Publié le 6 octobre 2015 à 13h41 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h31
«Vous êtes forts comme des chênes et sensibles comme des oiseaux», c’est en citant René Char que Christiane Taubira, ministre de la Justice, a rendu hommage, à Marseille, à tous les acteurs de la politique publique de prévention, d’insertion, d’aide aux victimes et d’accès au droit menée conjointement par l’État et la Région. Voilà 15 ans, le ministère de la Justice et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur signaient une convention unique en France afin de conduire conjointement cette action.
L’Hôtel de Région, ce lundi, a vu intervenir des associations telles Itinéraire Bis, Urban Prod et Jeux Fictifs. Des actions fortes et des résultats. Une politique pour laquelle la région verse chaque année 2,25 millions d’euros tout comme l’État. Par ailleurs, les actions d’insertion, de formation professionnelle et d’accès à l’emploi des publics les plus fragilisés de la justice sont également soutenues par la mobilisation des crédits inscrits dans le cadre des opérations arrêtées dans le programme régional du Fonds Social Européen en 2014-2020. Enfin la direction de la formation et de l’apprentissage de la Région apporte des financements complémentaires à hauteur de 1,7 millions d’euros.
«Il faut faire du temps de incarcération un temps utile»
Michel Vauzelle, le président de Région ouvrira la rencontre sur «les terribles événements qui viennent de se produire. Il y a des morts, des vies brisées, un choc psychologique et moral» avant de demander qu’une minute de silence soit observée. Christiane Taubira exprimera à son tour «son soutien total avec nos concitoyens des Alpes-Maritimes». Puis, d’en venir à la convention: «Elle prouve que lorsque nous travaillons ensemble les résultats sont spectaculaires». Au-delà des chiffres, la ministre évoque «le moment du miracle, celui où la société accepte d’entendre, de voir, ceux qui ont été un temps exclus. Celui où des personnes sont assez généreuses pour les accompagner dans leur retour à la société». Et de mettre en exergue l’efficacité de cette politique : «Elle a permis d’intervenir auprès de milliers de personnes car chaque fois que l’on rattrape une personne on joue sur un ensemble social». La question qui s’impose: Pourquoi donc ne pas pérenniser cette politique ? «Nous y sommes très favorables, explique Christiane Taubira, mais là, je lance un appel au peuple, il doit bien mesurer que certains sont volontaires pour mener des politiques publiques et d’autres non».
Une fois ce message lancé, elle poursuit : «Lorsque l’intelligence collective est mobilisée on parvient à une alchimie qui harmonise les rapports des uns et des autres, favorise l’épanouissement des personnes qui ainsi apporte chacune leur contribution à la collectivité». «Nous avons besoin, insiste-t-elle, que les personnes qui, à un moment, ont été mises en marge de la société y reviennent, comprennent les règles de la vie en commun. Il faut faire du temps de l’incarcération un temps utile».
Concernant les actions soutenues dans le cadre de la convention, Christine Taubira souligne qu’elles contribuent à la réalisation de trois grands axes prioritaires : garantir l’accès au droit et à la justice; soutenir le parcours d’insertion sociale, scolaire et professionnel des jeunes, auteurs ou victimes de violences ou d’actes de délinquance; lutter contre la récidive et favoriser la réinsertion des personnes détenues. «On voit bien le profil des personnes qui ont maille à partir avec la justice. On ne doit pas les exonérer de la responsabilité de leurs actes, ils doivent mesurer qu’ils sont sujets du droit. Mais, cela ne doit pas empêcher de mesurer les empilements de problèmes auxquels certains sont confrontés. Il suffit de savoir à ce propos que le taux d’analphabétisme est le double en milieu carcéral de celui existant. Des conditions objectives existent qui poussent plus facilement vers la délinquance. Mais dire cela c’est aussi rendre hommage à la majorité des personnes qui, confrontées à ces mêmes problèmes ne glissent pas et ont d’autant plus de mérite à rester dans le droit chemin» .
«Vous agissez avec fermeté et bienveillance»
La ministre de la Justice aborde le problème de la récidive : «Il faut lutter contre. Mais, quand ceux qui se gargarisent de sanctionner la récidive, étaient au pouvoir, elle n’a fait que croître. Moi, je veux la combattre mais aussi la prévenir car je sais que ce sont de nouveaux actes de délinquance, de nouvelles victimes. Alors, nous travaillons sur cette question, notamment à partir d’expériences conduites depuis des années dans certains pays avec des effets mesurables et remarquables. On voit bien, dans ce cadre, les effets positifs de la libération sous contrainte. Elle permet un suivi, un accompagnement des personnes vers la réinsertion. Alors que les sorties sèches sont sans contraintes, sans obligations. Et c’est de cette manière que l’on crée du danger pour la société et après l’on s’étonne que des gens récidivent. Mais c’est étonnant de s’étonner». Et, à destination des membres de ce dispositif, elle considère: «Vous agissez avec fermeté et bienveillance. Vous êtes exigeants et en même temps toujours là comme soutien, comme tuteur.»
