Publié le 28 novembre 2016 à 10h37 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 15h43
Le débat de cette 20e édition du PriMed, à la Villa Méditerranée, à Marseille, a été intense. Comment pouvait-il en aller autrement? Il faisait suite à un film, dense, fort en émotions mais aussi en informations: «Daesh, paroles de déserteurs», de Thomas Dandois et François-Xavier Tregan. Un documentaire dans lequel des déserteurs de Daesh acceptent pour la première fois de raconter leur vie sous le joug de l’État Islamique, le fait qui a fait basculer, rejeter Daesh, la peur dans laquelle ils ont alors vécu. Après le film, plusieurs invités ont débattu sur les réponses que peut apporter la société aux jeunes endoctrinés : François-Xavier Tregan, grand reporter et réalisateur du film. Il a vécu à Damas de 1992 à 1998. Il produit pour France Culture l’émission Sur les Docks et collabore avec de nombreux médias tels que XXI, L’Obs… Antoine Sfeir, journaliste et politologue. Il collabore avec plusieurs médias (La Croix, Le Point…) et revues (Études, Esprit…). Fondateur et Directeur des Cahiers de l’Orient, il préside le Centre d’Études et de Réflexion sur le Proche-Orient, le Monde Arabe et l’Afrique du Nord (Cerpo-Maan) et l’Institut Libre d’Étude des Relations Internationales (ILERI). Il est l’auteur de nombreux essais sur le monde arabe et musulman. Alain Ruffion, Directeur Général de l’association Unismed. Issue de la société civile et de l’éducation populaire, Unismed travaille sur les extrémismes violents, la médiation interculturelle et la promotion des valeurs de la République. Soufiane El Hamdi, chargé de projets chez Unismed. Il a auparavant travaillé pour l’ONG Search For Common Ground sur des projets de prévention contre la radicalisation chez les jeunes et les détenus au Maroc. Il a participé en 2015 au Sommet de New York sur la lutte contre l’État Islamique. Caroline Pozmentier-Sportich, adjointe au maire de Marseille et vice-présidente de la Région en charge de la sécurité dans les deux institutions. Plus de 300 lycéens de la région Paca étaient présents et ont pu poser leurs questions aux intervenants. La projection-débat était animée par Nora Boubetra, Grand Reporter et présentatrice à la rédaction nationale de France 3.
« Daesh, paroles de déserteurs », entraîne dans le Sud-Est de la Turquie, à plusieurs kilomètres de la Syrie en guerre. Un réseau clandestin se risque à exfiltrer des combattants qui décident de quitter Daesh. Ces déserteurs acceptent pour la première fois de raconter leur vie sous le joug de l’État Islamique. Ils ont pour la plupart vécu à Raqqa, la capitale politique et militaire du groupe terroriste. Ces témoignages sont très rares car les déserteurs de Daesh se cachent et ne parlent pas. S’ils se rendent aux autorités de leurs pays, ils sont incarcérés et ne peuvent plus communiquer qu’avec leurs avocats ou leur famille. Le Réseau d’exfiltration, constitué de combattants de l’Armée Libre Syrienne, a accepté de dévoiler certaines de ses méthodes de travail. En aidant les déserteurs à fuir, ils veulent dénoncer les mensonges de l’État Islamique, son culte de la violence et sa corruption. Les membres du Réseau sont persuadés de pouvoir ainsi décourager les futurs candidats au djihad et tarir de précieuses filières de recrutement…
François-Xavier Tregan explique: «Les déserteurs que nous avons filmés vivent toujours en Turquie où ils essaient de reconstruire leur vie». Il apporte plusieurs précisions: «Nous avons fait le choix de ne pas présenter des occidentaux. Une Française était d’accord pour témoigner, blonde, on n’aurait vu qu’elle. Cela n’allait pas dans le sens de notre propos qui était de montrer des personnes qui sont les premières concernées, nous avons trois Syriens et un Jordanien qui ont participé aux printemps arabes et qui se sont retrouvés dans des engrenages». «Nous souhaitions également travailler avec des femmes, ajoute-t-il, nous avons eu deux contacts mais elles n’ont pas souhaité donner suite». Antoine Sfeir juge le film de qualité mais déplore: «le film fait peur, j’aurais aimé qu’il montre des éléments d’espoir». Il tient également à préciser: «Il faut savoir que nous sommes, selon les définitions du droit international, devant un État puisque Daesh dispose d’un territoire et d’une population et il s’attaque à des États qui ont le droit de riposter ». Il explique pourquoi il est important de revenir sur ce contexte: «Il faut se souvenir que, voilà cinq ans, il y a eu une révolution dans le monde arabe. Un chef d’État (Nicolas Sarkozy) réactif, a subi l’influence d’un ex nouveau philosophe qui lui a dit qu’il fallait aller en Méditerranée. Nous y sommes allés, nous avons laissé exploser la Libye qui était un mur contre la migration subsaharienne et aujourd’hui, nous avons les phénomènes migratoires. deuxièmement nous avons créé Daesh en triturant les frontières. La Mésopotamie, le pays entre les fleuves est devenu le pays au-delà des fleuves et nous nous sommes alliés avec ceux qui ont une lecture rigoriste de l’Islam, à savoir l’Arabie Saoudite. Et, aujourd’hui, Daesh subit des défaites mais personne ne posent la question et après?».
