Publié le 1 décembre 2013 à 3h02 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 16h41
José Antonio González Alcantud a pris part vendredi 29 novembre au Parc Chanot à Marseille à la première table ronde des XXe Rencontres d’Averroès, consacrée au thème « Athènes, Cordoue, Jérusalem, héritage partagé ou dénié ? ». Professeur d’anthropologie sociale à l’université de Grenade, José Antonio González Alcantud est aussi académicien correspondant de l’Académie royale des sciences morales et politiques d’Espagne. Directeur de recherches sur le Maghreb et l’Andalousie, il enseigne en tant que professeur invité à l’Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris, à Harvard, à Princeton, ou encore à Nice. Il a été président de la Commission andalouse d’ethnologie et directeur du Centre de recherches ethnologiques de Grenade.
Vous avez souligné que l’Espagne s’est construite sur la négation de l’héritage arabo-andalou. A la fin du XXe siècle, elle s’est reconstruite sur la négation du Franquisme. L’Espagne est-elle un pays voué à se construire sur des négations successives ?
C’est l’histoire du récit national espagnol. Il n’existe pas de consensus sur l’histoire espagnole. Elle suscite des conflits entre intellectuels et historiens. L’Espagne est très polarisée sur les discours. Il y a eu récemment un débat à l’Académie royale où certains historiens présentent Franco comme un grand homme, ce qui a fait scandale, alors que d’autres le nient. Le récit historique français est un récit de la complétude, avec une continuité, en Espagne, c’est le contraire.
L’idée de la Méditerranée émerge-t-elle aujourd’hui en Espagne ?
Dans le Sud de l’Espagne, notamment en Andalousie, la question de la Méditerranée est une question importante. C’est aussi le cas en Catalogne. On a ainsi une vision au Sud de Madrid qui est tournée vers la Méditerranée, alors qu’elle est plus continentale au Nord la capitale. Ce sont deux sensibilités que l’on retrouve dans la littérature espagnole. D’un côté, on trouve des écrivains de Bilbao, basques ou castillans qui sont clairement hostiles à la Méditerranée, et de l’autre, des écrivains du Sud engagés dans la dimension méditerranéenne, à l’instar de Federico García Lorca Frederico et ses poèmes. Il existe donc deux sensibilités en Espagne. Mais la dimension méditerranéenne est très marquée au Sud. Ma ville, grenade, abrite des établissements de la Méditerranée : ce sentiment existe bel et bien.
La tentation de l’annihiler existe-t-elle ?
Un historien a écrit : « A Andaluz contra España » (« L’Andalousie contre l’Espagne »). Cela ramène les questions liées à l’Andalousie à l’invasion, au retour à autrefois, comme s’il s’agissait d’une histoire cantonnée au passé et qu’y revenir, ce serait tourner le dos à l’Espagne. Pourtant, c’est l’histoire même espagnole. Mais il existe aussi des tentations de retourner au passé Andaluz ou au Franquisme car il n’existe pas de consensus sur l’histoire espagnole.
La terrible crise que traverse l’Espagne, avec un taux de chômage record en Europe, favorise-t-elle le renforcement de cette idée méditerranéenne, notamment avec les diktats économiques imposés par le continent c’est-à-dire Bruxelles ?
Peut-être prochainement car je pense que nous le Sud, nous sommes le centre. La question autonomiste est très forte en Espagne. Or actuellement il y a des tensions du fait de cette question du chômage. Ce va nous amener à réécrire les alliances de la péninsule ibérique, pas seulement de l’Espagne car je pense à un fédéralisme avec le Portugal. Nous sommes en train de réécrire l’histoire, la politique espagnole. L’Andalousie a un lien étroit avec le Maghreb, le Maroc, la Méditerranée. En ce moment, il y a une réécriture de tout cela à cause de la crise de l’Etat espagnol en conflit avec le Sud, le pays basque, la Catalogne. Cela va nous amener à redéfinir une « espagnolité » : il faut que nous arrivions à une notion de vivre ensemble tout en conservant notre identité.
Vous vous êtes interrogé : « Pourquoi laisser aux prêtres le discours de la convivialité ? ». L’émergence de l’Eglise dans la culture méditerranéenne constitue un danger selon vous ?
Oui, c’est un danger. L’Eglise catholique est par exemple très puissante dans mon université. Or, elle a développé le concept de dialogue des religions qui est un faux concept. L’histoire de la Méditerranée est en effet traversée par l’histoire du Paganisme (NDLR : terme générique employé depuis le VIe siècle par des chrétiens pour désigner la religion de ceux qui ne sont ni chrétiens, ni juifs). On a le livre du génie du Paganisme à l’opposé du christianisme. Ce Paganisme repose sur la pluralité : il ne s’agit pas de faire du prosélytisme mais de s’appuyer sur un dispositif de rationalité pour éviter la fausse utopie du dialogue des religions.
Propos recueillis par Serge PAYRAU