Paris. Théâtre de l’œuvre: « Trahisons » de Pinter avec interprètes fascinants et mise en scène inventive

Créée en 1978 au Royal National Theatre de Londres dans une mise en scène de Peter Hall, repris à Paris en 1982 dans une mise en scène de Raymond Gérome, Trahisons (Betrayal) est une pièce de théâtre fascinante qui reprend la figure ternaire du vaudeville avec la femme, le mari et l’amant. Toutefois, il ne s’agit pas ici d’humour burlesque. Entre les trois personnages, c’est tout le poids du non-dit et de l’incommunicabilité qui pèse sur les échanges.

Destimed Trahisons Photo Caroline Bottaro copie
« Trahisons » de Harold Pinter (Photo Caroline Bottaro)

L’intrigue de  Trahisons est assez simple : «Emma est galeriste, elle a entretenu une relation avec Jerry, agent littéraire, qu’elle a avouée, voici quatre ans à son mari Robert qui est éditeur et aussi le meilleur ami de Jerry. La pièce s’ouvre sur un aveu, non pas un aveu au mari de l’infidélité passée, mais un aveu à Jerry : Emma lui apprend qu’elle a tout dit à son mari Robert.»  La construction est quant à elle labyrinthique puisque tout commence par la fin et l’on découvre le récit des uns et des autres à rebours avec des indications telles que « un an plus tôt », etc. Dans une chronologie à rebours, Harold Pinter retrace les sept années de cette triangulation amoureuse : des séparations aux rencontres, des aveux aux mensonges. En renversant le cycle du temps de cette intrigue, Harold Pinter en souligne les troubles et les contradictions et nous livre une analyse complexe des sentiments et non-dits amoureux.

Très limpide la nouvelle traduction épurée qu’en a faite Olivier Cadiot est elle aussi magique. Donnée en ce moment au Théâtre de l’œuvre jusqu’au 30 mars dans une mise en scène inventive de Tatiana Vialle, la pièce bénéficie d’un casting de rêve. Marie Kaufmann joue Emma. Robert est incarné par Marc Arnaud, le serveur est Tobias Nuytten, le fils de Tatiana Vialle, et Jerry est porté sur la scène par Swann Arlaud, l’autre fils de la metteuse en scène et frère de Tobias.

« Dis-moi que tu m’aimes », la chanson de Zaho de Sagazan

Connu au cinéma pour des rôles forts dans des films puissants (« Petit Paysan », « Grâce à Dieu » « Anatomie d’une chute » qui lui vaudront trois César) Swann Arlaud à l’image de Michel Bouquet, Michel Serrault qu’il admire tant et de Jean Topart ou Raymond Gérome possède une voix. Reconnaissable et inoubliable. Dans « Trahisons », lui qui débuta au théâtre dans «Une femme à Berlin» aux côtés d’Isabelle Carré, déjà mis en scène par Tatiana Vialle, et qu’on a applaudi au cinéma dans « Les émotifs anonymes » de Jean-Pierre Améris (film où sa maman assurait le casting) Swann Arlaud, l’un des rares acteurs français à prendre la parole pour soutenir les femmes publiquement, impressionne et d’une justesse absolue, rend son rôle plus complexe encore qu’il ne l’est sur le papier. Le duo qu’il forme avec Marie Kaufmann est sidérant de justesse, (l’actrice est tout simplement sublime) et les rapprochements très physiques de leurs deux personnages ne transforment jamais le spectateur en voyeur.

Le mérite en revient avant tout à Tatiana Vialle experte en l’art de sonder l’âme humaine sans en rajouter dans les effets. Des tubes de lumière blancs, un décor sobre, des déplacements minimalistes, la metteuse en scène suggère, ne fait jamais de paraphrase, montre sans démontrer. Elle sait de plus équilibrer la force de la parole des uns et des autres, si bien que Marc Arnaud qui possède lui aussi une voix (il est très actif dans le doublage au cinéma) impose en Robert un anti-héros assez poignant à la présence magnétique. Et puis il y a au milieu de la place quelques notes de la chanson « Dis-moi que tu m’aimes » de Zaho de Sagazan interprété par les comédiens. C’est beau, puissant et comme le reste tout à fait inoubliable.

Jean-Rémi BARLAND

« Trahisons » de Harold Pinter au théâtre de l’œuvre – 55 rue de Clichy – 75009 Paris, jusqu’au 30 mars. Du mercredi au au samedi à 21h – Le dimanche à 18h. Plus d’info  sur theatredeloeuvre.com

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