De la dramaturge et comédienne Trinidad on connaissait « Et pendant ce temps-là Simone veille », où elle retraçait avec humour la (trop lente) évolution de la condition féminine. Des années 1950 à nos jours, nous y suivions trois femmes, quatre générations dans des scènes de la vie quotidienne accompagnées de chansons décalées. Après cette pièce qui fut un succès Jean-Marc Catella suggéra à son amie autrice de réaliser le même spectacle sur les hommes. Ainsi est née l’idée de « Et pendant ce temps-là Sigmund freudonne » joyau théâtral à découvrir en ce moment au CADO d’Orléans, lieu dirigé par Christophe Lidon.
« D’emblée l’idée m’a séduite, précise Trinidad. Mon idée du féminisme a toujours été d’avancer ensemble, hommes et femmes main dans la main. J’ai voulu, dans une tonalité humoristique et musicale, tenter de percer le silence des hommes et leurs difficultés à être homme à travers l’Histoire, en entrant dans l’univers masculin en accompagnant quatre lignées d’hommes sur plusieurs générations, avec en fil rouge le personnage de Miss Freud, conteuse de cette évolution de la condition masculine et point de jonction entre les différents personnages masculins. » Elle signale que le livre de Guy Corneau « Père manquant, fils manqué », l’a beaucoup marquée. « J’ai construit, poursuit-elle, chaque personnage de la pièce sur le manque du père justement et sur leurs conséquences. J’ai écouté alors beaucoup d’hommes avec notamment la parole d’un professeur d’Histoire, pour mieux appréhender la notion d’enfermement condamnant chaque lignée au silence, et, ce pour des raisons différentes. Ici la lignée de Jacques c’est la rigidité. La lignée de Hugo c’est l’homosexualité. La lignée de René, c’est la colère. Auxquelles se rajoute la lignée de Kevin, Paul et Jean-Paul, tous en lien avec l’Allemagne qui m’a servi de levier d’écriture pour montrer combien les hommes ont du mal à parler entre eux. »
Une maîtresse de cérémonie du nom de Miss Freud
Ils sont là, réunis devant nous, quatre beaux spécimens de la gent masculine, à quatre âges charnières de la vie. Et on les écoute parler de leur condition masculine, grâce à l’intervention de Miss Freud, une mystérieuse maîtresse de cérémonie, qui va les inciter à se dévoiler. Les hommes… que chante Barbara dont on entend quelques notes ont-ils changé ? « Ceux du 21e siècle ressemblent fort à ceux du 20e, non ?» Mais attention, nous dit-on :« Il ne s’agit pas là d’un cours de sociologie ! C’est avec humour et en musique que notre interlocutrice et ses comparses mettent le doigt sur les contradictions qui les habitent, les normes liées à la masculinité, abordent la remise en question de la distribution des rôles et des comportements préconçus. Leur but ? Susciter le rire et provoquer l’auto-critique et l’auto-dérision tout en encourageant l’empathie envers ces parcours masculins. » Sourire en se divertissant, donc. Tout un programme… et sont présents alors beaucoup d’hommes en un seul homme. Trinidad qui affirme ne pas adhérer à un féminisme qui annihile les hommes, défend ici l’idée qu’on ne doit pas faire payer aux jeunes générations ce qui s’est passé avant.
Interprètes au diapason dans une mise en scène flamboyante signée Gil Galliot
Avec en toile de fond une plongée dans la PMA qui signifie ici « Père Manquant à l’appel », développant principalement cette constatation: « C’est tout le problème de l’inconscient, on pense qu’on est le problème alors qu’on porte le problème ». La pièce nous fait découvrir autour de Trinidad, dans la peau d’une Miss Freud pétillante, des interprètes au diapason. A savoir … Sébastien Fouillade (Hugo, Aristide, et Hubert), Patrick Mazet (Renaud, Renan et René), Clément Vieu (Charles-Antoine, Carlo et Jacques), et le plus jeune de l’équipe Marin Langlois, formidable en Kevin, Paul et Jean-Paul. Né le 29 février 2000 ce dernier vit ici sa première expérience théâtrale professionnelle. Son enthousiasme est total. « Il n’y a pas mieux pour commencer sur les planches que cette pièce», indique-t-il avant d’expliquer: « J’allais aux répétitions avec bonheur et je me suis enrichi de cette expérience. L’alchimie qu’on a tous les cinq dans ce qui fut un travail rigoureux et où on s’est beaucoup amusés m’a tellement fait exister sur scène… Et puis moi qui n’ai pas connu cette époque des avancées du droit des femmes dont la loi Veil, j’ai beaucoup appris de ce texte.» Au charisme et au talent innés, Martin Langlois s’est fondu dans l’équipe avec l’aisance et la générosité d’un comédien chevronné, aidé en cela par la mise en scène inventive et d’une finesse extrême que l’on doit à Gil Galliot. Loin de faire de la paraphrase, passant d’une époque à l’autre dans des mouvements fluides au sein de scènes s’enchaînant avec virtuosité, ne perdant jamais ainsi le spectateur dans ces expositions de temporalités différentes, celui-ci accompagne le travail de tous dans un modestie et une flamboyante approche du texte.
Moment bouleversant où sont cités des hommes amoureux des femmes tels Jacques Brel, « Ne me quitte pas » Paul Eluard, « la courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur », Aragon des « Yeux d’Elsa », montrant que depuis 1998 « les filles préfèrent le Parc des Princes aux princes charmants », insistant également sur un certain MLF (Mâle Lâché par les Femmes) voilà un spectacle théâtral et musical de toute première importance. Et si beau à voir, tant les costumes de Chouchane Abello-Tcherpachian, les décors de Sophie Jacob, la chorégraphie de Johan Nus accompagnant la musique originale de Pascal Lafa, et les lumières de Gil Galliot en personne, sont à la hauteur de ce projet artistique au final citoyen et salutaire.
Jean-Rémi BARLAND
« Et pendant ce temps-là Sigmund freudonne » jusqu’au 24 novembre au Centre National de Création Orléans-Loiret (Cado) d’Orléans. Théâtre d’Orléans, boulevard Pierre Ségelle – 45000 Orléans – Plus d’info et réservations: cado-orleans.fr