qui reprend un peu ici la structure de son spectacle « Monstres sacrés, sacrés monstres », ce « Sens dessus dessous », (un seul en scène au titre emprunté à un sketch de Raymond Devos) voit le comédien prêter sa voix à un florilège d’auteurs, d’écrivains et de poètes français qui ont façonné sa vie.
« J’ai envie ici de partager des trésors littéraires »
André Dussollier explique: « J’ai envie avec ce spectacle de partager ces trésors en les faisant vivre sur scène, en les révélant hors de la place qu’ils occupent habituellement dans les livres et sur nos étagères, pour qu’ils aient l’occasion de se faire entendre indépendamment de la reconnaissance accordée à leurs auteurs. On les ressuscite si rarement. Ils appartiennent à tous les genres, à toutes les époques. Qu’ils soient écrits par Victor Hugo, Aragon, Charles Baudelaire, Roland Dubillard, Sacha Guitry, Henri Michaux, Raymond Devos, André Frédérique, L’abbé de L’Attaignant, la beauté les unit, leur originalité nous surprend ; ils sont de tous les temps.» André Dussollier a donc choisi les mots des autres pour dire son amour des belles lettres à la française qu’il interprète plus qu’il ne les récite. Dans ce grand salon compassé, s’invitent tout à la fois Alexandre Dumas fils (« Les chaînes du mariage sont si lourdes qu’il faut être deux pour les porter. Quelquefois trois. »), Sacha Guitry ou encore Victor Hugo qui avec « Le crapaud » se demandait: « Que savons-nous ? qui donc connaît le fond des choses ? » Pour en réponse signer un poème bouleversant sur l’innocent châtié, le bouc-émissaire, la sauvagerie des hommes. Puis plus tard Victor Hugo, toujours lui, se voyait convié à la barre de la fantaisie avec «Le mot» (Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites ! Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes ; Tout, la haine et le deuil ! Et ne m’objectez pas. Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas. »), poème donné en rappel.
Devos, Dubillard, Fournel, Aragon, Ribes…
Déboulent également Raymond Devos et Baudelaire, Roland Dubillard et Paul Fournel. « En prose comme en vers, les textes caracolent et s’enchevêtrent, mêlant les styles et les époques, rythmés par les voeux présidentiels qui se répètent mandat après mandat. Plus qu’une mise en scène, c’est une mise en texte joyeuse et poétique que nous propose André Dussollier et nous buvons ses paroles avec gourmandise jusqu’au dernier mot », est-il souligné en note d’intentions. On confirme. Irrésistibles moments avec des extraits des « Diablogues » de Roland Dubillard que l’on a pu applaudir avec le duo François Morel-Jacques Gamblin, et «Ultime bataille » de Jean-Michel Ribes tiré de « Batailles » du duo Topor-Ribes où André Dussollier reprend dans sa version masculine le monologue d’une femme incarnée à l’époque de sa création par Tonie Marshall contemplant avec délectation la fin prochaine de son mari suspendu à un balcon et qui va finir dans le vide.Puis il y a
« Tu n’en reviendras pas toi qui courais les filles /Jeune homme dont j’ai vu battre le cœur à nu/ Quand j’ai déchiré ta chemise et toi non plus/ Tu n’en reviendras pas vieux joueur de manille», de Louis Aragon, mis en musique et chanté par Léo Ferré. Le poète y évoque son expérience de médecin militaire auxiliaire en 1918 dans un poème publié en 1956 dans « Le roman inachevé » poème en alexandrins écrits d’une manière régulière et qui s’impose comme un terrible témoignage sur la tragédie sans nom de la guerre. Morceaux de rois qu’un extrait de « Les athlètes dans leur tête » de Paul Fournel dont André Dussollier avait autrefois proposé tout un spectacle. Moment libertin aussi avec le poème « Le mot et la chose » de Gabriel Charles, abbé de Lattaignant (1697- 1 779) qui s’achève par « Madame passez-moi le mot et je vous passerai la chose.»
Mise en scène virtuose, mise en texte joyeuse
Sans jamais faiblir dans une mise en scène qui est aussi un hymne au cinéma et on le redit une mise en texte joyeuse André Dussollier se fait dix, cent, mille, on a en effet l’impression que nous arrivent tout ce que la littérature compte d’auteurs inventifs au style flamboyant. En un mot on adore !
Jean-Rémi BARLAND
« Sens dessus dessous » jusqu’au 26 janvier par André Dussollier, au Cado d’Orléans -Boulevard Pierre Ségelle,-45000 Orléans. Plus d’info et réservations sur cado- orleans.fr
Au théâtre du jeu de Paume – 17/21 rue de l’Opéra 13100 Aix-en-Provence du mardi 25 février au samedi 1er mars à 20h. Plus d’info et réservations sur lestheatres.net