Publié le 5 avril 2014 à 18h40 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h47
Le courant « Maintenant la gauche », qui compte Emmanuel Maurel, Marie-Noëlle Lienemann, Gérard Filoche et Jérôme Guedj, a signé au soir du second tour des municipales une lettre ouverte adressée au Président de la république. Pour eux, le message du scrutin est clair, il ne s’agit pas «d’envoyer des signaux de gauche», mais il faut changer de cap politique. Nous en reproduisons le contenu sous forme de tribune.
« Monsieur le Président,
La défaite est sévère. Son ampleur, son impact sur tout le territoire en dépit du travail de qualité des élus locaux, témoigne d’une volonté des électeurs de gauche de sanctionner les choix politiques engagés depuis le début du quinquennat.
Ce soir, c’est toute la gauche qui est pénalisée. Mais plus que nos partenaires écologistes ou communistes, ce sont les candidats socialistes qui subissent le plus durement le désaveu des urnes.
L’exécutif ne peut rester sourd au message des électeurs. Rien ne serait pire que de relativiser la gravité de la défaite. Rien ne serait plus dangereux que de se tromper dans l’analyse des causes de celle-ci. Le problème n’est pas « méthodologique », il est politique. Le sujet central n’est pas la demande d’autorité, il est le refus de l’austérité. Il ne s’agit pas d’ « envoyer des signaux de gauche » à notre électorat, il faut changer de cap.
Monsieur le Président,
Vous aviez fait du « redressement dans la justice »le mot d’ordre de votre campagne présidentielle. A juste titre, vous aviez pointé la responsabilité historique du monde de la finance dans les difficultés que traversent notre pays et notre continent. Vous aviez porté haut et fort l’exigence d’une réorientation de la construction européenne, en dénonçant le caractère néfaste des politiques d’austérité. Vous aviez rappelé avec force que « l’âme de la France, c’est l’égalité ».
Deux ans après, cette analyse nous paraît toujours aussi pertinente. Force est de constater que, parfois, les actes ont démenti les paroles. Certes, des réformes salutaires ont été entreprises. Certes, personne ne méconnaît la gravité de la crise et le lourd bilan laissé par Nicolas Sarkozy. Certes, l’éradication du chômage de masse requiert du temps et de la constance. Mais, comme nous le faisons inlassablement depuis des mois, nous vous exhortons à changer de cap.
Augmentation de la fiscalité indirecte, flexibilisation du marché du travail, réduction à marche forcée des déficits publics, baisse massive du coût du travail : nous ne contestons pas seulement ces solutions parce qu’elles risquent de fragiliser notre modèle social et nos services publics, nous les contestons parce qu’elles s’avèrent inefficaces pour relancer l’activité économique!
Comme vous, nous pensons que les Français attendent avant tout des résultats en matière d’emploi. Comme vous, nous pensons que nous serons jugés sur notre capacité à améliorer concrètement les conditions d’existence du plus grand nombre.
Aujourd’hui, c’est le pragmatisme qui impose d’être audacieux !
Parce que la chance sourit aux audacieux, parce que la France n’est jamais aussi grande que dans le sursaut, il est possible de démentir les résignés, les fatalistes et les pessimistes. Il n’y a pas qu’une seule politique possible.
Pour réussir une nouvelle étape du quinquennat, il faut remplir trois conditions.
-1) A l’échelon européen, il est temps de desserrer l’étau des contraintes du pacte de stabilité. Concrètement, il s’agit dès demain d’engager le rapport de force avec la Commission en lui notifiant non seulement l’impossibilité, mais surtout le refus respecter dans les délais les critères de déficit restrictifs qu’elle nous assigne. La réduction à marche forcée des déficits publics érigée en dogme est absurde en période de croissance atone, alors que c’est précisément l’investissement, et singulièrement l’investissement public qui soutient l’activité. L’austérité conduit l’Europe vers l’abîme tant elle réduit les protections de ses citoyens sans aboutir à un autre résultat qu’un dumping social qui ne dit pas son nom. La politique monétaire est aujourd’hui plus un handicap qu’un atout, le libre-échange généralisé nous affaiblit. Les Français se moquent d’être présentés comme les mauvais élèves de l’Europe libérale. Au contraire, ils plébisciteraient un gouvernement qui se donne comme objectif d’être l’acteur déterminé de la réorientation du projet européen. Proposer un autre chemin pour l’Europe, jeter les bases d’une coalition progressiste contre l’austérité, voilà une façon de “réenchanter le rêve français”
-2) Sur le plan intérieur, le temps est venu d’un tournant économique majeur. Plutôt qu’à la « politique de l’offre » et qu’aux coupes massives dans les dépenses publiques, la priorité doit revenir à la croissance, à l’emploi, au redressement productif. A l’évidence, la transition écologique doit en être le fil conducteur.
Le pacte de responsabilité est mort-né. Prenons acte de la position intransigeante du MEDEF qui refuse toute contrepartie pour le monde du travail. Désormais minoritaire chez les syndicats de salariés, extrêmement coûteux pour les finances publiques, le « pacte » n’est pas aujourd’hui le « grand compromis social » que vous aviez souhaité.
N’ayons pas peur d’abandonner cette voie. La mobilisation générale pour l’emploi passe par la relance de l’investissement public et par celle de la consommation.
Car il est urgent d’agir pour le pouvoir d’achat. La réforme fiscale est évidemment un outil pour améliorer le quotidien des Français les plus modestes. Mais l’augmentation substantielle du SMIC lors de sa revalorisation annuelle, le dégel des salaires des fonctionnaires, la revalorisation des petites retraites nous paraissent tout aussi nécessaires
-3) De même qu’il n’y aura pas de redressement sans justice, il n’y aura pas de réussite de la gauche si elle ne parvient pas à se rassembler. Le changement ne peut devenir une réalité sans la prise en compte des aspirations de la majorité sociale à laquelle nous devons notre majorité politique acquise en 2012. Pour le traduire en actes, la gauche ne réussira qu’avec un nouveau pacte majoritaire qui rassemble au service de la France toutes celles et tous ceux qui ont contribué à la défaite de la droite lors de la dernière campagne présidentielle.
Mais au-delà de la gauche, c’est au profond malaise qui traverse notre pays qu’il faut aujourd’hui répondre. Comme à chaque période décisive de son histoire, la France peut retrouver le meilleur d’elle-même en s’inspirant des principes qui font la force et la singularité de son modèle républicain. Respect de la souveraineté populaire, défense de notre modèle social, promotion de l’égalité : en cette « année Jaurès », la République sociale reste un projet fédérateur. Ce projet, il vous appartient de le faire vivre.
Nous espérons que vous aurez compris cette adresse comme une contribution franche et constructive, tournée vers un seul objectif : la réussite de votre quinquennat, celle de la gauche, celle de la France ».
Pour Maintenant la Gauche : Emmanuel Maurel, Marie-Noëlle Lienemann, Jérôme Guedj