Paris.  Théâtre du Rond-Point.  « Neandertal » ou la turbulente histoire de nos origines. Édifiant !

Accrochez vos ceintures, ça secoue pas mal !  Malgré cette longueur inhabituelle, 2h40,  « Neandertal » de David Geselson que l’on peut voir actuellement à Paris au Théâtre du Rond-Point, est une pièce passionnante et sur le fond et dans sa forme assez explosive. On pourra cependant trouver les trente dernières minutes bien trop didactiques, et regretter que l’on perde quelque peu les personnages réduits à n’être que porteurs de discours, d’idées, de démonstrations philosophico-scientifiques.

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Neandertal de David Geselson (Photo Simon Gosselin)

Mais voilà c’est un spectacle qui prend des risques, où l’on parle d’ADN d’une momie égyptienne, de la naissance de l’homme moderne, des rapports entre Israël et la Palestine, avec des images d’époque montrant notamment l’assassinat d’Yitzhak Rabin, perpétré le 4 novembre 1995. On passe d’un sujet à l’autre avec beaucoup de fluidité, et nous voilà projetés au début à Berkeley, la scène se passant entièrement dans le noir jusqu’à ce que Lüdo un des six protagonistes du récit utilise son briquet. Auparavant le spectateur a été accueilli dans le hall par Luca et Rosa qui ont distribué des petites pierres à utiliser assez rapidement selon un processus expliqué avec précision. Outre le rappel d’une conférence sur l’ADN d’une momie égyptienne, c’est de relations passionnelles et familiales dont il est question ici.

Des hommes et des femmes qui tentent de s’aimer

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Neandertal de David Geselson (Photo Simon Gosselin)

Dans cette création, un peu hybride, David Geselson met en scène un groupe de chercheurs qui travaillent sur l’ADN de nos ancêtres et les origines de notre espèce. Avec précision, humour et lyrisme, il invente nous dit-on dans le synopsis « un voyage théâtral au cœur du vivant. Inspiré par le récit autobiographique de Svante Pääbo, paléogénéticien suédois, Nobel de médecine en 2022, il suit des scientifiques se mettant au défi de déchiffrer des fragments d’ADN ancien. Ils ont l’espoir de réussir à agir sur le cours de leur existence insatisfaite et sur celui du monde. Vie privée et recherche se croisent, s’alimentent, se heurtent tandis que les différentes découvertes, arrachées à la solitude des laboratoires, bouleversent l’histoire des origines et font voler en éclats toute idée de pureté raciale ou ethnique.»

A ce titre  les notes d’intention de Davis Geselson sont très claires. Dans Neandertal nous précise-t-il: «Ce sont des hommes et des femmes qui tentent de s’aimer. Mais tous et toutes échouent à leur façon, et essayent d’y survivre. Ils et elles veulent changer à la fois le cours de leur propre existence insatisfaite et agir sur le cours de l’Histoire. Ils et elles ont la naïveté de l’espoir et la certitude qu’une utopie est réalisable : abolir les hiérarchies entres les peuples, abolir les luttes pour les territoires, s’en tenir à l’idée que nous faisons partie d’une même communauté, celle des Homo Sapiens, et que la seule issue possible pour coexister pacifiquement est la coopération. »

Baptiste Morizot, dans son essai Sur la piste animale, parle de la façon dont les Sapiens pistent, dépistent, lisent les traces laissées par les animaux. Il montre comment la façon dont les décisions prises en groupe à partir de ces traces signent le début d’une forme de démocratie. Lire des traces, décider en commun de la direction à suivre pour continuer la route sans danger, ou au contraire pour prendre le risque d’aller chasser pour subsister : c’est ce que font les Sapiens. Chercher des traces pour avancer. Il faut d’abord trouver, recopier, écrire sans comprendre, puis apprendre à lire. Enfin : déchiffrer, questionner, commenter, et débattre. Puis proposer une direction à suivre en commun pour pouvoir vivre en paix. Utopistes intranquilles, ces scientifiques essayent d’écrire une nouvelle Genèse – avec toute la mégalomanie que cela contient- et veulent révéler avec l’ADN ancien de nouvelles traces à décoder.

Neandertal est «l’histoire de la tentative d’une révélation. L’histoire de la tentative du décodage d’un mythe qui n’a encore été écrit de cette façon-là par aucun peuple, dans aucune religion, aucune tradition, aucune littérature. À la fin du XXe siècle, dans un monde fracturé, fourmillant de guerres larvées, où les vieux empires coloniaux n’en finissent pas de s’effondrer, nous traverserons donc les amours et les ruptures, les questions de filiations, d’espoir déçus et de généalogies recomposées, de chercheuses et de chercheurs qui décident de s’appuyer sur la science pour écrire une nouvelle histoire de nos origines. Nous pensons parfois que la seule chose encore possible pour survivre alors que le monde brûle est de continuer à raconter. Pour changer le monde, il nous faudra sans doute en faire un peu plus. Tout juste pouvons-nous commencer à nous rassembler autour de ce que nous avons en commun. Il faut essayer. Ça s’appelle Neandertal. Qui signifie la vallée de l’Homme nouveau, en allemand. »

Une pièce écologique politique et philosophique

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Neandertal de David Geselson (Photo Simon Gosselin)

Placée sous l’égide de cette phrase de Kafka : «Il est difficile de dire la vérité, car il n’y en a qu’une, mais elle est vivante, et a pour conséquent un visage changeant », la pièce est un voyage philosophique, politique, et un ardent plaidoyer écologique. Chaque interprète propose un puissant travail de troupe. Ils sont tous et toutes d’une justesse absolue, tandis que la vidéo de Jérémie Scheidler, la création sonore de Loïc Le Roux, le dessin au plateau de Marine Dillard, les costumes de Benjamin Moreau, la musique originale de Jérémie Acache, qui tient aussi le violoncelle apportent un supplément d’âme à ce voyage au cœur de nos origines. Une pièce en forme de fable qui n’est pas sans défauts mais qui demeure instructive, drôle, et parfois très émouvante.

Jean-Rémi BARLAND

« Neandertal » de David Geselson jusqu’au 16 février  au Théâtre du Rond-Point –  2bis, avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris. Plus d’info et réservations : theatredurondpoint.fr 

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