Paris- Théâtre Hébertot- « Le Prix » : Pierre Arditi et Ludmila Mikael méritent toutes les récompenses

De Cyril Gely on connaît l’art de mettre en lumière dans chacune de ses pièces l’affrontement de deux personnages aux intentions divergentes réunis sur fond de soubresauts de la Grande Histoire. Cela avait donné par exemple « Diplomatie » où il imaginait l’âpre négociation entre le Consul de Suède Raoul Nordling (André Dussollier), et le général nazi von Choltitz dont la loyauté à l’égard du Reich était sans borne et sans soupçons (Niels Arestrup) qui décida en 1944 de ne pas suivre l’ordre du Führer de détruire la capitale. Un duo saisissant porté par des interprètes au sommet de leur art. L’écriture du dramaturge qui offre aux comédiens des moments de rare intensité on la retrouve dans « Le Prix », sa nouvelle pièce donnée en ce moment jusqu’au 27 avril à Paris au théâtre Hébertot.

Destimed Pierre Arditi et Ludmila Mikael dans Le Prix photo Bernard Richebe
Pierre Arditi et Ludmila Mikael dans Le Prix (Photo Bernard Richebé)

 

Le résumé de l’intrigue est assez simple : « Nous sommes le 10 décembre 1946, au Grand Hôtel de Stockholm, peu avant l’heure de recevoir le Prix Nobel de Chimie, Otto Hahn (Pierre Arditi) est rejoint dans sa suite par Lise Meitner, (Ludmila Mikael) son ancienne collaboratrice avec laquelle il a travaillé plus de 30 ans. Mais Lise ne vient pas le féliciter, elle vient régler ses comptes. » Comment en est-on arrivés là ? C’est tout l’enjeu de cette comédie (on rit pas mal) dramatique (on est souvent émus, notamment lors de l’épilogue poignant) que Tristan Petitgirard a mise en scène de manière très classique n’encombrant pas ainsi sa lecture du texte d’artifices inutiles. Si l’on creuse un peu dans les méandres d’une écriture ciselée (la pièce est publiée à l’Avant-scène Théâtre)  « Le Prix » raconte en fait une histoire d’une foudroyante actualité qui pourtant se déroule en 1946. « Comme quoi les choses n’ont pas beaucoup évolué», note-t-on. Lise Meitner, une physicienne hors norme, n’a pas été lauréate du prix Nobel. C’est Otto Hahn, avec lequel elle a travaillé plus de trente ans, qui ira le chercher seul. Cela paraissait normal à l’époque. Mais pas pour Lise. Et lorsqu’elle vient frapper à la porte d’Otto, quelques heures avant qu’on ne lui remette le prix, s’en suit un entretien tendu, passionné, implacable ! « Mais rien n’est manichéen ici. Tout n’est pas noir d’un côté ni blanc de l’autre. Chacun a sa vérité. Otto avance ses pions, Lise aussi, l’un et l’autre sans cesse sur une corde raide. Car, au final, il y a toujours un prix à payer», est-il précisé en note d’intention.

« L’acteur c’est le texte debout » disait Jouvet

Destimed Clara Borras et Pierre Arditi dans Le Prix photo Bernard Richebe
Clara Borras et Pierre Arditi dans “Le Prix” (Photo Bernard Richebé)

Avec intelligence et précision Tristan Petitgirard le metteur en scène tient à éclairer le spectateur sur ce qu’il a voulu entreprendre sur les planches avec « Le Prix ». « Jouvet avait cette formule merveilleuse :L’acteur, c’est le texte debout”», dit-il avant d’ajouter : « Bien sûr, il est primordial que le texte à mettre debout soit de qualité. La pièce de Cyril Gely est d’une grande puissance dramatique, intime, historique et sociétale, notamment par son regard sur la place des femmes dans la communauté scientifique et au-delà. Quant à la verticalité… nous avons l’immense chance d’avoir Ludmila Mikaël et Pierre Arditi pour incarner Lise Meitner et Otto Hahn. Ces deux interprètes rêvaient depuis longtemps de partager la scène. Leur rencontre au plateau promet d’être éblouissante. Ils ont l’un et l’autre l’art de savoir arrêter le temps d’un regard, d’une inflexion, d’un geste. C’est un privilège et une joie de pouvoir travailler avec eux. Et puis, je retrouve dans cette pièce une thématique qui m’est chère les oubliés de l’histoire. J’aime que le théâtre puisse aussi avoir cet acte de réparation, de mémoire. Après Alan Turing, il s’agit également d’une scientifique, Lise Meitner, dont les travaux avec Otto Hahn ont débouché sur la découverte de la fission nucléaire. Et pourtant, seul Otto Hahn a reçu le Nobel. Cette notion d’ombre et lumière se retrouvera d’ailleurs dans la scénographie. L’action se passant dans le grand hôtel de Stockholm, nous serons bercés par cette lumière nordique si caractéristique avec ces nuits précoces. Pour l’aspect musical, Lise et Otto faisaient tout à quatre mains, y compris du piano. La très belle mélodie Hongroise de Schubert, déclinée par mon complice Romain Trouillet, rythmera le spectacle. Enfin, il est extrêmement important pour moi de garder la dimension intime de cet affrontement. Ces personnages ont fait l’histoire, mais leur séparation, le vide, la souffrance qu’elle a laissée, est au cœur de leurs préoccupations. C’est ainsi que l’histoire rencontrant l’intime, peut nous toucher en plein cœur et continuer de nous éclairer sur le chemin à faire pour que les femmes ne soient plus jamais privées de lumière. » Féministe donc la pièce est un régal, une sonate schubertienne, un drame wagnérien aussi, et surtout un miracle d’interprétation.

Lumineuse Ludmila…et Pierre Arditi…ssimo

Destimed Ludmila Mikael Pierre Arditi et Emmanuel Gaury dans Le Prix Photo Bernard Richebe
Pierre Arditi et Ludmila Mikael dans Le Prix (Photo Bernard Richebé)

Au centre du dispositif Ludmila Mikael est tout simplement…lumineuse. En femme blessée humiliée mais déterminée elle est tout simplement…inoubliable. A ses côtés Pierre Arditi l’accompagne dans cette partition de haute tenue sans forcer le trait. Tout en nuances modelant sa voix et économisant ses gestes, il joue Arditissimo ! Ces deux Stradivarius du « Prix » méritent toutes les récompenses… Ainsi, la pièce où l’on retrouve également sur scène la très talentueuse Clara Bordas (la femme de Otto Hahn) et Emmanuel Gaury où dans le rôle très court du sergent Welsh il parvient à imposer sa griffe, est un spectacle haletant qui montre également comme l’écrivait Beaumarchais que « si l’amour porte des ailes, n’est-ce pas pour voltiger ? »

Jean-Rémi BARLAND

« Le Prix » au Théâtre Hébertot. 78 bis, boulevard des Batignolles – 75017 Paris jusqu’au 27 avril. Jusqu’au 13 avril  du mercredi au samedi à 21h, le dimanche à 16h. À partir 18 avril, le vendredi, samedi 21h, dimanche à 16h. Plus d’info et réservations sur theatrehebertot.com

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