Selon Thibault Prébay, directeur de la gestion Taux chez Quilvest Gestion, les perspectives de l’économie allemande ne sont pas aussi florissantes que le laisseraient croire bon nombre de commentateurs. L’expert remet notamment en cause « la sincérité des indicateurs macroéconomiques allemands » et la faiblesse du chômage Outre-Rhin, qui s’explique en grande partie, selon lui, par la décroissance de la proportion d’actifs.
La comparaison de nos standards économiques nationaux, avec ceux de notre « exemplaire » voisin germanique est toujours très en vogue. Pourtant, selon Thibault Prébay, directeur de la gestion Taux chez Quilvest Gestion, elle « n’est pas aussi abrupte qu’on pourrait le penser ». « Pour bon nombre de commentateurs, les perspectives de l’économie française sont, a priori, sans saveur. Mais qu’en est-il exactement de l’Allemagne, érigée quasi-unanimement comme modèle de compétitivité ? », s’interroge l’expert à haute voix.
Thibault Prébay accorde tout d’abord aux détracteurs de l’économie française, « le recul du PIB national au premier trimestre, officialisé récemment, qui plonge techniquement le pays en récession » après deux trimestres consécutifs à -0,2% de baisse du PIB. A cela s’ajoutent « la contraction de l’activité industrielle, encore observée en avril, et la faiblesse de la consommation des ménages dont le pouvoir d’achat baisse ». « Dans le même temps, de l’autre côté du Rhin, un tableau autrement plus enthousiasmant nous est dépeint, observe l’expert. L’économie allemande serait parvenue à grappiller +0,1% de croissance lors des trois premiers mois de l’année, un rebond bienvenu après le faux pas de fin d’année 2012, qui avait coûté -0,6% au dernier trimestre. A confronter ces seuls chiffres, il est aisé de pointer du doigt la fébrilité de la deuxième économie européenne face au leader germanique. »
« Il est probable que l’Allemagne soit en réalité d’ores et déjà en récession »
Et pourtant le directeur de la gestion Taux chez Quilvest Gestion ne s’en tient pas là en soulignant qu’« on peut mesurer la dimension récessive de ces deux économies sous un autre angle ». Il relève ainsi que « sur les six derniers mois, considérés dans leur continuité, le PIB allemand a décru de -0,6% ». « La France a fait mieux en ne concédant que -0,4%. Et non corrigées des variations saisonnières, la croissance de l’Allemagne ressort à -1,4% annualisé. Il est donc probable que l’Allemagne soit en réalité d’ores et déjà en récession, d’autant que la sincérité des indicateurs macroéconomiques allemands, dans leur construction statistique, est historiquement très discutable ! », assène Thibault Prébay. L’expert estime ainsi que « si l’INSEE produit des statistiques rigoureuses et faisant rarement l’objet de révisions importantes, il est raisonnable de penser que les statistiques allemandes seront révisées de nouveau ».
Pour étayer ses dires, il ne manque de citer un exemple qui « interpelle ». « Le PIB allemand était attendu à +0,2% sur un trimestre, hors variation saisonnière (en annualisé), il est finalement ressorti à -1,4% mais a subi une révision saisonnière bien plus importante qu’attendue, pour finir en légère hausse. A croire que les sondages n’avaient pas anticipé les jours fériés ? L’avenir nous donnera le détail de ces statistiques qui suscitent clairement le doute », prédit l’expert.
« Le chômage bas reflète une faiblesse démographique »
Et de pointer encore une donnée que « les observateurs ont souvent tendance à occulter », les difficultés démographiques auxquelles l’Allemagne est confrontée. « Le renouvellement générationnel pâtit de la faible dynamique du taux de natalité, parmi les plus bas au monde (à près de 8,3‰), et du vieillissement de la population, aujourd’hui la plus âgée d’Europe. La décroissance programmée de la proportion d’actifs, n’est pas en mesure d’être compensée par les flux d’immigration, qui depuis près d’une décennie ont tendance à ralentir malgré la forte incitation mise en place par le gouvernement. Au point de créer un déséquilibre migratoire, au profit de l’émigration », note Thibault Prébay.
Or, selon lui, « cet aspect risque inévitablement de peser sur la croissance, en altérant la vigueur de la consommation et de l’emploi, mais aussi en réduisant les recettes fiscales de l’Etat et en augmentant les dépenses sociales ». Et de juger qu’à plus court terme, « la démographie allemande explique en grande partie la faiblesse du chômage, bien plus modéré qu’en France (6,9% contre 11%) ». « Si l’emploi fait encore preuve de stabilité aujourd’hui, cette prouesse reflète davantage une absence de compétition sur le marché du travail, plutôt qu’un dynamisme soutenu ! Rappelons que le chômage japonais était de 1,9% en 1980, sans que cela n’ait été annonciateur d’un puissant essor économique », observe-t-il.
Au final, l’expert pointe ainsi une anomalie : « difficile de comprendre qu’un pays dont la croissance historique est nettement plus faible qu’en France (la croissance française a été systématiquement supérieure à la croissance allemande de 1998 à 2005), qui subit à nouveau une perte de vitesse depuis neuf mois, et dont le chômage bas reflète une faiblesse démographique, soit toujours vu comme le bon élève européen ». Et d’en conclure : « Si les entreprises allemandes ne sont pas l’Allemagne, les perspectives s’assombrissent néanmoins rapidement ! ».
S.P.