« En 1999 débutait le casting pour trouver le jeune garçon qui allait interpréter Harry Potter et qui, par la même occasion deviendrait mondialement célèbre. Des centaines d’acteurs furent auditionnés. Finalement, il n’en resta plus que deux. Ce roman raconte l’histoire de celui qui n’a pas été choisi. » C’est ainsi que David Foenkinos présentait à sa sortie en 2022 « Numéro 2 » un de ses textes les plus émouvants.
« Si certains éléments de ce roman reprennent des faits réels, l’auteur a cherché avant tout à donner libre court à son imagination, au fil d’une intrigue parfaitement fictive», nous précisait-on. Plus vraie que nature la retranscription de cette histoire pour la scène mérite les plus vives louanges. Signée Léonard Prain cette adaptation théâtrale est en tout point d’une intelligente justesse. Tout comme la mise en scène de Sophie Accard qui s’est fondue dans l’œuvre avec humilité, rigueur et inventivité. Des éléments de mobilier se superposant comme pour mieux marquer les différents lieux traversés par notre jeune héros qui, comme le dirait Stendhal est fort peu héros au moment où nous le rencontrons; une utilisation pertinente de la vidéo chargée non de paraphraser le texte, mais de l’accompagner; des costumes d’Atossa, une lumière chaude de Simon Cornevin, une musique originale de Casacadeur, et une scénographie de Blandine Veillot, habillent l’ensemble de manière flamboyante. Ainsi proposé ce «Numéro 2», à voir en ce moment au théâtre Tristan Bernard de Paris, est un festin narratif et visuel servi par des interprètes bouleversants d’authenticité.
Axel Auriant est Martin Hill le numéro 2…
![Destimed Axel Auriant dans Numero 2 au theatre Photo Fabienne Rappeneau](https://www.destimed.fr/wp-content/uploads/2025/02/Axel-Auriant-dans-Numero-2-au-theatre-Photo-Fabienne-Rappeneau.jpg)
Dans le rôle de Martin Hill, le « numéro 2 » Axel Auriant crève les planches. Il est vrai qu’il ressemble finalement beaucoup à Daniel Radcliffe le Harry Potter au cinéma. Mais au-delà de ses points communs physiques avec la star mondial, il imprime à son personnage une densité qui bouleverse. Il faut dire que ce jeune comédien de 27 ans, nous a toujours impressionnés au théâtre où nous l’avions applaudi dans le cadre du Off d’Avignon sur les pièces « Une vie sur mesure » de Cédric Chapuis, où, en tant que musicien (il est lui-même batteur) il avait toujours… la note juste, et lors de son immersion dans « Saint-Exupéry – Le mystère de l’aviateur » de Arthur Jugnot et Flavie Péan (magnifique spectacle) où il jouait Saint-Ex enfant. Ici avec « Numéro 2 » il parvient à se hisser au rang de numéro 1 de l’interprétation. Les moments où il dit sa détresse de n’être qu’un sosie inachevé à qui le sort semble lui avoir volé son identité, où il raconte la séparation de ses parents, la mort de son père, le traitement inhumain d’un beau-père violent, sa découverte de l’amour et la naissance d’un enfant, sa reconstruction lente et réussie, sa rencontre avec Daniel Radcliffe, et une histoire de cravate très édifiante, sont émouvants, et assez inoubliables.
Entouré d’interprètes justes, grands, et vrais
![Destimed Numero 2 THEATRE Photo Fabienne Rappeneau](https://www.destimed.fr/wp-content/uploads/2025/02/Numero-2-THEATRE-Photo-Fabienne-Rappeneau.jpg)
Mais au théâtre on est rarement bon tout seul. Et si Axel Auriant brille autant sur la scène, et ce n’est pas lui faire injure que de le préciser, c’est qu’il est fort bien entouré. Valentine Revel-Mouroz campe une mère déchirante, et une future épouse piquante à souhait, Serge Da Silva joue de façon puissante le beau-père violent et le producteur chargé du casting, et Pierre Benezit sous les traits du père du recalé est exceptionnel. Notons qu’Axel Auriant et lui ont déjà partagé la scène sur le Saint-Exupéry de Jugnot-Péan, et ici cela se ressent, tant ils semblent complémentaires, complices et à l’écoute l’un de l’autre. Acteur incroyable que l’on a vu aussi dans « Edmond» de Michalik, ou le loufoque « Les gros patinent bien », et qui a signé également « Penser qu’on ne pense à rien c’est déjà penser à quelque chose », « Les hommes préhistoriques sont des cons » et « Ils ont dû nous oublier », trois pièces où le loufoque côtoie l’urgence citoyenne face aux dérèglements climatiques et sociaux, Pierre Benezit passionné de chant porte la partition de son personnage à des hauteurs virtuoses. Et permet au jeune Martin dans ce « Numéro 2 » d’exploser littéralement. Au final voilà une pièce qui s’interrogeant sur «comment être heureux lorsqu’on est quotidiennement confronté à ce sentiment d’injustice, à cette incompréhension propre à l’enfance ? », sur le fait de savoir si « la réussite est-elle oui ou non vraiment la clef du bonheur ? » et qui concluant « On ne rate pas sa vie, on la recommence » montre aussi à quel point l’écriture de David Foenkinos qui dit des choses graves avec légèreté et élégance demeure d’une justesse psychologique sans failles.