«Ce Ministère qui a la difficulté de porter le nom d’un idéal »
Au préalable, Michel Vauzelle avait avancé: «Dans la crise que nous connaissons, économique, sociale, morale, il importe de mettre à l’honneur tous les auxiliaires de justice afin que nos concitoyens comprennent mieux notre conception de la République». Avant de rendre hommage à Christiane Taubira : «Vous êtes notre fierté, pour votre action et ce que vous représentez, la femme en politique à la tête de ce Ministère qui a la difficulté de porter le nom d’un idéal».
Pour Gaëlle Lenfant, vice-présidente (PS) de la région déléguée à la jeunesse, solidarité, prévention, sécurité et lutte contre les discriminations «Au travers de notre convention, nous montrons notre capacité commune à changer de point de vue pour vraiment prendre en compte chacune et chacun». Elle illustre par un exemple la pertinence de cette politique : «Lors du lancement vauclusien des États-Généraux de la jeunesse que nous avons conduits, Fabien, un jeune homme a eu le courage incroyable de prendre la parole pour dire qu’il avait commis des erreurs, qu’il avait été incarcéré. Et, qu’une fois, deux fois, trois fois, une personne était venue lui tendre la main, jusqu’à ce qu’il accepte cette main tendue. Fabien a réussi son CFA d’apprenti maçon et a su obtenir la confiance de son employeur». Elle ajoute que, dans quelques semaines, dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes «aura lieu un procès fictif basé sur des faits réels de violences. Cet événement, dont la sensibilisation est l’objet premier, sera public et filmé afin d’être diffusé largement, aussi bien au monde de la justice, que dans la police, la santé, les lycées… ».
«Quel supplice d’être gouverné par des lois que l’on ne connaît pas»
Chantal Bussière, première Présidente de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence revient à son tour «sur ce long partenariat qui ne s’est pas éteint avec la fin du volet justice du Contrat de plan». Elle ne cache pas sa satisfaction «à l’heure où les budgets sont contraints», de voir mis en commun des moyens avant d’espérer «que la Maison de Justice de Marseille verra le jour rapidement» avant de formuler le vœu que la convention se poursuive encore longtemps, au vu des actions conduites. La Présidente cite alors Kafka : «Quel supplice d’être gouverné par des lois que l’on ne connaît pas». Pour sa part, Jean-Marie Huet, le Procureur général auprès de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence apprécie «la valeur ajoutée significative de ce système et sa souplesse».
En ce qui concerne les jeunes qui sont dans ce dispositif, Mehdi a rencontré l’association Itinéraire bis: «J’ai été orienté par des éducateurs de la PJJ. On m’a donné les moyens d’avancer plutôt que de rester sur l’échec. Je commence à m’en sortir et j’attends une réponse pour un CDD». Luca poursuit: «Avant la formation, je faisais des conneries, là, tout a changé, je me relance».
Depuis 2005, l’association Urban Prod élabore des actions, propose des prestations et innove avec et pour les jeunes qui ont moins d’opportunités : sous main de justice, issus de quartiers difficiles, en Aide Sociale à l’Enfance ou, en situation de handicap. L’association utilise les Technologies de l’Information et de la Communication (vidéo, son, web) pour offrir aux jeunes une ouverture culturelle, un accès à la citoyenneté, une éducation aux médias.
« »Lieux Fictifs » offre un temps hors du temps»
Lieux Fictifs a présenté le projet de création collaboratif, ANIMA. Ce projet associe depuis 2014 des personnes sous-main de justice, adultes et mineurs, des adultes de la société civile et des seniors. Une partie de ces participants était présent aux côtés des réalisateurs, Caroline Caccavale et Joseph Césarini pour témoigner de l’expérience traversée sur ce projet artistique. Christophe a passé six ans aux Baumettes avant d’être en semi liberté puis, libéré: «J’ai pu, participer à ce projet qui m’a permis de travailler sur moi, sur mes sentiments, la parole. J’ai vu que nous avancions tous, c’est très fort». Il est maintenant danseur, acteur et vidéaste. Karim explique à son tour : «Avant de rejoindre « Lieux Fictifs » je vagabondais, je ne suivais aucune formation. Ce projet m’a permis de me réinsérer». Moussa dit qu’il apprend beaucoup.
Un autre avoue: «J’ai découvert un autre monde, je ressens maintenant des choses que je n’avais jamais éprouvées ». Odette vient « du dehors »: « Lieux fictifs me donne du bonheur, permis de rencontrer des jeunes de milieux différents». «C’est émouvant, poursuit-elle, de parler après les témoignages des jeunes. Il y a le choc de la découverte de l’univers carcéral et puis Lieux Fictifs offre un temps hors du temps, où l’on est ensemble en tant que personne. On déplace le regard, on invente des gestes, des mots». L’ex-directrice de la Maison centrale d’Arles entend témoigner : «Un gros chef de réseau de drogue est arrivé à Arles en provenance des Baumettes. Il nous a expliqué qu’il avait commencé à écrire un scénario, qu’il souhaitait monter une troupe de théâtre. Il a d’abord voulu travailler seul avant de se rendre compte qu’il avait besoin d’un metteur en scène à ses côtés. Un comédien a accepté de participer bénévolement à cette aventure. Il est toujours un leader, il a toujours un rôle très important mais avant, il dirigeait un réseau de drogue maintenant une troupe de théâtre».
Michel CAIRE