Un vrombissement assourdissant de pales d’hélicoptères envahit la salle du Théâtre de la Ville. Puis des hélices lumineuses apparaissent sur scène alors que le rideau se lève. Les six danseurs entrent dans le champ et suivent le tempo. Dans cette pièce, le défi est de faire se répondre la composition musicale délirante de Karlheinz Stockhausen et la chorégraphie d’Angelin Preljocaj, qu’elles s’enrichissent. Pari réussi.

Une composition expérimentale

« Helikopter» composée en 1995 relève de l’expérimentation. Stockhausen opère, lors du Holland festival, un exercice délirant. Il embarque chaque instrumentiste du quatuor Arditti dans quatre hélicoptères. Ils jouent en direct. L’ensemble est mixé par le compositeur allemand. Les rotors se mélangent aux cordes. Le tout offre une pièce musicale hypnotique, sidérale, qu’Angelin Preljocaj a choisi de chorégraphier. En 2001, lors de la création de Helikopter, il reconnaissait la difficulté : « Quand j’ai entendu la musique au début, ce n’était pas possible ! »
Un espace sidéral

Mais le chorégraphe y parvient et de quelle manière ! Les six danseurs tournoient pour donner l’illusion du rotor qui impulse le mouvement. L’écriture est ciselée, comme la partition de Stockhausen. On est dans un espace sidéral. Pour renforcer ce sentiment, Angelin Preljocaj utilise un système d’interaction vidéo complexe de Holger Förterer. L’ordinateur calcule l’intrusion du danseur dans cette projection. Il traverse cet espace et la projection se déforme en temps réel. Le mouvement est spontané et percutant. Il embarque le spectateur, dans le tourbillon des pales du rotor et des cordes, vers un univers frénétique. Près d’un quart de siècle après sa création, la reprise de Helikopter confirme la témérité artistique du chorégraphe.
Une admiration réciproque
En intermède du second volet du spectacle, un film documentaire réalisé Olivier Assayas, permet de mieux saisir les enjeux de l’écriture tant musicale que chorégraphique. Dans ce dialogue entre Stockhausen et Preljocaj enregistré en 2007, on comprend la complexité de la composition musicale intuitive et la difficulté à la faire résonner dans un espace chorégraphique. On perçoit aussi l’admiration profonde entre les deux hommes. Preljocaj utilise une métaphore : « même si les feuilles d’un arbre battent différemment on a l’impression d’une unité. » Il en va ainsi de cette partition complexe qu’il a su déchiffrer et chorégraphier. A la noirceur et l’obscurité de « Helikopter » va répondre « Licht », confiée à un autre nom : Laurent Garnier.
Vers le paradis
Douze danseurs sont cette fois sur scène. Preljocaj nous embarque dans un univers plus paisible, plus lumineux. La douceur et l’abandon surgissent de cercles lumineux en fond de scène. La fluidité des corps s’oppose à la tension du premier tableau. La sensualité règne, lascive. Des duos et des trios se forment, s’embrassent, s’enlacent. Quelques phrases de Stockhausen viennent nourrir le rêve de « Licht » (son cycle de sept opéras). La vie n’est qu’un passage, le paradis est absolu. Les corps quasi dénudés, enchâssés de bijoux illustrent alors ce paradis en réalisant une somme de fresques esthétiques avant de se fondre les uns dans les autres pour le tableau final.
Joël BARCY
Helikopter / Licht au Théâtre de la Ville de Paris du 28 avril au 3 mai à 20 heures. Le samedi à 14 heures et 20 heures. Au Pavillon Noir d’Aix-en-Provence du 13 au 17 mai.