Axel Auriant, également l’auteur du roman « Rue de la Gaîté »
Non seulement Axel Auriant est un comédien surpuissant, mais il est également depuis le mois de janvier 2025 l’auteur très remarqué et à succès de « Rue de la Gaîté » son premier roman publié chez Fayard. Dédicacé à Béatrice Vignal, la directrice du Théâtre Tristan Bernard, et portant en préambule cette pensée de Louis Jouvet : « Le théâtre est le désordre incarné. Pour faire l’éloge du théâtre, il faut commencer par faire l’éloge du désordre», voilà une magnifique fiction. « J’ai écrit ce que j’aurais aimé lire aux prémices de ma passion pour le théâtre, qui m’aurait permis tant de fois de mettre de la lumière sur mes chaos », précise Axel Auriant. Et même si on pressent des éléments autobiographiques dans ce texte qui réserve notamment sur la fin des surprises narratives, il ne s’agit pas d’une autobiographie déguisée, mettant en scène un jeune homme d’aujourd’hui faisant ses premières armes d’acteur au Cours Florent. Bien entendu Baptiste Dusseau le narrateur apprenti comédien, né à Nancy, qui s’adresse ici à nous avec sincérité et une certaine forme d’émotion emprunte des traits de caractère à l’auteur, mais tout dans le récit tient du mentir-vrai romanesque. Engagé d’abord comme ouvreur au Théâtre Montparnasse et ce par l’intermédiaire de Marvin, son camarade au culot sans limite, il se verra encouragé sur la voie du jeu d’acteur par sa rencontre avec Marcel André, son idole, un monstre sacré de la scène « qui compte tant de Molières qu’il pourrait en faire sa table basse.. » Il apprendra de celui-ci que « la tête est le pire ennemi de l’acteur » et qu’il faut essayer « de ne pas être dans l’action, mais dans la réaction ».
Hommage à des éveilleurs de l’esprit
Personnage fictif, mélange de Michel Bouquet, et de quelques autres grands éveilleurs de l’esprit, Marcel André prodigieux dans « Le Misanthrope », et tous ses autres rôles mais gauche et maladroit loin des planches, voit dans sa vie privée ses ailes de géant l’empêcher de marcher. Il est aussi celui qui permettra à Baptiste de s’affranchir de la passion sans retour qu’il éprouve pour Marvin, un « métis au visage rempli de taches de rousseur », orphelin de père, ancien animateur au club Med, où il a découvert le théâtre, qui possède un scooter rose, le même que celui de Pierre Niney dans « Vingt ans d’écart». Comment peut-on devenir ce que l’on est ? « Après tout les plus belles questions sont peut-être celles qu’on laisse en chemin », écrit Axel Auriant qui privilégie souvent chez son personnage principal le goût du silence « qui est la pensée en chemin » justement, et qui cite le monologue de Figaro, la tirade du nez de Cyrano, « La nuit je mens » de Fauque/Bashung, une Gymnopédie de Satie, le fait que « deux aimants sèment en s’aimant », et que « un millionnaire, c’est un milliardaire qui a acheté un théâtre. » Belle réflexion sur l’esprit de résistance aux idées toutes faites peuplée d’anecdotes et de conseils donnés à un jeune comédien sur l’art pour ce dernier de s’approprier les mots des autres, pour en faire les siens, « Rue de la Gaité » avec des pages bouleversantes sur les relations de Baptiste avec son père, est un roman tendre et nostalgique sur les rêves, les désillusions et les promesses de la jeunesse. Une fiction joyeuse et grave, touchante et sincère par laquelle Axel Auriant s’impose aussi sans emphase ni boursouflures narcissiques comme un authentique écrivain.
Jean-Rémi BARLAND
« Numéro 2 » de David Foenkinos est édité chez Gallimard et repris en poche dans la collection Folio. A voir sur scène au Théâtre Tristan Bernard, 64 rue du Rocher – 75008 Paris, du mardi au samedi à 16h, 19h ou 21h selon les jours. Tél: 01 45 22 08 40 – plus d’info sur theatretristanbernard.fr
« Rue de la Gaîté » par Axel Auriant – Fayard – 254 pages,-20,90.