Publié le 11 mai 2013 à 2h00 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 15h41
Quand le pinceau croise la terre
Depuis le 27 avril, et ce jusqu’au 13 octobre, 150 pièces de céramiques, issues de collection privées et peintes par Picasso s’exposent au centre d’art aubagnais des Pénitents noirs. L’occasion de refaire l’histoire de l’artiste à Vallauris à la faveur d’une visite guidée.
150 pièces de céramiques issues de collections privées, pas une de moins. C’est ce que le visiteur peut découvrir, ce depuis le 27 avril et jusqu’au 13 octobre à la faveur de l’exposition « Picasso céramiste et la Méditerranée », entre les murs du centre d’art des Pénitents noirs. Mais outre cette confrontation privilégiée avec la matière, c’est bel et bien avec l’histoire que ce temps fort de l’année Capitale aubagnaise nous donne tout d’abord rendez-vous.
L’histoire, c’est celle de Picasso et de sa femme Françoise, venus se promener à Vallauris en 1946 pendant la foire de la poterie. Il y fera une rencontre déterminante, celle des céramistes Suzanne et Georges Ramié, « arrivés dans le village en 1936. Après avoir travaillé sur les formes de céramiques locales, ils vont s’inscrire dans une dynamique de renouvellement de la céramique traditionnelle. Lors de son passage sur le stand, comme un amusement, le peintre réalise quelques figurines en terre qu’il modèle à sa manière », explique Joséphine Matamoros, commissaire de l’exposition. Installé alors à Golfe Juan, Picasso revient visiter la foire en 1947, et retrouve les Ramié, qui lui ressortent les quelques personnages façonnées un an plus tôt, cuits au four. C’est le début d’une belle complicité professionnelle entre le couple et Picasso, mais aussi d’une grande amitié. « Picasso décide de redonner des lettres de noblesse à la céramique », raconte, lors de la visite, la médiatrice culturelle.
Au départ, il ne touche pas à la matière et se cantonne à la peinture. « Il venait deux à trois fois par semaine à l’atelier des Ramié. Et le reste du temps, il peignait… C’était un boulimique de travail. Il décorait tout ce qui lui tombait sous la main, assiettes, plats, cruches, pignates, tomettes, carreaux… Mais tout cela se faisait dans la convivialité : on mangeait tout en travaillant, dans la bonne humeur, on dînait à l’heure espagnole »… Et au cœur de cette ambiance, sous la magie de son pinceau, les objets utilitaires trouvent ainsi une seconde vie : une poêle à châtaignes devient masque de théâtre, une cruche, un canard où l’on peut désormais piquer des fleurs…
Et la magie opère
Ses thèmes de prédilection fleurent bon la Méditerranée. La tauromachie est par exemple très présente, reflet d’un mal du pays bien compréhensible : « Picasso, ayant fui le Franquisme, s’était juré de ne revenir en Espagne que lorsque celui-ci ne serait plus au pouvoir. Or, Picasso mourra en 1973, deux ans avant Franco, décédé en 1975… » De fait, il instaurera une saison taurine à Vallauris, qui fera du peintre l’un de ses citoyens d’honneur. Mais il y a aussi toute cette fascination pour la mythologie grecque, et notamment pour un personnage récurrent dans les œuvres céramiques de Picasso : le Faune, demi-dieu connu pour sa vigueur, mi-joueur, mi-coquin, sous les traits duquel il aime à se représenter. Il donne également à sa femme Françoise les traits de la Faunesse. Et l’on peut admirer, au fil de l’exposition, nombre de saynètes de la vie quotidienne, peintes sur plaques et les mettant en valeur tous les deux. Certaines sont fêlées, de couleurs douteuses, mais « pour Picasso, les incidents de cuisson, ce n’était pas grave. Juste le mystère de la création. Il ne cherchait pas à reboucher les trous, ou à refaire une couleur, lorsque celle-ci était mal sortie du four. Il laissait le tout tel quel. »
Peu à peu, il commence à apprivoiser la terre. Sur une série de pieds de lampes, par exemple, il pose ses mains sur les pièces encore fraîches, presse la matière, rajoute des colombins et réalise des tanagras, ou statuettes d’inspiration antique. Sur certains plats, il gratte l’engobe, réalisant ainsi des reliefs… Puis enfin, il finira par travailler complètement la matière. Il façonne et rajoute des couverts sur les plats, réalise des moulages de petits poissons, qu’il colle… A l’instar du grand plat espagnol nommé « Tauromachie et squelette de poisson » : « le midi, Picasso déjeunait de produits de la mer et de légumes. Ainsi, tout en mangeant, il prend l’arête principale du poisson, et en réalise une empreinte, qu’il appose alors dans ce plat hispano-mauresque »… En fermant les yeux, on peut presque l’y voir. La magie opère au cœur de l’exposition, et ne laisse pas le visiteur insensible, ravi de pénétrer l’intimité de l’artiste, vivant ses heures de céramiste. Une période que l’on connaît peu, finalement, et que l’on a plaisir à découvrir.
« Une triple ambition »
Aubagne a par ailleurs capitalisé comme il se doit sur cette exposition : ateliers d’arts plastiques, conférences, mallette pédagogique circulant dans les écoles et implication de 300 élèves dans la réalisation d’une œuvre commune autour de Picasso. « Des villes/1 œuvre », c’est le nom de cette opération, verra se façonner « 400 pièces représentant des nez, des bouches, des yeux, dans l’esprit des portraits déstructurés du peintre. Elles seront assemblées pour donner naissance à un totem, qui mesurera 3 mètres de haut et 2 mètres de large », explique Céline Delpicchia, directrice du centre d’art des Pénitents noirs. Le tout encadré par 8 stagiaires de l’école de céramique du CFBT, et 10 professionnels. Et quoi de plus naturel pour Aubagne, dont la tradition céramiste ne fait mystère pour personne, que de s’investir dans cette thématique… « L’engagement total du pays d’Aubagne et de l’Etoile dans la Capitale européenne de la culture se construit dès le départ sur une triple ambition : une dimension populaire majeure pour l’expression d’une agglomération à taille humaine, une exigence artistique forte sur notre singularité des arts de la terre et la mise en valeur de notre patrimoine naturel, un ancrage méditerranéen affirmé fait d’échanges et d’enrichissements mutuels. « Picasso céramiste et la Méditerranée » est emblématique de cette triple ambition » soulignera ainsi de son côté Magali Giovannangeli, présidente de l’Agglo.
Carole SIGNES
« Picasso céramiste et la Méditerranée »
Centre d’art des Pénitents noirs
Ouvert tous les jours, de 9h30 à 19h30
Tarif plein : 8 euros
Tarif réduit : 6 euros
Gratuit pour les habitants du Pays d’Aubagne et de l’Etoile