Paris. Théâtre Antoine – « Le cercle des Poètes disparus » de Tom Schulman : Un chef-d’œuvre

Standing ovation à chaque représentation au Théâtre Antoine pour la pièce de Tom Schulman « Le cercle des Poètes disparus » tirée du film mythique de Peter Weir. Et ce n’est que justice, tant cette version française signée Gérald Sibleyras de cette adaptation pour les planches d’un long métrage qui ne cesse de marquer les esprits, demeure un grand moment visuel.

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« Le cercle des Poètes disparus » ©Louis Josse

On le doit bien entendu aussi à la mise en scène inventive, d’Olivier Solivérès, au sommet de son art, qui illustre sans appuyer les effets la maxime d’Horace dans ses « Odes » datant de 23 avant Jésus-Christ, à savoir « Carpe Diem, quam minimum credula postero » (« Cueille le jour présent, en te fiant le moins possible au lendemain.»).

Nous voilà plongés au cœur de Welton, une académie fondée sur les quatre piliers que sont l’honneur, la tradition, la discipline et l’excellence, et qui est dirigée d’une main de fer très traditionaliste par le peu fantaisiste Monsieur Nolan. Des valeurs dont se moque ouvertement un petit groupe d’étudiants rebelles. Leur esprit de transgression va trouver un écho particulier dans les propos de leur nouveau professeur de littérature, John Keating, qui fait figure d’Ovni dans ce monde universitaire ultra-rigide. Curieux de ce personnage charismatique, les élèves découvrent qu’il fréquentait lui-même les bancs de Welton des années avant eux et qu’il était membre du « Cercle des Poètes Disparus » un groupe d’esprits libres férus de poésie. Cette nouvelle génération va alors reprendre le flambeau.

« Oh Capitaine, mon Capitaine… »

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« Oh Capitaine, mon Capitaine… » « Le cercle des Poètes disparus » ©Louis Josse

« Oh Capitaine, mon Capitaine…». Cette réplique du « Cercle des Poètes Disparus » résonne toujours. Ce professeur charismatique et iconoclaste inspire ses jeunes élèves s’ouvrant à la vie, loin du carcan des conventions qu’incarne leur établissement. Histoire émouvante et contemporaine, la pièce célèbre l’amitié, l’émancipation, la transmission, au moment où se dessinent personnalités et destins.

Près de deux heures de rires, de serrements de cœur avec au centre du dispositif d’abord Stéphane Freiss, décontracté autant qu’explosif (c’est cette version qu’on a pu voir à sa création à Paris et en tournée à Marseille récemment au Théâtre de l’Odéon) qui reconnaissons-le n’a jamais été aussi bon. C’est Xavier Gallais qui reprend donc le rôle de John Keating ce printemps 2025 au théâtre Antoine.

Même pièce, mise en scène identique, mais distribution différente, et interprétation si différente qu’on croirait par moments assister à un spectacle différent. Acteur de théâtre d’une force assez inégalable, Xavier Gallais, -«Tartuffe » et « Dom Juan » d’exception chez Macha Makeïeff, qui marqua les esprits dans « Le prince de Hombourg », « Du cristal à la fumée », « Baby Doll », « Nono », « Les paravents », « Musée haut, musée bas », « Roberto Zucco » qui lui valut le Molière de la révélation masculine 2004, ou « Le Fantôme d’Aziyadé » tiré des livres de Pierre Loti, inouï en auto-stoppeur improbable dans le film de Jean Becker « Deux jours à tuer »- quand il apparaît sur scène, il se passe d’emblée quelque chose. Et peut-être parce qu’il est professeur lui-même (ancien élève du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, il a été l’élève de Daniel Mesguich, il enseigne maintenant au CNSAD depuis 2013 comme professeur d’interprétation) son jeu dans « Le cercle des Poètes disparus » possède véracité, puissance et élégance. Il fait de son personnage de John Keating immortalisé au cinéma par Robin Williams, un personnage romantique par excellence qui, accompagnant la soif de liberté de ses jeunes protégés, enveloppe le spectateur dans un écrin sublimement beau. Il est inoubliable, rappelant parfois, par son jeu tout en ruptures, son personnage de Jerry dans « La maison et le zoo » d’Edward Albee (adaptation française de Jean-Marie Besset, mise en scène de Gilbert Desveaux). Quand il monte sur la table dans « Le cercle des Poètes disparus », tout comme lorsqu’il grimpait au sommet de l’arbre au centre de « La maison et le zoo », c’est tout un monde qui surgit sous nos yeux, fait de liberté chèrement conquise et d’esprit de résistance. Apportant sa touche personnelle à la pièce il a fait ajouter au texte initial des poèmes de l’Américain Walt Whitman (1819-1892) dont Keating est friand et qu’il dit lui-même. Le public est subjugué et il a d’autant plus raison que la mise en scène est d’un niveau artistique égal.

