Paris- Théâtre de la Renaissance- Jacques Weber et Élodie Navarre exceptionnels dans « L’Injuste », un thriller glaçant

« Alors on est venu voir le grand méchant loup, mademoiselle ? » Nullement déstabilisée, la jeune femme précisera un peu plus tard à cet interlocuteur arrogant : « Je ne cours pas après les récompenses mais pour la vérité » Lui, c’est François Genoud, le banquier suisse du Führer et de son maître propagandiste Joseph Goebbels.

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Élodie Navarre & Jacques weber dans l’Injuste (Photo Jonty Champelovier)

Ce nazi convaincu qui, après la guerre, échappe à toute poursuite et récupère même les droits d’auteur sur les textes d’Hitler, de Goebbels et de Hermann Goering, le chef de l’armée de l’Air nazie. Antisioniste convaincu, il a également été le financier de l’attentat de Munich de 1972, dans lequel onze athlètes olympiques israéliens ont trouvé la mort, et un proche ami du terroriste Carlos, auteur de nombreux attentats et membre du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Ayant toute sa vie échappé aussi aux remords, il se terre désormais dans un bunker perdu dans une forêt Suisse. Nous sommes en 1993, et pour son dernier baroud d’honneur, ce monstre absolu, très malade et en fin de vie a accepté de recevoir cette brillante journaliste d’un quotidien israélien. Mais pourquoi elle ? Que cherche-t-il ? Si cette interview sera son testament pour l’Histoire, un dernier pied de nez à l’humanité, la jeune interlocutrice sans doute du Mossad, qui se tient en face de lui demeure bien décidée à ne pas rendre la fin de vie de François Genoud aussi facile qu’il avait imaginé. « J’ai en horreur l’arrogance des vainqueurs », lance ce monstre dont on découvrira lors d’un épilogue tout à fait inattendu pourquoi la journaliste lui a donné le sobriquet d’ « Injuste ».

Passé et présent s’entrechoquent avec sa foultitude de souvenirs, l’un autour de sa présence voulue auprès d’Hitler et l’autre liée à la figure de ses parents, dont celle de sa mère nœud gordien du récit. L’évocation du terroriste Carlos, la violence de la Guerre Froide, le rappel de la Shoah, des vidéos d’époque, s’invitent également dans ce récit en forme de huis clos.

 Un duel tendu, un thriller haletant

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Élodie Navarre & Jacques Weber @ (Photo Jonty Champelovier)

C’est à un duel tendu, un thriller haletant où le destin des deux âmes se joue dans l’ombre, auquel on assiste avec cet «Injuste » dont le texte est signé Alexandre Amiel, Yaël Berdugo, Jean-Philippe Daguerre et Alexis Kebbas. On songe beaucoup à des pièces comme « Hygiène de l’assassin » porté au théâtre d’après le roman d’Amélie Nothomb, « Variations énigmatiques » de Schmitt où il est aussi question de maladie et de mort, « A tort et à raison » de Ronald Harwood (le scénariste du film « Le pianiste ») où Michel Bouquet face à Claude Brasseur qui incarnait Wilhelm Furtwängler à l’heure de la défaite nazie, « Diplomatie » de Cyril Gély qui, par personnages interposés, offrait, à André Dussollier et au regretté Niels Arestrup  un affrontement chimérique, et dans une certaine mesure au « Limier » d’Anthony Shaffer, créé à Broadway en 1970 et que Jacques Weber a joué en France aux côtés de Patrick Bruel et ensuite de Philippe Torreton.

 

Un combat de fauves donc, dont on sort secoués, émus et qui pose beaucoup de questions quant à la responsabilité humaine collective et individuelle. Le metteur en scène Julien Sibre ayant choisi d’opter pour la sobriété permet par son magnifique travail d’orfèvre aux deux interprètes de donner le meilleur du meilleur dans une partition d’une précision haut de gamme. Jacques Weber bousculé par l’étincelante Élodie Navarre est tout simplement, comme à son habitude magistral. Seul en scène, avant l’arrivée de la comédienne, et bien qu’il n’ait encore rien dit il emplit l’espace, comme le faisait Michel Bouquet par exemple dans « A tort ou à raison » quand celui-ci dès son arrivée sur le plateau enlevait chapeau et pardessus, laissant le spectateur bouche bée. En journaliste empreinte de ténacité Élodie Navarre n’est en rien un faire-valoir. Loin de se laisser dévorer par «l’ogre Weber » elle existe à sa géniale hauteur et surtout lui permet de ne jamais en faire trop, de la mettre en valeur, de servir des personnages, chacun des deux partenaires ayant compris que l’on n’est jamais bon au théâtre tout seul. Un spectacle dramatique, terrifiant, volontiers ironique et qui, finalement, hymne au théâtre en filigrane reste gravé dans la mémoire de celui qui l’a vu.

 Jean-Rémi BARLAND

 « L’injuste » avec Jacques Weber et Élodie Navarre, au Théâtre de La Renaissance. 20, boulevard Saint-Martin – 75010 Paris. Du Mardi au samedi à 19h, le dimanche à 15h . Durée du spectacle : 1h20.  Plus d’info et réservations sur theatredelarenaissance.com

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