«Il est toujours intéressant de montrer l’envers du décor»
Pour Alain Ruffion: «Il est toujours intéressant de montrer l’envers du décor car des jeunes adhèrent à une idéologie sans la connaître. C’est ainsi que nous avons eu sur la période 2013-2014 des départs humanitaires ou matrimoniaux vers la Syrie». Soufiane El Hamdi confirme: «Les gens qui rejoignent Daesh n’ont aucun savoir religieux. Et ils sont 2 000 en moyenne à rejoindre chaque mois cette organisation. Le travail de prévention est donc fondamental. Car, on peut tuer des personnes, pas une idéologie, il faut donc combattre par l’éducation, la culture… ». Alain Ruffion reprend: «Toutes les classes sociales partent en Syrie avec en moyenne 40% de convertis. Les jeunes femmes sont séduites sur les réseaux sociaux, les jeunes hommes sont un peu plus idéologisés, ils pensent mettre en conformité leurs actes avec une pratique intégrale de la religion» Caroline Pozmentier-Sportich rend hommage au travail des journalistes, insiste sur l’importance du travail «sans concession» effectué. Elle regrette toutefois que soit utilisé le mot de déserteur: «J’aurais préféré celui de repenti». Concernant la prévention, l’élue développe plusieurs points dans le cadre de ses mandats locaux et régionaux. Élue régionale elle évoque la Fondation du Camp des Milles: «Nous avons la chance d’avoir ce site qui, pour la première fois au monde, fournit sur un lieu de mémoire, des repères pluridisciplinaires et des clés de compréhension qui peuvent aider à être vigilant et à réagir à temps face aux crispations identitaires et aux extrémismes. Son action éducative et culturelle est destinée à renforcer la vigilance et la responsabilité des citoyens face au racisme, à l’antisémitisme et à tous les fanatismes. La Région entend que le plus grand nombre de lycéens puissent découvrir les Milles». Elle en vient aux fonctionnaires territoriaux: «Nous devons leur donner une formation qui va faire d’eux des sentinelles».
Alain Ruffion tient à signaler qu’à ses yeux: «la prévention en France n’est pas à la hauteur. Nous avons été dépassés par les événements. Il faut travailler sur l’interdisciplinarité, allier la société civile, les universités et les politiques». Pour Antoine Sfeir: «Il faut agir au cas par cas, voir les motivations de chacun et ne pas oublier que nous sommes allés chercher des étrangers dans les années 60. Aujourd’hui, nous en sommes à la troisième génération et on dit aux jeunes: tu es Français… mais musulman, Algérien, Tunisien, Marocain…». Il donne un exemple: «Je suis allé voir un jeune radicalisé en prison, je lui montre un Coran en arabe en lui demandant dans quel verset il a vu que l’on pouvait tuer, il me répond qu’il ne lit pas l’arabe. je lui présente la version française, il me dit ne pas avoir lu le Coran, je lui demande d’où viennent ses idées, il me répond: de son Imam, boulanger de formation». Comment ne pas noter, enfin, la question de ce lycéen sur la politique de la région en matière des migrants. Caroline Pozmentier-Sportich répond: «Nous sommes pour l’accueil de ceux qui souffrent, sont victimes pour leur opinion politique, leur croyance, nous devons les accueillir. En revanche, nous n’avons pas les moyens d’accueillir tous ceux qui veulent partir pour des raisons économiques»
Michel CAIRE