Publié le 11 août 2021 à 20h16 - Dernière mise à jour le 1 novembre 2022 à 14h53
Il fait partie de ces comédiens qui ont une âme et qui s’imposent de manière magnétique dès qu’ils apparaissent à l’écran ou sur la scène. En quelques années Thibault Pinson est devenu un incontournable de «la bande à Daguerre», à savoir les membres de la compagnie « Le grenier de Babouchka » dont Jean-Philippe Daguerre et son épouse Charlotte Matzneff, sont les maîtres-artificiers d’organisation et de cœur…
On a vu Thibault Pinson dans de nombreuses productions dont les dernières « Le petit coiffeur» pièce de Daguerre justement et «Les trois mousquetaires» adaptée par le couple Daguerre-Matzneff et mis en scène par cette dernière. Thibault Pinson confie que cette pièce dans laquelle il joue d’Artagnan «c’est une déclaration d’amour au théâtre tréteaux et aux films de cape et d’épée». «J’ai aimé l’idée, poursuit-il, que Charlotte ait développé les personnages féminins, qui sont moins présents dans le roman. Et puis je suis admiratif que soit traité en 1h40 l’ensemble des chapitres livre avec respect et inventivité. » Virevoltant Thibault Pinson qui après Avignon 2021 (un des gros succès du Off) reprendra le rôle à Paris au Renlagh de septembre à juin 2022, affirme à juste titre que «c’est grâce aux personnages que nous incarnons que l’on grandit en tant que comédien.»
Après « Adieu monsieur Haffmann » Jean-Philippe Daguerre signe avec «Le petit coiffeur» une autre pièce bouleversante
Et puis il y a eu dans la carrière de Thibault Pinson la pièce de Jean-Philippe Daguerre «Le petit coiffeur» où il a repris pour le Off d’Avignon 2021 le rôle de Pierre créé à Paris par Félix Beaupérin. Notons que Thibault Pinson sera de nouveau sur les planches pour les nouvelles représentations au Théâtre Rive-Gauche à Paris à 19h du 25 août au début du mois de septembre, (d’autres dates suivront où il sera en alternance avec Eric Pucheu et Félix Beaupérin ), théâtre, coproducteur du spectacle, est co-dirigé par l’écrivain-acteur Eric-Emmanuel Schmitt… Fort de ses succès théâtraux à répétitions, dont l’exceptionnel «Adieu Monsieur Haffmann», (encore joué dans le Off cette année au Théâtre du Roi René) Jean-Philippe Daguerre nous propose avec «Le petit coiffeur » une pièce terrible et solaire à la fois, où, comme toujours chez lui, bruissent les sauvageries de la grande Histoire en général et de l’Occupation allemande en particulier.
Nous sommes à Chartres en juillet 1944. La ville, tout juste libérée panse ses plaies physiques et morales. Dans la famille Giraud, on est coiffeur de père en fils, et c’est donc Pierre qui a dû reprendre le salon « hommes » de son père, mort dans un camp de travail un an plus tôt. Marie, sa mère héroïne de la Résistance française, s’occupe du salon femmes. En pleine épuration, Pierre « le petit coiffeur » sera chargée de tondre Lise, qui fait partie de celles qui ont fréquenté les Allemands. Ce qui aurait pu n’être qu’une pièce historique chargée de dénoncer la manière dont on se comporta à la Libération, devient sous la plume du dramaturge, un plaidoyer pour le courage des femmes, le pardon, la réconciliation et le don de soi qui libère…
Ce dont nous parle ici Jean-Philippe Daguerre c’est d’amour. Avec un grand A. En effet, ce dernier qui n’aime ni juger, ni faire de la pédagogie offre du théâtre d’émotions, d’indulgence et de poésie. Exceptionnelle l’interprétation est à la hauteur du projet abouti. Charlotte Matzneff, en Lise et Brigitte Faure en Marie, la mère de Pierre sont rayonnants. Romain Lagarde campe avec maestria un Léon (le compagnon de Marie), puissant et fragile. Arnaud Dupont, avec ses mimiques impayables endosse le costume d’un commis lunaire qu’on croirait sorti d’un film de Jacques Tati. Avec une fin ouverte où le spectateur choisira d’appréhender le dénouement de manière optimiste ou non, avec la possibilité de se poser les questions comme on se les posait à l’époque quant à l’engagement, et à la faculté de choisir son camp.
