« Qui va nous sauver le jour de Noël ? C’est Jésus. Il est où notre Jésus ? Dans notre cœur. » Et celui qui s’exprime ainsi de faire entonner au public du Théâtre Michel au début de la pièce « ADN » signée Caroline Ami et Flavie Péan « Amazing grace » l’un des cantiques chrétiens les plus célèbres dans le monde anglophone, un chant de paix vite interrompu par la police qui débarque pour arrêter le « chauffeur de salle ».
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Nous sommes en décembre 2014 et s’il est beaucoup question ici de naissance ce ne sera pas uniquement celle du Divin Enfant. L’intrigue qui tient dans le creux de la main (d’un test génétique devrait-on dire) nous présente d’emblée un homme assez désemparé. À la suite d’un test ADN, Tomas découvre qu’il n’est pas le père de son bébé – mais son oncle. Seulement, à sa connaissance, il n’a pas de frère. Le jour où sa mère est prête à lui faire des révélations, Tomas la retrouve assassinée. Et l’Agent Coffman de l’accuser sur le champ en lançant de façon péremptoire et surtout hâtive : « Le labo est en train de comparer votre ADN avec celui trouvé sur le corps de votre mère et dans son appartement. C’est une question d’heures… Plaidez coupable, le juge sera plus clément. » Mais tout semble double ici et rempli de fausses évidences. « On ne tue pas à cause d’un secret de famille», nous dit-on. Et pourtant… si c’était le cas ?
Des personnages colorés, loufoques, se télescopent, dont certains beaucoup moins innocents qu’ils veulent le laisser paraître. Définissons d’une phrase la problématique de chacun d’eux : Tomas (Benoît Facerias) : le plus beau jour de sa vie est devenu son pire cauchemar. Karen (Anne Plantey ou Caroline Ami) : elle ne se souvient plus de ce qu’elle a fait cette nuit-là. Agent Coffman (Alexandre Guilbaud) : et s’il allait commettre sa plus grosse bavure ? Georgia (Valérie Even) : quel genre d’expériences pratique-t-elle dans sa clinique ? Élisabeth Miller (Judith D’Aleazzo) : parfois le passé refait surface. Sam (Eric Pucheu) : il ne fallait pas prendre rendez-vous dans cette clinique.
Des flics qui investissent la salle, courses poursuites, et coups de théâtre, mots d’auteur qui font mouche, on se régale, on est hilares, et on ne voit pas le temps passer. « Les femmes et leurs droits…Toutes des pintades. Elles feraient mieux de rester dans leur cuisine au lieu d’ aller fanfaronner dans les rues. Chaque chose à sa place et les vaches seront bien gardées », lancera une certaine Hanna…
Un embryon peut en absorber un autre
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« Le personnage principal, sa femme et son fils ont réellement existé », expliquent Caroline Ami et Flavie Péan. « Les faits se sont déroulés en 2014, à Washington, aux États-Unis. Touchées par le cauchemar qu’avait dû vivre ce couple et la résolution finale ô combien surprenante, nous avions néanmoins conscience que cela ne suffirait pas à tenir une pièce sur la longueur. Nous avons donc pris la liberté de romancer la vie de ce trentenaire en imaginant des personnages et des intrigues croisées. Ce choix fut également motivé par l’envie commune de transformer ce drame familial en thriller, un genre peu fréquent au théâtre. » Inspirée d’une histoire vraie, la pièce s’articule autour de thématiques qui selon les conceptrices du projet titillent notre sensibilité, à savoir : la transmission, l’héritage familial – conscient ou inconscient – et par extension, le transgénérationnel. « Les non-dits, les secrets et les traumatismes vécus par différentes générations d’une même famille, sont des poids à porter qui nous collent à la peau et dont il est difficile de se défaire. La quête de nos personnages quant à leur identité, les mènera sur le chemin de la résilience. En surmontant les chocs traumatiques, en acceptant et en pardonnant, ils se rapprocheront du bonheur », précisent les autrices.
Chimérisme et mise en scène explosive de Sébastien Azzopardi
On aborde également avec précision la question du chimérisme. C’est un phénomène rare où un individu a deux ensembles d’ADN différents. Cela se produit lorsqu’un embryon en « avale » un autre très tôt dans le développement. En d’autres termes, un des deux embryons a absorbé ici son jumeau in utero, ce qui explique les anomalies génétiques observées. C’est pour cette raison que les tests ADN montrent dans l’intrigue des résultats contradictoires. Percutante, précise, inventive, la mise en scène de Sébastien Azzopardi, -le maître de la comédie interactive « Dernier coup de ciseaux », « L’Embarras du choix »- , demeure aussi explosive que le texte. Interprètes au diapason, qui jouent en esprit de troupe, pièce de théâtre festive, instructive et ludique aux allures de farce burlesque à la Monthy Python « ADN » facile d’accès malgré la complexité du principal sujet scientifique abordé, demeure de bout en bout un bonheur absolu.
Jean-Rémi BARLAND