Paris- Théâtre Hébertot: Maxime D’Aboville impressionnant dans son texte « La Révolution française» et « Pauvre Bitos » de Jean Anouilh

On est secoués. On salue l’intelligence du propos, la force du jeu. Que ce soit dans « La Révolution française » ou dans « Pauvre Bitos » de Jean Anouilh deux pièces données le même jour au Théâtre Hébertot de Paris avant que cette dernière ne parte en tournée dans toute la France, Maxime D’Aboville montre son talent explosif et sa sensibilité artistique.

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Maxime D’Aboville dans  » La Révolution française » (photo Blithe-William)

« Maxime D’Aboville est honnête ! »

Raconter l’épisode le plus fascinant de l’histoire de France en convoquant d’illustres plumes du XIXe siècle, extraire la sève d’œuvres littéraires grandioses et flamboyantes pour dresser un tableau coloré, vif et épique de ces « cinq années qui sont cinq siècles », telle est la folle ambition du spectacle écrit et joué par Maxime D’Aboville.

« De la prise de la Bastille à la mort de Robespierre, en passant par l’abolition des privilèges, la chute de la monarchie ou encore la Terreur, Maxime d’Aboville poursuit l’entreprise de ses leçons d’histoires de France pour nous conter la Révolution, en donnant vie et souffle aux heures sublimes et terribles de cet événement sans précédent, qui ouvrit une page nouvelle dans l’histoire des hommes », est-il précisé dans les notes d’intention.

Impressionnant l’acteur-auteur l’est d’un bout à l’autre de ce moment de théâtre salué en ces termes par Sylvain Tesson dans la préface au texte édité à l’Avant-scène théâtre  : «Il convoque ses  personnages : les voilà qui apparaissent. Maxime D’Aboville est honnête ! Il salue les idées, il brosse des tableaux, il décrit les hommes, il montre tout : la grandeur et les servitudes. Il n’économise pas les critiques, il regarde en face la noblesse des intentions des Lumières et la laideur de leur dévoiement. Il convoque les âmes pures mais ne cache pas les manœuvres des monstres. Il convoque sa fresque ; le sang coule, les hommes espèrent, les reines pleurent. Il y a l’injustice et la haine au nom de l’égalité. Il y a la prison, et les fers au nom de la liberté. On coupe les têtes parce que rien ne saurait dépasser. C’est  parfois affreux, mais toujours en arrière-fond comme la basse continue d’une symphonie, palpite le grand et haut désir d’être libre, de vivre mieux et plus équitablement. Et c’est lui qui domine la scène. » On ne saurait mieux dire.

Et comme Maxime D’Aboville est aussi bon comédien qu’écrivain son spectacle se fonde sur une réflexion au long cours. Voilà justement ce qu’il exprime sur ses choix : « La Révolution française est plus qu’un événement de l’Histoire, c’est un mythe », considère Maxime D’Aboville qui précise:  « Un mythe fondateur. Comme tout mythe, elle (la Révolution française NDLR) a sa part d’espérance, de libération, et son lot de sang, de cruauté. Elle a aussi sa dimension poétique et littéraire. C’est cette histoire élevée au rang de mythe que j’ai voulu transmettre, à travers les grands auteurs qui l’ont écrite. Nous avons cette chance en France que nombre de grands écrivains se sont emparés de notre Histoire. Reprenant le procédé de mes « Leçons d’histoire de France », j’ai pensé qu’il pouvait être passionnant de faire revivre ces œuvres au style flamboyant et épique, au lyrisme exaltant, en les mêlant les unes aux autres comme un cadavre exquis, et en tentant d’en extraire -disons- la sève !»

Il ajoute qu’« il est évident que la Révolution française a de fortes résonnances sur notre actualité, sur ce climat insurrectionnel que nous sentons depuis quelques années, et plus profondément encore sur notre identité. La Révolution raconte beaucoup d’un certain « esprit français » : cette indocilité, cette tendance à la révolte, à l’insubordination, dont les exemples jalonnent l’histoire de France, depuis les jacqueries du Moyen-Âge jusqu’à Mai 68 et aux gilets jaunes ; le goût pour la liberté, mais plus sûrement encore la passion pour l’égalité ; autre constante : la violence du débat politique et intellectuel, l’incapacité au compromis et à la sérénité… On va bien sûr me demander : quel est votre point de vue ? Car la Révolution n’est pas un sujet anodin, il est un marqueur très fort, très symbolique, autour duquel on est sommé de se positionner. Mais j’ai justement trouvé plus intéressant de ne pas me situer, de laisser parler les auteurs  -car ce sont eux les vraies vedettes du spectacle- , de rester en retrait, d’accompagner leur enthousiasme et leurs déceptions. Je ne dis pas que mes choix de récits et de textes ne dessinent une certaine vision de l’événement  -une vision plutôt sombre d’ailleurs- mais je n’ai rien à dire là-dessus, c’est mon instinct qui a parlé… C’est au spectateur de se poser des questions et éventuellement d’y répondre. Si le spectacle s’inscrit dans la continuité des Leçons d’histoire, je n’ai pas voulu d’une « suite ».»

«Je ne voulais pas, poursuit-il, une fois encore, incarner l’instituteur de la IIIe république avec sa carte Vidal-Lablache. Je voulais autre chose, d’abord parce que cet événement recèle une telle intensité et unité dramatiques, un tel poids symbolique, qu’il s’apparente davantage à un mythe ou à une tragédie qu’à une séquence de l’histoire de France. Pour mettre en scène cette épopée, il me fallait quelqu’un avec qui je puisse emmener l’objet ailleurs, tout en restant fidèle à l’esprit des Leçons d’histoires. J’ai tout naturellement demandé à Damien Bricoteaux, qui m’a mis en scène dans ce spectacle très personnel qu’est  » Je ne suis pas Michel Bouquet « , de m’accompagner à nouveau sur ce projet. Quant au décor, la Révolution française étant une grande affaire de Verbe, nous avons imaginé comme unique élément une forme de tribune d’assemblée, afin de situer d’emblée le spectacle du côté de l’art oratoire.»

