Publié le 11 mai 2016 à 11h37 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h45
Le public est venu en nombre, ce mardi 10 mai, au centre Edmond Fleg de Marseille, pour une nouvelle rencontre avec Delphine Horvilleur, rabbin libéral, journaliste et directrice de la rédaction de Tenoua, autour de son dernier ouvrage «Comment les rabbins font les enfants ? Sexe, transmission et identité dans le judaïsme» paru aux éditions Grasset. «Je l’ai écrit car j’ai eu le sentiment qu’il y avait une urgence à repenser la question de l’identité dans le temps terrible que nous vivons», précise l’auteure. Bien loin de ne s’adresser qu’aux seuls juifs, ce livre invite à la réflexion de tous les croyants et certains pratiquants de la laïcité.
Pour Delphine Horvilleur : «A l’heure des replis communautaires et des identités figées, il est essentiel que les religions revisitent leur construction pour sortir de l’illusion dans laquelle les place tous les discours fondamentalistes qui voudraient qu’existe une identité, une pureté, un fondement non contaminé». «Le discours fondamentaliste, précise l’auteure, se construit sur un vide, un mensonge narratif. Il veut faire croire qu’il serait possible de revenir au fondement, de revenir à la pratique de nos arrières, arrières grands parents sauf que ce qu’il propose n’a rien à voir avec ce que faisaient ces derniers». Dans ce cadre elle note que le judaïsme peut aider à démonter ce discours : «Dans la tradition juive, il est toujours question d’héritage et de recréation. La tradition rabbinique considère que chaque nouvelle génération doit être à la fois fidèle et infidèle». Et, de citer Jacques Derrida et sa «fidélité infidèle». Delphine Horvilleur souligne: «Les textes ne font que parler de coupure. Abraham devient un héros parce qu’il est dans la tradition mais aussi dans la rupture. Il est celui qui quitte un monde. Et quasiment toutes les fêtes juives racontent une tradition et une coupure». Elle en vient à Pessah, fête de la Pâque juive, «qui rappelle que la matrice du peuple juif c’est l’Égypte. Nous disons à cette occasion : Je suis le fils d’un araméen. L’origine de notre identité n’est donc pas pure. Il y a du moi et de l’Autre. On est fidèle à soi quand on reconnaît que l’Autre est purement moi à l’origine. C’est pour cela que j’use et j’abuse de métaphores sur la reproduction. Car, enfin, si un de nos parents n’étaient pas « contaminés » par l’Autre nous ne serions pas là. C’est l’altérité qui construit demain». Un soi qui se construit donc entre appartenance et rupture, dans un jeu de bascule, un déséquilibre maîtrisé qui, seul, permet d’avancer.
Puis, d’en venir aux trois religions du Livre : «La théologie juive se construit sur une différence fondamentale avec la théologie chrétienne : l’absence face à la présence. Dans le judaïsme Dieu se retire pour laisser l’Homme trouver, faire surgir, réparer… dans le christianisme il est présent. Ainsi, le saint du saint du judaïsme est un espace vide alors que dans le christianisme c’est le corps du Christ». Et de rendre hommage à Vatican II : «C’est un événement extraordinaire qui a notamment reconnu l’identité juive du catholicisme, il a ainsi revisité son identité comme n’étant pas pure. Un travail que doit encore accomplir l’islam». Précisant immédiatement à ce propos: « Il n’est pas question pour moi de me placer en conseilleur, personne ne devrait adopter une telle posture. Mais nous devons tous apporter notre soutien à l’Islam des Lumières». Et si elle ne nie pas le lien entre Islam et islamistes «il en est de même du rapport entre judaïsme et certains fondamentalistes juifs, comme pour la chrétienté ».
A l’issue de la rencontre, Raymond Arouch, le président du Centre Fleg se félicite de la qualité du propos: «Il est important de faire entendre une voix différente dans notre époque de radicalisations diverses et variées».
Michel CAIRE
«Comment les rabbins font les enfants ? Sexe, transmission et identité dans le judaïsme » de Delphine Horvilleur aux éditions Grasset – Prix : 18.00 €