Paris. Théâtre des Béliers parisiens. « Big mother » de Mélody Mourey : un thriller journalistique d’une redoutable efficacité

« Big mother » une pièce coup de poing en forme de dénonciation de la manipulation de masse à l’heure du big data.

Destimed Big Mother Photo Aleajandro Guerrero
Une pièce citoyenne et jubilatoire portée par des interprètes virtuoses. (Photo Alejandro Guerrero)

Intelligente cette « Big mother » l’est assurément. L’écriture y est virtuose, le propos incisif, la dénonciation de la manipulation de masse à l’heure du big data, sans complaisance ni démagogie. On a d’autant plus froid dans le dos que cette nouvelle création de Mélody Mourey, qui obtint cinq nominations aux Molières 2023, appuie sa narration sur une analyse réaliste d’événements tout à fait plausibles. On peut résumer ainsi l’intrigue : « Alors qu’un scandale éclabousse le président des États-Unis et agite la rédaction du « New York Investigation », la journaliste Julia Robinson voit sa vie vaciller dans la salle d’audience d’un tribunal quand elle croit reconnaître sur le banc des accusés son compagnon mort quatre ans auparavant. Son enquête pour élucider ce mystère croise celle de son équipe, et la petite cellule du « New York Investigation » se retrouve confrontée à un programme de manipulation de masse d’une ampleur inédite. Ensemble, malgré leurs différends, ils vont devoir mettre à jour le plus gros scandale depuis l’affaire du Watergate.  La démocratie est en péril. Leur vie aussi. »

Création visuelle et sonore intense

Création visuelle et sonore intense, fluidité des mouvements des six interprètes (trois hommes, trois femmes  alternant entre Patrick Blandin, David Marchal, Ariane Brousse, Laetitia Vercken, Benoît Cauden, Axel Huet, et d’autres installés dans des équipes différentes) incarnant plus d’une vingtaine de personnages, bondissant, ne laissant pas le spectateur respirer, qui se retrouve scotché sur son fauteuil comme s’il assistait à la projection  d’une haletante  série  américaine, «Big mother» secoue les lignes, et le cocotier du conformisme. « On ne peut pas se battre à la loyale dans un monde où tout le monde triche. Papa, si on respecte les régles on est foutus», déclare Rose avec des accents très Octave de « La règle du jeu » le film de Jean Renoir. La plongée dans « Démocratie totale» parti pieuvre qui s’apprête à révéler le nom de son candidat à l’élection présidentielle américaine, annoncera-t-il des changements radicaux sur le fonctionnement de la démocratie des États-Unis ? C’est un des enjeux de « Big mother », qui est aussi une pièce sur la transmission, sur les rapports amants-amantes, parents-enfants, et qui s’impose comme un tour de force théâtrale qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Mais que c’est beau une pièce aussi pertinente, salutaire, efficace ! Mélody Mourey atteint sa cible : alerter, susciter à la fin de la représentation des réactions, des débats entre les spectateurs sonnés et heureux de l’être. Gageons que Lluis Llach en personne applaudirait des deux mains.

Jean-Rémi BARLAND

Relevons une imprécision qu’il convient de rectifier. Page 109 du texte de sa pièce « Big Mother » publié aux éditions de la librairie théâtrale l’auteure Mélody Mourey fait dire à son personnage de Mercer : « Avant qu’on s’endorme, maman nous chantait « L’estaca » un chant révolutionnaire espagnol dont les paroles sont le terreau de mes rêves. » Propos relayé sans sourciller sur scène par le comédien concerné. Écrite en 1967 par Lluis Llach (un des plus grands chanteurs européens qui, né le 7 mai 1948 à Gérone a quitté la scène pour se consacrer à l’écriture de romans tous publiés en français chez Actes Sud) , « L’estaca » est une chanson non pas Espagnole mais Catalane que Lluis Llach écrivit à l’âge de dix-sept ans, et qu’il n’interpréta jamais en castillan. A la différence de Joan Manuel Serrat (autre immense interprète qui variait ses enregistrements, un en catalan dont le chef d’oeuvre « La Tieta », un en castillan) Lluis Llach n’a jamais voulu chanté dans la langue de Madrid. Sans militantisme mais avec détermination il a souhaité dans son œuvre célébrer son « Pais Petit » qui, comme il le dit dans ce titre ô combien emblématique de sa démarche artistique et politique « est si petit que quand le soleil va se coucher, il  n’est pas sûr de l’avoir vu ». Ceci rappelé saluons le choix de Mélody Mourey que d’avoir illustré la fin de sa pièce « Big mother » par cette chanson coup de poing, à la musique en forme de scie qui est sur scène magnifiquement interprétée en fragments par des comédiens et comédiennes absolument telluriques, fantastiques de présence et d’intelligence. Et qui colle parfaitement à sa démarche.

 

«Big mother» par Mélody Mourey. Texte disponible aux éditions de la librairie Théâtrale. 153 pages, 10 €. Pièce à voir au Théâtre des Béliers parisiens. 14 bis, rue Sainte-Isaure. 75 018 Paris. Métro Jules Joffrin. Durée : 1h40. Du mardi au samedi à 21h00. Dimanche à 15h00. Réservation au 01 42 62 35 00. ou sur theatredesbeliersparisiens.com

Destimed BIG MOTHER Affiche

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