Et puis il y a dans le rôle du petit coiffeur Thibault Pinson au sommet de son art. Il apporte une fougue nouvelle au personnage, montrant ainsi qu’une grande pièce permet des regards différents sur une même intrigue. C’est beau, c’est puissant… c’est Daguerre en quelque sorte.
Une pièce sur la reconstruction
«Cette pièce est une réflexion sur la reconstruction. Pierre incarne un enfant couvé par sa mère qui s’est en quelque sorte rangé dans sa famille alors qu’il recherche le beau à travers la peinture. Il a en lui une colère qui ne passe pas et qui demeure lié à la mort de son père. Il est précédé par ses désirs, et au moment où il peut enfin venger son père, il se demande comment il en est arrivé là, comment on peut arriver à pareille barbarie. Et c’est en lui une colère pas un esprit de justice», raconte Thibault Pinson avant de conclure: «Jean-Philippe Daguerre a su créer des personnages magnifiques, et comme ils sont servis par des partenaires de jeu tous d’une générosité incroyable je me suis senti comme en famille. Et puis je trouve que Jean-Philippe a illustré avec « Le petit coiffeur » l’idée de Camus : « Fédérer autour du beau qui est la responsabilité de l’artiste. »».
« Les paravents » de Genet dans le Off d’Avignon 2022
Comédien formé par Raymond Acquaviva et Orazio Massaro, ayant appris aussi le théâtre de clown, et ayant suivi tout un travail corporel autour de la mythologie iranienne chez Farid Paya au théâtre du Lierre à Paris, on a vu le talent d’acteur de Thibault Pinson exploser dans «Les coquelicots des tranchées», Molière du Théâtre Public 2015. Une évocation de l’horreur des charniers par le prisme d’une famille. Une fresque mise en scène par Xavier Lemaire celle de la guerre 1914-1918, où, durant quatre années de combats ininterrompus, toutes les familles de France donnèrent un fils à la patrie. On a applaudi aussi l’acteur dans la version du «Cid» de Corneille signée de ce même Daguerre et force est de constater combien Thibault Pinson a fait sienne l’idée que les comédiens sont là pour chanter le manque et l’amour.
Quant à savoir ce qu’est véritablement l’art des planches Thibault Pinson répond avec précision : «Pour moi le théâtre c’est un humain qui court après quelque chose d’extrêmement précieux et qu’il va regagner ou perdre. Et de cette perte ou pas naît la fragilité de comédien et sa grandeur. Du coup j’aborde mes rôles avec la volonté de défendre le beau, le vrai, la bien, et tout ce qui fait la grandeur de l’humanité»
Fourmillant de projets Thibault Pinson s’apprête à répéter pour Avignon Off 2022 la pièce «Les paravents de Genet» dans la mise en scène de Sophie Rainaud. La pièce, en forme de tableaux successifs se déroule pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), et l’auteur y brosse un portrait très sévère de l’armée française «Mettre en scène l’horreur dans un pamphlet anticolonialiste, c’est un aspect de la pièce qui me bouleverse», insiste Thibault Pinson. Et de lancer comme un credo : «Nous, comédiens sommes des athlètes de l’émotion, et nous sommes là pour poser des questions. C’est de fait en les posant qu’on devient beaux.» L’aventure de Thibault continue donc, et à n’en pas douter avec éclat et succès garantis. Vivement Avignon 2022.
Jean-Rémi BARLAND
«Le petit coiffeur» de Jean-Philippe Daguerre. Texte disponible chez Albin Michel. 134 pages, 12 € – Dans le off d’Avignon 2022 «Les Paravents de Genet» dans une mise en scène de Sophie Raynaud, avec Julien Cigana, Clotilde Daniault, Benjamin Brenière, Blanche Leleu, Pierre Étienne Royer, Donia Berriri et Elsa Rosenknop.