Rencontre avec Yann Verburgh, dramaturge à l’écriture explosive

Publié le 22 mai 2024 à  8h11 - Dernière mise à  jour le 24 mai 2024 à  10h55

A chaque représentation d’une pièce écrite par Yann Verburgh c’est un choc pour le spectateur. On est d’emblée saisis par la force des mots qui suscitant des images secouent les cœurs et les consciences. On s’en est rendu compte notamment au Théâtre des Salins de Martigues, puis à La Criée de Marseille dans le cadre de la programmation du Théâtre Massalia où fut donnée « Le théorème du pissenlit », pièce créée  en février 2023 à la Filature scène nationale de Mulhouse dans une mise en scène d’Olivier Letellier.

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Yann Verburgh dramaturge à l’écriture explosive (Photo Jean-Rémi Barland)

Sur le plateau des casiers à bouteilles dont l’emboîtement crée des décors on ne peut plus divers. Ici, c’est la puissance émancipatrice des enfants qui est mise en lumière. Nous suivons Tao et Li-Na vivant dans un village, isolé à flanc de montagne. Livrés à eux-mêmes, le petit garçon et son amie sont libres de leurs jeux. Tout s’arrête le jour des 13 ans de Tao, quand son père l’emmène avec lui à l’usine, où il disparaît. Li-Na part à sa recherche, traverse le Pays-de-la-Fabrique-des-Objets-du-Monde, retrouve son ami épuisé et rencontre d’autres gamins, invisibles et éteints. «Pour dénoncer le travail illégal des enfants, la petite fille commet alors la plus fantasque des insurrections. Avec le pissenlit comme métaphore de la persistance, le corps en mouvement, le bâton du diable au poing et la joie en étendard, chaque interprète raconte, depuis sa place, cette histoire de notre temps», est-il précisé.

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Olivier Letellier, nouveau directeur des Tréteaux de France-Centre dramatique national itinérant, (poste qu’avait occupé Robin Renucci avant de prendre la tête de La Criée) s’associe à l’auteur Yann Verburgh pour témoigner des conséquences politiques que peut engendrer l’insoumission poétique. « Ce texte est une commande d’Olivier Letellier, explique Yann Verburgh, il voulait travailler avec moi et ensemble avec toute l’équipe nous avons sculpté une forme adéquate au propos. Je me suis mis de fait au service d’une troupe pour parler ici en priorité de l’aliénation au travail, et du pouvoir évocateur des songes. » Le résultat est saisissant. Fiona Chauvin, Antoine Euzenat, Perrine Livache Alexandre Prince et Antoine Prud’homme de la Boussinière les cinq interprètes auxquels s’ajoute la voix de Marion Lubat l’assistante à la mise en scène, semblent danser entre rêve et réalité. Par leur jeu solaire et très physique cette fable poétique et politique qui pose depuis l’enfance, un regard critique sur le monde adulte prend une dimension épique supplémentaire.

« Écrire c’est le pouvoir de changer les règles du jeu. Écrire c’est être un jardinier »

Profondément inventif Yann Verburgh aime bousculer les codes. « Écrire c’est le pouvoir de changer les règles du jeu. L’écriture est le premier acte que je fais le matin. Et si écrire t’oblige à t’isoler le travail fait au plateau avec les comédiens empêche cette coupure avec le monde et c’est une autre manière d’écrire que de le faire d’abord à l’oral sur une scène.  C’est aussi très enrichissant. »

Auteur considérable et dramaturge dont certaines pièces sont éditées aux Solitaires Intempestifs dans le champ « Jeunesse », celles-ci permettent dans ce cadre-là de toucher à des tissus sociaux différents, d’apporter des contenus qui ne sont pas développés à l’école, planter une graine en quelque sorte, Yann Verburgh ajoute qu’ « écrire c’est être un jardinier. »

Collaborant régulièrement avec le metteur en scène roumain Eugen Jebeleanu, avec qui il a fondé deux compagnies : la Compagnie 28 en Roumanie, et la Compagnie des Ogres en France, il participe à plusieurs résidences d’écriture ainsi qu’à des rencontres internationales d’auteurs. Plusieurs de ses pièces sont traduites dans différentes langues. Elles sont régulièrement lues à la Comédie-Française, jouées, mises en onde sur France Culture ou adaptées pour l’opéra, et sont distinguées par différents prix et bourses. L’auteur a notamment reçu le Prix du Souffleur pour Ogres ainsi que le Prix du Jury au Printemps des Inédits pour La neige est de plus en plus noire au Groenland. Il a également écrit H. S. tragédies ordinaires, paru chez Quartett éditions ou 500 mètres qui est paru en 2018 dans le recueil Binôme, le poète et le savant  aux Solitaires intempestifs.

« Je cherche par le biais du théâtre une empathie »

Yann Verburgh souligne: « Le plus compliqué pour moi  touche à la structure du récit et savoir comment il va s’articuler. » Se posant sans cesse la question de la manière dont on va raconter une histoire, -« c’est cela, dit-il, qui me donne le plus de travail »- il a toujours l’impression au début d’un projet de tout recommencer à zéro. Le moment où le texte est enfin publié clôt en quelque sorte une aventure. « On sait à ce moment-là que le texte est achevé et c’est plutôt rassurant», explique-t-il.

Travaillant aussi comme un cinéaste: « Un grand metteur en scène c’est celui qui sait écrire avec des images, et qui va donc transcender un texte, tant pour moi je considère que les excellents scénographes sont d’excellents dramaturges », indique Yann Verburgh qui cherche par le biais du théâtre une empathie, la capacité de faire ressentir une émotion. Recréer cette empathie qui est pour lui le fondement du théâtre.  «Un grand texte, ajoute-t-il, c’est ce qui me meut, une émotion qui va me transformer.» Il se détourne de toute cérébralité l’émotion mettant en mouvement des choses qui peuvent échapper à la perception intellectuelle.

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Comme par exemple avec « Les possédés d’Illfurth » chef d’oeuvre dont on a parlé ici en présentant le travail sur la pièce enrichi du regard extérieur de Louis Arene, portant au sommet l’interprétation hallucinante, et magique de Lionel Lingelser qui signe aussi la mise en scène.  « Ce qu’il fait sur scène est stupéfiant, exceptionnel, inoubliable », insiste Yann  Verburgh qui a construit avec l’acteur le texte  de cette pièce à voir au Rond-Point jusqu’au 1er juin à 19h30 et le samedi à 18h30. « Le théâtre, conclut Yann Verburgh, c’est un dialogue avec l’altérité. Le public écrit aussi sa propre histoire en regardant une pièce. L’écriture est comme un pouvoir magique, et j’aime reprendre cette pensée de Lionel Lingelser : « Le vrai combat…c’est la joie. »» A ce sujet avec Yann Verburgh nous sommes royalement servis…

Jean-Rémi BARLAND

Yann Verburgh est édité aux Solitaires Intempestifs. « Les possédés d’Illfurth » est à voir au Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue  Franklin D. Roosevelt – 75 008 Paris,  jusqu’au 1er juin à 19h30 et le samedi à 18h30  – plus d’info et réservations  theatredurondpoint.fr

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