«Il s’est dit à cette tribune de ces vertigineuses paroles qui ont, quelquefois, à l’insu même de celui qui les prononce, l’accent fatidique des révolutions, et à la suite desquelles les faits matériels paraissent avoir brusquement on ne sait quoi de mécontent et de passionné…»,  écrit Victor Hugo dans Quatre vingt-treize, œuvre phare du projet. Tout ceci apparaît limpide dans cette pièce où sont convoqués en extraits Jules Michelet, Lamartine, Hugo, Dumas, et même Stendhal puisque le spectacle se termine par l’incipit de « La Chartreuse de Parme » : « (…) Le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’ après tant de siècles césar et Alexandre avaient un successeur ». On sort de là éblouis, et on en redemande.

« Pauvre Bitos » d’Anouilh en version allégée.

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« Pauvre Bitos » (Photo Bernard Richebé)

Si on coupe les têtes durant la Révolution, Maxime D’Aboville a dû pour des raisons évidentes de longueur couper dans le texte de « Pauvre Bitos » la pièce d’Anouilh qui faisait près de trois heures. Mais de quoi s’agit-il ? : « Dans une petite ville de province, un groupe d’amis de la bonne société se donne rendez-vous pour un « dîner de têtes « ». Chacun doit se faire la tête d’un grand personnage de la Révolution française. André Bitos, fils du peuple devenu magistrat incorruptible et vertueux, est l’invité d’honneur : il jouera Robespierre. Mais il semble que l’objectif de cette soirée ne soit pas uniquement de refaire l’histoire de France… Cette bande de notables en smoking-perruque va se lancer dans un jeu de massacre aussi cruel que jubilatoire. Drôle, grinçant et terriblement actuel, ce chef d’œuvre d’intelligence renvoie dos à dos haine de l’Autre et tyrannie de la Vertu. Pièce choral tout ici est juste, précis, et de là-haut Michel Bouquet qui créa « Pauvre Bitos » doit applaudir. Rappelons comment il évoquait la pièce à sa création.

Le mot de Michel Bouquet

La pièce, créée en 1956 au théâtre Montparnasse, est un triomphe et un scandale. Anouilh osait s’attaquer, dans un parallèle avec la Terreur de 1793, à un totem : L’épuration, considérée alors comme la suite de la Libération de 1944, sa conclusion logique. Pauvre Bitos ou le Dîner de têtes fut écrit pour Michel Bouquet. Il avait dit à Anouilh (dont il avait déjà joué trois pièces avant l’âge de 30 ans) : « J’aimerais que vous m’écriviez un Robespierre. »

Quelques mois plus tard, Anouilh lui apportait le manuscrit.  Bouquet dit alors : « Anouilh a chez lui des vitrines où sont rangés des orchestres de singes automates du XVIIIe siècle et on a l’impression que ce monde est celui de ses personnages. Les héros de son théâtre se débattent dans leur mesquinerie, leurs petits instincts, faisant partie de ce monde d’automates. C’est un théâtre d’entomologiste. Anouilh a été un des premiers en France à montrer l’impossibilité d’être un héros. C’est ce qui fait la vertu de ce théâtre. On perçoit une œuvre de tendresse, touchante, traînant avec elle tout un bagage de fantasmes, de rêves avortés… On atteint la poésie en allant au fond de la petitesse et de la méchanceté. Les personnages d’Anouilh sont des microbes vus au microscope. Et soudain, de ces microbes, un cri s’échappe, bouleversant de vérité humaine. Un grand théâtre de la petitesse. »  

«En effet, ajoute-t-il,  Bitos, dans l’imagination d’Anouilh, c’était une sorte d’arrière-petit-fils de Robespierre dans la France d’après-guerre. Mais ce n’était plus vraiment non plus Robespierre ; plutôt un pâle ersatz, un scandaleux sous-produit de ce modèle, avec un zest du Tartuffe de Molière en plus. A la Libération, au moment où se passe la pièce, il se livre à de sinistres épurations au nom de la Résistance, au nom du bien. Je dois avouer que, au cours des répétitions qu’il avait voulues très secrètes, je ne me suis pas vraiment rendu compte du tollé que nous allions déchaîner. C’était le 11 octobre 1956. Certains allèrent jusqu’à qualifier la pièce « d’ordure » ou de  « crachat » ; la plupart reprochaient à Anouilh de souiller l’honneur et la mémoire de la France, de mettre droite et gauche dans le même sac de fiel et de mépris, de ne sauver ni pauvres, ni riches : tous infâmes, lamentables, les Français qu’il mettait en scène… Mais si cette comédie grinçante fit violemment réagir le public, elle ne manqua pas de le faire venir en grand nombre : la pièce fut un triomphe. » La nouvelle mise en scène de Thierry Harcourt confirme cela. Acteurs au diapason, réflexion sur la notion de bouc émissaire, pièce sur le pardon…un grand moment de théâtre où, là encore Maxime D’Aboville  émeut et fait rire. Du grand art !

Jean-Rémi BARLAND

« La Révolution française » au Théâtre  Hébertot le samedi 4 janvier à 16 heures.  « Pauvre Bitos » jusqu’au dimanche 5 janvier  –  Plus d’info et réservations Théâtre Hébertot

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