Olivier Solivérès ; « ce film m’a donné envie de lire, d’écrire, de faire du théâtre »

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« Le cercle des Poètes disparus » ©Louis Josse

 « Dans ce théâtre, j’ai ressenti les mêmes émotions qu’avec le film», déclara Peter Weir le réalisateur du «Cercle des Poètes  disparus», venu assister le 2 mars 2024 à cette adaptation scénique française réalisée de son chef d’oeuvre donnée au Théâtre Antoine. Des propos qui touchèrent forcément Gérald Sibleyras, le signataire de cette version dans notre langue du texte américain de Tom Schulman tirée du film. La distribution était certes différente, mais la force identique, avec Stéphane Freiss dans la peau de John Keating, dont on ne saluera jamais assez la performance explosive et dans le rôle de Neil Perry, que son père détruira par son refus qu’il fasse du théâtre l’inoubliable Ethan Oliel, Molière de la révélation masculine 2024. Ce sentiment exprimé par Peter Weir, le metteur en scène français Olivier Solivérès le reçut bien entendu comme un cadeau. Il faut dire qu’avec une précision et une humilité de tous les instants, il a donné corps et âmes aux personnages du film. Il s’en est expliqué avec enthousiasme : « Cela fait onze ans que je rêve de ce projet : mettre en scène au théâtre le film qui m’a donné l’envie de lire, d’écrire, de créer mais surtout de faire du théâtre, alors que, comme l’un des personnages principaux, j’étais issu d’une famille qui n’était pas destinée à monter sur les planches.» « Ce film, poursuit-il, ma Madeleine de Proust, c’est “Le Cercle des Poètes Disparus”. Il prône des valeurs qui me sont chères : la transmission et la passion d’aller au bout de ses rêves. Le mettre en scène, c’était non seulement l’occasion de concrétiser le mien mais aussi l’opportunité de faire découvrir aux spectateurs de jeunes et nouveaux talents pleins d’avenir. »

Son premier objectif  était de faire de ce film, une pièce de théâtre à part entière tout en gardant son contexte historique : les Etats-Unis des années 50. Pour cela, explique-t-il: « Il me fallait conserver dans les costumes et les accessoires, une certaine fidélité à l’époque. En revanche, pour symboliser la classe, j’ai choisi d’y installer un tableau surdimensionné de neuf mètres de large. Il m’apparaissait en effet, que cet objet, si évocateur, si porteur d’angoisse pour certains jeunes élèves, pouvait devenir poétique, un lieu des possibles où pouvait tantôt s’écrire un cours, tantôt suggérer, grâce à la projection vidéo de dessins à la craie, d’autres lieux. Pour ce qui est des pupitres de la salle de classe, je souhaitais absolument qu’à l’instar des élèves et de leur évolution au cours de l’histoire, que ceux-ci ne soient pas figés. En effet, la classe ayant un rôle important dans la pièce, j’ai voulu la considérer à part entière comme je l’aurais fait pour un acteur. Qu’elle apparaisse aux spectateurs sous différents angles, comme un acteur aurait pu nuancer son jeu. L’idée était de changer les perspectives afin d’élargir la vision du spectateur, et lui donner la possibilité de voir les scènes autrement. »

«Et j’ai aussi, dévoile-t-il,  dans une quête de mouvement et d’énergie, pris le parti que les changements d’axes se fassent à vue par les élèves eux-mêmes. Les lumières et la musique quant à elles permettent de soutenir les enjeux et les émotions apportés par les différents tableaux.»

Un hymne au théâtre

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« Le cercle des Poètes disparus » ©Louis Josse

On retiendra aussi de la pièce cet hymne au théâtre, en général et au personnage de Puck du « Songe d’une nuit d’été » en particulier. Entendre et voir sorti de lumières tamisées et des costumes bariolés Basile Sommermeyer interpréter Neil Perry tout en force et émotion demeure un moment rare. On notera aussi l’importance de la musique, s’incarnant aussi sur scène, et toute la distribution (Victor Mons, Octave Lemarchand, Paul Vasseur, Julien Despont, Antonin Davy, Gabriel Ecoffey Zeller en jeunes élèves nourris d’esprit de troupe) qui est parfaite. N’oublions-pas Lancelot Jardin qui dans son rôle du timide et bègue Todd Anderson frappe les esprits. Côté adulte Christophe Laubion, le terrible père de Neil est génialement détestable à souhait… Ajoutons les décors de Jean-Michel Adam, les lumières de Denis Koransky, les costumes de Chouchane Abello-Tcherpachian, les vidéos de Sébastien Mizermont, les musiques originales de Cyril Giroux, et la présence à l’assistanat de mise en scène signé Pierre Marazin, le couteau suisse de la Welton Academy, comme autant d’œuvres d’art, si bien que l’on ressort de ce « Cercle des Poètes disparus » dont je trouve pour ma part la pièce plus puissante que le film, ivre de bonheur devant tant d’intelligence et de défense d’un théâtre exigeant, populaire. Vous avez dit chef d’oeuvre?

Jean-Rémi BARLAND

« Le cercle des Poètes disparus » au Théâtre Antoine – 14 boulevard de Strasbourg –  75 010 Paris. Une semaine sur deux jusqu’au 18 mai 2025. Plus d’info et réservations : theatre-antoine.com

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