Tout droit sorties de Freaks, le film mythique, les deux sœurs siamoises Hilton vont renaître, grâce aux talents multiples du duo Valérie Lesort-Christian Hecq.
Daisy et Violet, sont nées au début du siècle dernier, le 5 février 1908 à Brighton au Royaume-Uni et sont mortes le 4 janvier 1969 aux États-Unis. Enfants illégitimes et handicapées, sœurs siamoises, rattachées par le bas de leur colonne vertébrale et laissées ainsi car les médecins jugeant leur dissociation possible, mais trop risquée, décident de ne pas les séparer, elles sont condamnées à l’abandon, voire à l’infanticide. Mary Hilton, la sage-femme qui les met au monde, décide de les adopter, plus par cupidité que par charité chrétienne. Sans vergogne, la marâtre ne tarde pas à les transformer en bêtes de foire, à faire payer trois sous aux badauds qui voudraient les observer, d’abord au Royaume-Uni, puis en tournée, en Allemagne, en Australie et aux États-Unis. Formées, en parallèle, au chant et à la danse, isolées du reste du monde, elles deviennent, au fil des années, des stars du music-hall. À la mort de leur mère adoptive, Daisy et Violet sont prises en charge par le producteur Meyer Meyers qui leur permet de jouer dans de nombreux cirques itinérants américains, et même à Broadway.
« La monstrueuse parade » en version théâtre
A partir du début des années 1930, et malgré leur participation au film Freaks et leur rencontre avec le célèbre magicien Houdini, leur vie s’étiole. Tant personnellement que professionnellement, les deux sœurs entament alors une lente dégringolade, jusqu’à leur mort en 1969, à Charlotte, en Caroline du Nord, où, pour survivre, elles tenaient la caisse d’une épicerie. Exploitées durant toute leur existence, elles passeront de mains en mains. D’abord monstres de foires, elles deviendront stars à Broadway et finiront dans l’oubli et la misère.
Leur destin exceptionnel est raconté par Valérie Lesort au travers d’une pièce de théâtre d’une inventivité rare qui pourrait s’appeler « La monstrueuse parade » comme l’est le film « Freaks ». Dans un somptueux décor évoquant une piste de cirque, au centre de laquelle se trouvera une entrée des artistes, sorte de boîte à malice d’où apparaîtront, à chaque ouverture de rideau, des univers différents, deux comédiennes Valérie Lesort et Céline Millat-Baumgartner incarnent les sœurs Hilton, de leur naissance à leur mort. Bouleversantes, dans un aller-retour permanent entre ingénuité et lucidité tragique, elles sont accompagnées d’un duo de garçons de piste, à savoir Christian Hecq et Yann Frisch, sorte de serviteurs de l’histoire, passant de maîtres de cérémonie, à clowns, magiciens et comédiens. Ils interpréteront tous les personnages ayant eu une influence sur l’existence des siamoises.
D’emblée « Les sœurs Hilton » s’impose comme un mélange subtil entre l’épique et l’incongru, la poésie et le burlesque, la réalité la plus sombre et le vertige de l’illusion. De Daisy et Violet, ces phénomènes de foire à la vie âpre et cabossée, l’imaginaire foisonnant de la presque Aixoise Valérie Lesort (elle est de Gréasque) et de Christian Hecq, originaire du plat pays dont le jeu est tout sauf plat justement, nous montre la beauté cachée et nous restitue la dignité. « Le théâtre est noir, mais pas les âmes des deux saltimbanques qui, dans la voie lactée du cirque, brillent dans la constellation des Gémeaux», nous dit-on et nous en prenons plein les mirettes, sommes émus, bousculés, surpris, et ballotés entre légèreté et gravité, portés en cela aussi par la musique et les conceptions sonores de Mich Ochowiak et Dominique Bataille. Le spectacle est en effet ponctué de numéros musicaux offerts par des virtuoses, de danse, d’effets visuels (Yann Frisch, incroyable acteur dans « La petite vadrouille » notamment, s’est chargé avec génie de la conception et de la fabrication des entresorts), instants magiques se superposant offrant ainsi au spectateur un voyage dans le temps, oscillant entre théâtre et cabaret, entre rires et larmes.
« Valérie a rempli les valises, et je les ai mises dans le coffre »
Tout droit sorties de Freaks, le film mythique de Tom Browning datant de 1932 les deux sœurs siamoises Hilton renaissent donc ici grâce aux talents multiples du duo Valérie Lesort-Christian Hecq. Complices à la scène à qui l’on doit Vingt Mille Lieues sous les mers que l’on pourra voir à Aix au GTP en mars 2025, et Le Voyage de Gulliver… mari et femme à la ville, fous d’histoires folles, leur entente est parfaite. « Valérie a rempli les valises, et moi je les ai mises dans le coffre », précise Christian Hecq pour présenter son cotravail de mise en scène qui jouant au final assez peu sur la chronologie brosse le portrait bouleversant de deux femmes devenues à jamais et sans qu’elles l’aient voulu prisonnières de leurs corps. On sait combien Christian Hecq en tant que comédien est exceptionnel à chacune de ses apparitions. Ses prestations à la Comédie-Française l’attestent et nous l’applaudissons ici sans réserves, intense et ne cabotinant jamais, passant d’un personnage à l’autre, nounou d’enfer absolument maléfique à patron de cabaret vénal, où il se transforme par moments en lanceur de couteaux, interprète phénoménal d’un moment de théâtre également phénoménal. Un régal d’intelligence, d’interprétation et de maestria visuelle.
Jean-Rémi BARLAND
« Les sœurs Hilton » au Centre National de Création Orléans -Loiret. Théâtre d’Orléans Boulevard Pierre Ségelle – 45000 Orléans.
Calendrier des représentations jusqu’au 14 décembre
- mardi 10 décembre 20h30
- mercredi 11 décembre 19h00
- jeudi 12 décembre 19h00
- vendredi 13 décembre 20h30
- samedi 14 décembre 20h30
Plus d’info et réservations : cado-orleans.fr